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Des Italiens sur les planches

fiat 500 sur une scène, femme qui entre par le toit
© Thierry Porchet

Lors de la répétition, quelques scènes spectaculaires.

Le nouveau spectacle de Massimo Furlan propose une plongée dans l’immigration et l’intégration italienne en Suisse avec ceux qui l’ont vécue

Dans la cafétéria du Théâtre de Vidy, depuis plusieurs années, des Italiens se retrouvent pour jouer aux cartes. Un microcosme dont proviennent trois des protagonistes de la pièce Les Italiens, nouvelle création de l’artiste Massimo Furlan. Ils avaient déjà participé à une première performance Blue Tired Heroes en juin 2016. «On faisait des poses, en costume de Superman, dans les arbres, par terre. On ne devait pas parler, même avec la famille. Mais je n’ai pas réussi avec ma petite-fille. Cette fois-ci, c’est un vrai spectacle sur scène», explique Luigi Raimondi arrivé en Suisse en 1964, avec un contrat de travail en poche, dans le domaine de la chanson. La scène, il connaît donc. Ses compères, non. «C’est un peu difficile», confie avec le sourire, qu’il a grand, Giuseppe Capuzzi, maçon de formation. Après une dizaine d’années sur les chantiers, il a travaillé à la Banque populaire suisse comme concierge, chauffeur et homme de sécurité. A la retraite, le voilà sous le feu des projecteurs.

Un univers fantasmagorique

«En place!» lance Massimo Furlan avec enthousiasme. La musique grandiloquente s’élève, trois Secondos scrutent la salle, puis s’écartent pour laisser passer une fiat 500 d’époque, avec trois Italiens de la première génération à son bord. Arrive ensuite Helvetia, lance et bouclier à la main, incarnée par la danseuse Nadine Fuchs, seule non-italienne et rare professionnelle de la troupe: «Vous avez votre permis… de travail?» assène-t-elle avec un infime accent suisse-allemand.

Les scènes se succèdent tels des tableaux, entre burlesque et mélancolie, le tout teinté d’une fantasmagorie propre au travail de Massimo Furlan et de sa compagne dramaturge Claire de Ribeaupierre. Assis au milieu des rangées de sièges rouges, tous deux semblent s’étonner des dialogues et rient de bon cœur. Rien n’est écrit. La parole se crée avec les protagonistes au fil des scènes qui parlent de leur propre vie, de leur enfance, de leur exil, de leurs boulots, sur les chantiers, mais aussi dans la vente ou l’hôtellerie. «J’ai serré la main de Nixon. J’ai connu Schwarzenbach aussi...» Les langues se délient, avec leur lot d’anecdotes, entre témoignages de vie réels et romancés.

«Fixer la parole, c’est difficile pour ceux qui n’ont jamais fait de scène. On a essayé d’écrire des textes à la suite de nos entretiens, mais ça a eu comme effet de paralyser la parole, donc on est revenu en arrière», explique Claire de Ribeaupierre. «Tous jouent leur propre rôle et leur personnage. C’est une double identité que chacun porte, passant de l’un à l’autre, pas forcément en même temps. Certains jouent pendant que d’autres pas.» Une mise en abîme entre souvenirs et jeu théâtral, histoires singulières et identité collective.

De l’intégration

Cette plongée dans le passé migratoire italien interroge aussi plus largement la notion d’intégration. «La Suisse est complexe. Nadine, seule Suissesse d’origine, doit s’intégrer dans cette nouvelle famille composée de différentes générations d’Italiens, provenant de diverses régions», relève Claire de Ribeaupierre. «A Vidy en ce moment, je me sens un peu comme en vacances en Italie», sourit Nadine Fuchs. Durant les pauses, les jeux de cartes sortent des poches, les paroles fusent en italien et en français, on parle avec les mains, parfois tous en même temps… Au point, en effet, de se sentir un peu plus au Sud.

Si les protagonistes sont majoritairement masculins, ils savent se taire face à la jeune danseuse des Pouilles, Alexia Casciaro, dont le rôle est notamment de questionner la figure de la mère italienne: qui est-elle sous son tablier et son amour débordant pour ses enfants? «C’est bouleversant de travailler sur ce thème et, en même temps, ça clarifie des choses; même si cela fait treize ans que je suis partie de chez moi, lance l’artiste avec son accent chantant. Je porte un regard différent sur ma famille. Si en Suisse, je me sens 100% italienne, en Italie, je me sens différente, dans ma façon de parler, de raisonner. C’est plus riche!»

Une démarche subjective

Massimo Furlan, lui-même Secondo – dont nombre de pièces font appel à ses souvenirs de jeunesse et à la mémoire collective italienne –, prévient: «Il n’y a pas de volonté de documenter l’immigration italienne. A partir de nos souvenirs, on souhaite donner à voir la complexité, les fantasmes autour de cet exil et de l’intégration… Montrer aussi le tour de magie de nos parents. Nous, la seconde génération, parlons français et sommes totalement intégrés. Eux ont fait ce passage et sont toujours bloqués dans cet entre-deux. Il y a une forme de sacrifice de leur part. Les Italiens ont été stigmatisés. Alors que ces “sales Italiensˮ ont finalement donné naissance à des tas de Suisses.» Et le metteur en scène de souligner qu’aujourd’hui d’autres personnes, venant de bien plus loin après des périples autrement plus dangereux, subissent ces discriminations.

La migration, Massimo Furlan l’évoque aussi à travers l’image de Superman qui aurait aujourd’hui l’âge des anciens de la pièce et est lui-même un immigré, d’une autre planète. Avec son regard décalé, l’artiste aborde des thèmes cruciaux. Dans l’un de ses derniers projets, Hospitalités, il posait la question de l’accueil, mais aussi de la place du citoyen dans l’art en faisant des habitants d’un village basque, des acteurs. «Qui a le droit d’être sur scène?» questionne celui pour qui les planches appartiennent à tous, du moment que le travail est de qualité.

La construction de la mémoire

Pour Les Italiens, Massimo Furlan a fait aussi appel à deux de ses amis Secondos. Vincenzo di Marco, enseignant de français dans un gymnase lausannois, écrivain et musicien, réalisateur du film Rital entre autres – qui repose sur des témoignages d’immigrés italiens de la deuxième génération – confie avoir un trac énorme: «Je n’ai dit à personne que je jouais sur scène.» Et pourtant à le voir répéter, il semble dans son élément. «Je crois qu’en Sicile, le théâtre c’est un peu l’air qu’on respire. On aime jouer. Le rapport à la vérité n’est pas univoque, fuyant même…» Sur l’immigration, celui qui a grandi en Suisse, relève: «S’adapter, c’est préserver qui on est, tout en comprenant qui est l’autre.»

Depuis fin 2017, la mémoire se réveille, les récits se construisent, la confiance s’installe, dans une dynamique toujours ouverte. Silvano (qui préfère être discret sur son nom de famille) est le patriarche de la troupe. Né en 1942, il ne cache pas ses émotions: «Parler de nos enfances, c’est très dur, très remuant.»

La pause s’achève. Le temps d’un tour de magie bluffant de Luigi Raimondi, avec des cartes italiennes bien entendu, les acteurs retournent à leur répétition.

 

Les Italiens au Théâtre de Vidy à Lausanne: du jeudi 24 janvier au samedi 2 février (pas de représentations le dimanche et le lundi) à 19h30. Réservation: vidy.ch ou au 021 619 45 45.

En marge des représentations, une discussion est organisée au Théâtre de Vidy le 26 janvier à 17h30 avec Stefanie Prezioso, professeure associée à l’Institut d’études politiques, historiques et internationales de l’UNIL et historienne: «L’immigration italienne a marqué l’histoire suisse du XXe siècle, au gré de l’évolution des contextes politiques et économiques. Comment faire une histoire de l’immigration et comment peut-elle informer le présent?» (entrée libre)

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