Cofondateur de l’association écologiste et de solidarité internationale Génération Lumière, David Maenda Kithoko donnera une conférence à Lausanne le 16 mars.
La paix au Congo ne sera possible que si la course aux minerais, et donc la consommation des pays riches, est freinée. Voici l’un des leitmotivs du militant écologiste décolonial, David Maenda Kithoko. Le cofondateur de l’association Génération Lumière à Lyon participera au contre-forum* sur les matières premières organisé par le collectif Stop-Pillage à Lausanne, du 14 au 16 mars. Il dénonce les conséquences morbides de l’extraction des métaux, notamment dans son pays de naissance et d’enfance, la République démocratique du Congo (RDC).
En ce début d’année 2025, le conflit n’a jamais été aussi médiatisé, avec l’entrée du M23 dans Goma le 26 janvier. Un tournant dans cette guerre qui ravage la région du Kivu depuis trente ans. En toile de fond: les «minerais de sang» – coltan, tungstène, étain et or – nécessaires à la fabrication des smartphones notamment. Dit autrement, la «malédiction des matières premières». Car c’est bien la richesse des sous-sols de la RDC qui aiguise l’appât du gain des multinationales, des élites et des groupes armés. Avec des conséquences morbides: 6 millions de morts au moins, encore plus de déplacés, et des femmes violées par centaines de milliers… Par ailleurs, l’extractivisme forcené génère l’exploitation éhontée des travailleurs, la pollution de l’eau, du sol et de l’air, la destruction des réserves naturelles et la mort de nombreux animaux.
Né en 1995, à la frontière entre le Burundi et la RDC, David Maenda Kithoko a connu la guerre, l’exil et la précarité. Fort de son parcours et de ses études en sciences humaines et en géopolitique à Lyon, il veut donner une voix aux oubliés des débats écologiques, pour une véritable justice climatique et une solidarité internationale. Son association sensibilise la population et les politiques, au travers de conférences, de plaidoyers et d’actions pour dénoncer la situation en RDC, ainsi que l’extrême matérialité du numérique.
Début février, Génération Lumière et Team Congo (faîtière d’associations congolaises) ont publié une tribune pour dénoncer une fois de plus que «le numérique repose sur des minerais extraits au prix de massacres en RDC». Les organisations ont appelé l’Union européenne (UE) à cesser d’alimenter ce cycle infernal. Le Parlement les a entendues puisqu’il a voté à la quasi-unanimité une résolution demandant la suspension du mémorandum d’entente de l’UE sur les chaînes de valeur des matières premières avec le Rwanda «jusqu'à ce que ce pays cesse toute ingérence en RDC, y compris l'exportation de minéraux extraits des zones contrôlées par le M23». Entretien, le 25 février, avec David Maenda Kithoko.
Cette résolution votée par l’UE représente-t-elle enfin une bonne nouvelle?
Je suis né dans cette guerre, donc je suis un peu réservé par rapport aux bonnes nouvelles. Si c’est une avancée non négligeable, car tous les partis politiques ont réclamé cette suspension, ma satisfaction est mitigée. L’embargo sur le Rwanda n’a pas été voté. Et le Parlement ne peut pas contraindre la Commission européenne à agir. En ce sens, le système n’est pas du tout démocratique. En 2024, l’UE a signé un accord sur les minerais avec le Rwanda, malgré de nombreux rapports, depuis trente ans, des Nations Unies sur la déstabilisation de la RDC par le Rwanda à des fins économiques. Alors que 90% de ces minerais viennent du sous-sol congolais et non pas rwandais, car la géologie rwandaise ne permet pas d’avoir autant de ressources. Les produits arrivent en Europe estampillés Made in Rwanda, mais c’est hypocrite. Des multinationales signent avec des groupes armés de plus en plus nombreux, dont le plus gros, le M23, est financé par ce pays.
Un vrai travail de traçabilité et de contrôle est nécessaire. Le Dodd-Frank Act signé en 2010 aux Etats-Unis interdit les minerais de sang. Malheureusement, ils sont blanchis dans d’autres pays. Si le conflit s’arrêtait, si des normes étaient respectées, cela représenterait des manques à gagner pour les bandes rebelles, les élites et les multinationales. Celles-ci ont peur d’un Etat de droit.
Le conflit en RDC est généralement peu médiatisé. Comment l’expliquez-vous?
Il y a une hiérarchisation des souffrances, peut-être du racisme aussi avec une forme de bestialisation de ce qui se vit en Afrique. Or, ce n’est pas une guerre ethnique, mais économique. Par le biais des matières premières, le colonialisme est questionné. En France, et dans beaucoup d’autres pays, les médias sont aux mains de riches milliardaires qui ont tous quelque chose à se reprocher… Par ailleurs, cela questionne aussi la consommation des pays riches. La question de la transition écologique est essentielle, car le paradigme extractiviste, extrêmement opaque, reste identique. On ne peut pas parler de préservation de la terre quand on utilise des produits toxiques, qu’on creuse des trous béants, qu’on pollue le sol, l’air et l’eau… L’activité minière augmente partout sur terre avec l’alibi de l’écologie. Or, c’est du business as usual.
Quelle est la part de la responsabilité individuelle?
Je ne critique pas les consommateurs. Je sais combien d’argent est injecté dans le marketing pour les manipuler. Et combien il devient de plus en plus compliqué de ne pas succomber. Même de trouver un travail sans outil numérique est devenu impossible. J’alerte le citoyen pour qu’il demande à ses représentants de faire des lois, pour encourager la réparabilité, l’allongement des durées de vie des outils… Il n’est pas normal de changer de téléphone portable chaque deux ans. S’ils durent vingt ans, la pression écologique va baisser drastiquement. Le modèle d’affaires doit changer, sous la pression des citoyens qui amènent le politique à encadrer les multinationales. C’est une position réformiste, je l’admets, mais je tends à une révolution douce. Notre association, en plus du travail de sensibilisation et de plaidoyer, forme aussi à l’engagement militant, pour multiplier les contre-pouvoirs face aux politiques sourds aux réalités du Sud global.
La Suisse, plateforme mondiale du négoce, a aussi sa part de responsabilité…
En effet, et la Suisse héberge Glencore, qui est l’une des pièces centrales dans cette histoire. La multinationale a d’ailleurs été condamnée l’an passé pour corruption en relation avec des droits miniers en RDC.
Avez-vous participé au sommet sur l’IA à Paris?
Le sommet a invité Kagamé, le président rwandais. Pour moi, c’est une insulte aux victimes de ma région du nord-Kivu et je ne pouvais donc pas dignement m’y rendre. J’ai participé au contre-sommet, pour réfléchir aux problèmes de l’«IAmania». Face à la goinfrerie des métaux dans les pays riches, il s’agit de se poser la question de l’utilité des objets numériques. A quoi sert un slip connecté? En tout cas pas à sauver le poumon de la planète que représente la forêt du Congo. Le CO2 ne connaît pas de frontières physiques ou imaginaires. L’humanité toute entière est en danger.
Comment voyez-vous l’avenir?
Par rapport à la situation actuelle en RDC, le risque de guerre régionale est bien réel. Plus largement, j’ai l’impression que deux mondes s’affrontent, l’un qui s’autodétruit et l’autre qui tente de le sauver. Un proverbe dit que, quand un arbre tombe, on l'entend, mais qu’on n’entend pas la forêt pousser. Je veux croire que tous ceux qui luttent pour le Congo, pour Gaza, pour l’environnement, pour les droits humains sont la forêt qui pousse. Mais je ne sais pas si je verrai ce monde nouveau de mon vivant, et si mon pays connaîtra la paix.
* stop-pillage.ch
Pour plus d’informations: generationlumiere.fr