Depuis dix ans, Stéphane Mettraux exerce le métier de garde-faune. Une profession aux multiples facettes qu’il qualifie de passionnante
Le rendez-vous est fixé au bureau de Stéphane Mettraux, à Cugy, dans le Gros-de-Vaud. Atmosphère particulière. Une série d’animaux empaillés hantent le lieu, victimes d’accidents ou trouvés morts naturellement. Sous l’œil faussement vif d’un sanglier, dans le voisinage d’une hermine, d’une martre, d’une fouine, d’un putois… au mouvement et à l’expression à jamais figés, en présence du fantôme d’un lynx... le garde-faune évoque son métier. Une profession choisie en raison de son intérêt pour l’environnement, qui plante ses racines dans l’enfance. «Gamin, j’accompagnais mon grand-père à la chasse. Il m’a transmis sa passion. J’ai obtenu mon permis à l’âge de 18 ans.» Une explication que ce Vaudois de 46 ans n’estime pas en contradiction avec son engagement. «C’est difficile d’appuyer sur la gâchette, mais il est nécessaire, dans certains cas, de réguler la faune sauvage, à l’image du sanglier», affirme celui qui limite aujourd’hui ses tirs au cadre de sa fonction. Une tâche aux multiples facettes. Rompu aux longues marches, Stéphane Mettraux, surveille la faune, procède au recensement des mammifères et des volatiles, observe leur état de santé, œuvre à leur assurer de bonnes conditions de vie, veille à l’équilibre entre le gibier et la forêt... Aidé d’un homologue, il travaille sur un territoire allant de Lausanne à Montreux en passant par Oron et une partie de la Riviera. Le garde-faune intervient aussi sur appel, lors de déprédations, de nuisances, de situations hors du commun. Et tend, de manière générale, à assurer une cohabitation harmonieuse entre humains et animaux sauvages. Une mission délicate qui lui vaut aussi des inimitiés.
A poils, écailles et plumes...
«Je reçois régulièrement des plaintes en raison de dégâts à des cultures, propriétés et perte de bétail.» Pépinières visitées par des chevreuils friands de jeunes pousses, champs de maïs retournés par des sangliers en quête de grains, vignes fréquentées par des blaireaux se régalant de raisins, cadavres de vaches, de moutons avec suspicion de prédateurs, etc. Stéphane Mettraux entre en jeu. Il doit alors mener l’enquête, évaluer les dommages, le montant d’indemnités – le Canton verse à ce titre près d’un million de francs en moyenne par an – et proposer des solutions spécifiques. Ces dernières comprennent, entre autres, la pose de clôtures, l’usage de répulsifs ou le tir des indésirables, parfois avec la collaboration de chasseurs. L’homme est aussi sollicité lors d’accidents de la route impliquant des animaux sauvages blessés en fuite. «Des collisions de ce type se déroulent fréquemment. Je dois alors retrouver la bête et abréger ses souffrances.» Une mission remplie avec l’appui de son chien Newton, un braque hongrois dressé à flairer l’odeur du sang de gibier. Le téléphone du surveillant sonne aussi très souvent pour signaler la présence «d’intrus» chez des particuliers ou dans l’espace public. Un oiseau prisonnier d’une cheminée, une fouine réfugiée dans des combles, une vipère tapie dans un jardin, un renard entré dans un salon de coiffure, et même une mygale... Stéphane Mettraux est appelé à la rescousse et organise le sauvetage. Il doit parfois aussi composer avec la colère des personnes. «Des pétitions ont par exemple été signées contre les cris des corbeaux freux. Il faut parvenir à déstabiliser la colonie et à éviter les dérapages à l’image de tirs de particuliers», indique le passionné, endossant le rôle de médiateur. Installation de filets, recours à des leurres, sollicitation de fauconniers, abattage et élagage d’arbres et, parfois, tirs d’effarouchement… Les moyens varient. «Tout l’art consiste à trouver un équilibre acceptable pour l’ensemble.»
Motus sur le loup
En revanche, aucune tolérance envers le braconnage et les infractions diverses sur l’ensemble du territoire cantonal. Agent de police assermenté, le garde-faune agit le plus souvent sur dénonciations et procède à des investigations. «La nature des délits? Des animaux tués en vue de leur consommation, des œufs de cygne dérobés, objets de décoration ou de nourriture. Certaines personnes capturent des oiseaux, comme le chardonneret, pour les revendre. Il y a aussi des privés qui, exaspérés par exemple par la perte de poules dévorées par un renard ou le concert de corvidés, font justice eux-mêmes...» Et le loup dans tout ça? Stéphane Mettraux se refuse à tout commentaire. Rappelons que le Canton a mandaté les gardes-faunes pour tirer deux jeunes adultes. Un ordre chahuté par la présence sur le terrain de militants pro-loups... Si le policier ne s’exprime pas sur la thématique, il note toutefois que le canidé est volontiers accusé de tous les maux. «Une bête morte trouvée dans un pré, dépecée par des charognards? Le coupable est tout désigné. Les échantillons d’ADN prélevés sur les dépouilles et envoyés pour analyse dans un laboratoire à Berne démentent les accusations à l’emporte-pièce.»
Surprises magnifiques
Le téléphone restant ce matin muet, Stéphane Mettraux propose une incursion sur sa zone d’action. Le véhicule tout-terrain hoquette sur un étroit chemin forestier. Bise, brume et pluie intermittente rendent l’atmosphère particulièrement fraîche. Une première halte permet de vérifier les éventuelles images prises par des pièges photographiques. Chou blanc avec le premier appareil. Le second révèle la présence d’un goupil. «J’adore ce système. On peut avoir des surprises magnifiques comme des lynx, cerfs, chamois, blaireaux. Grâce aux pièges photographiques – une vingtaine dans ma circonscription – on sait que la région compte encore des putois, particulièrement discrets.» Retour dans le 4x4. Sur la commune de Montpreveyres, un champ de maïs a subi les labours intempestifs d’une dizaine de sangliers attirés par la nourriture et la possibilité de repli dans la forêt attenante. Une configuration de lieu idéale pour les suidés. «Il y en a déjà pour 2000 francs de dégâts...» chiffre le garde-faune observant les traces laissées par les importuns, avant de rappeler son chien sprintant dans les parages. Le fougueux braque hongrois obtempère au terme de quelques folles courses supplémentaires arrachées au timing. Et remonte, vaincu par le ton autoritaire de son maître, dans sa cage installée à l’arrière du véhicule. Un espace qui abrite aussi une série d’instruments nécessaires à l’activité du garde-faune: des armes de service de différents calibres et une autre hypodermique, des gants, des jumelles thermiques, un lasso, des récipients utiles aux prélèvements de sang, des kits pour effectuer des tests ADN, etc. Sans oublier différents formulaires administratifs, ce volet occupant 50% du travail du garde-faune.
Pressions sur la faune
La visite se poursuit par la découverte d’un barrage préservé érigé par des castors. Le garde-faune fait ensuite une halte à un étang protégé où foulques et colverts, inquiets de l’intrusion, poussent des cris d’alerte. Dans une autre zone à sangliers, se dresse un piège. «Le but? Capturer des spécimens et les munir de collier GPS pour suivre leurs déplacements. Nous cherchons aussi à surveiller d’éventuels cas de peste porcine», indique le passionné. Et d’ajouter: «On ne s’ennuie jamais dans ce métier.» La faune est-elle suffisamment protégée? «Notre département multiplie les efforts en la matière, mais certaines espèces, comme le Grand Tétras, sont menacées de disparition. Nous, humains, prenons beaucoup de place, augmentant la pression et l’impact sur le milieu. Les différentes parties prenantes dans la nature – organisations écologiques, chasseurs, agriculteurs, inspecteurs forestiers ou encore promeneurs – doivent parvenir à concilier des intérêts divergents et tirer à la même corde.»