Deux cancers, une pandémie et toujours debout
Dans son dernier livre, "La machine à saucisses", Jean-Claude Rennwald mêle sa lutte contre le crabe aux défis posés par la crise sanitaire
«Ce n’est pas grave, mais il faut faire quelque chose…» C’est par ces mots de son urologue qu’un beau matin de mars 2016, Jean-Claude Rennwald apprit qu’il souffrait d’un cancer de la prostate. Le Jurassien avait déjà eu à subir un cancer du côlon quatre ans plus tôt, surmonté par une opération. Cette fois, le traitement passera par une trentaine de séances de radiothérapie. «Surtout pas de panique, camarade! Rappelle-toi François Mitterrand. Son cancer de la prostate, nettement plus avancé que le tiens, a été décelé en 1981, quelques mois après sa première élection et il a ensuite dirigé la France pendant quatorze ans», voulut le rassurer l’oncologue Franco Cavalli, son collègue socialiste avec qui il siégea de 1995 à 2007 sur les bancs du Conseil national. Jean-Claude Rennwald aborda ce nouveau combat avec optimisme, mais non sans quelques appréhensions. L’appareil à rayons X lui fit songer à cet épisode de Tintin en Amérique où des vaches entrent entières dans une usine pour en ressortir sous la forme de saucisses et de corned-beef. La machine à saucisses est justement le titre choisi par le journaliste âgé de 68 ans pour relater cette expérience par le menu. Un récit intime et courageux dans la mesure où, liée notamment à l’incontinence et à l’impuissance, il est question d’une maladie un peu honteuse. Aujourd’hui, Jean-Claude Rennwald se dit encore vert, mais il ne cache pas qu’il a souffert durant de longs mois de problèmes érectiles. Tahar Ben Jelloun dans L’Ablation et Philippe Petit pour sa Philosophie de la prostate avaient déjà décrit dans le détail les conséquences de ce mal qui touche de nombreux hommes d’un certain âge.
Mais ce qu’on apprécie chez le fondateur de L’Evénement syndical, c’est qu’il a le don de tout ramener à la politique, car tout est politique, y compris un cancer ou une pandémie. Le Covid a débarqué alors que le politologue n’avait pas encore terminé la rédaction de son ouvrage. L’auteur a alors décidé de lui rajouter une seconde partie. «Deux cancers en quatre ans, je pensais alors avoir tout vu! Et pourtant, le pire était à venir. Non pas pour moi, mais pour l’humanité tout entière.» Le citoyen de Courrendlin a échappé au virus, mais il s’en est fallu de peu, puisque, à la veille du confinement, il prenait encore l’apéro dans les bistrots de Delémont avec des amis qui se sont révélés positifs.
Virus de classe
L’ancien membre du comité directeur d’Unia nous propose, sur 150 pages, un bon résumé d’une période qui a mis en évidence l’ampleur des inégalités sociales, son analyse aborde la dimension de classe de l’épidémie. «Le coronavirus a montré que celles et ceux qui exercent des métiers considérés comme “secondaires” étaient plus exposés que les autres. Je pense aux vendeurs, aux facteurs, au personnel de nettoyage et tout le personnel de la santé. S’agissant de ce dernier, certaines situations confinent parfois au scandale, en termes de salaires, de temps de travail ou de difficultés à remplir leurs obligations sociales et familiales», explique le syndicaliste, qui note aussi que l’on a assisté à «un retour en force de l’Etat comme acteur majeur de la vie politique, sociale et économique»: «L’aile la plus conservatrice du patronat, qui avait dénigré l’Etat pendant des décennies, a demandé que celui-ci en fasse encore plus!» L’auteur avance des perspectives politiques «pour empêcher la “machine à saucisses” de nous broyer tous». Il propose, entre autres, de développer la solidarité sanitaire internationale, de revaloriser les métiers utiles, d’instaurer une fiscalité très progressive sur les hauts revenus ou encore de réduire le temps du travail.
Son témoignage et son plaidoyer nous invitent à ne jamais nous décourager, tant sur le plan personnel que collectif, à conserver notre confiance dans l’humanité et à choisir l’espérance.