Entre passé et présent: la grève générale commémorée
Le centenaire de la grève générale de 1918 a été célébré dans les anciens ateliers principaux des CFF à Olten le 10 novembre dernier, entre discours et musique
Les anciens ateliers principaux des CFF à Olten, dont les murs se souviennent peut-être des longues heures de ces journées de novembre 1918, quand cheminots et grévistes bloquaient le pays, ont accueilli le samedi 10 novembre quelque 1400 personnes pour commémorer le centenaire de la grève générale de 1918. Symbolique, la date marque le moment où il y a tout juste 100 ans, le Comité d’action d’Olten, constitué de responsables de l’Union syndicale suisse (USS) et du Parti socialiste (PS) d’alors, lançait pour le surlendemain un appel à la grève générale. Une décision faisant suite à des mois de lutte contre la vie chère et la misère généralisée dans les rangs ouvriers, et au déploiement de la troupe, à Zurich notamment où elle venait de tirer sur des grévistes. Du 12 au 14 novembre 1918, 250000 travailleurs et travailleuses ont cessé le travail durant trois jours. Après un ultimatum du Conseil fédéral, et craignant une guerre civile, le Comité d’Olten a appelé à l’arrêt de la grève.
Novembre 1918 – Juin 2019
Cent ans plus tard, dans les ateliers d’Olten, les revendications actuelles se sont mêlées à celles de la grève générale de 1918. Les femmes du Syndicat des services publics, qui venaient de décider, lors de leur Conférence nationale féminine, «de s’engager pour la grève des femmes et féministes» du 14 juin 2019, ont accueilli les participants à la commémoration à coup de slogans anti-patriarcaux et pour l’égalité. Une grève évoquée également par Vania Alleva durant son allocution sur «la nécessité de la grève aujourd’hui». L’égalité salariale n’étant toujours pas une réalité, il était temps d’organiser une nouvelle grève des femmes, a-t-elle déclaré. «Travaillons ensemble, femmes et hommes solidaires, pour une impressionnante journée de grève et d’action en 2019!» Elle a également rappelé l’importance de la grève pour créer un rapport de force favorable aux travailleurs dans les négociations avec le patronat. Des grèves qui ne cessent de se développer, dans toutes les branches, depuis les années 2000. La présidente d’Unia a également fait l’éloge de la mobilisation exemplaire des maçons qui ont dernièrement été 16000 à protester durant leurs journées de travail contre les exigences des entrepreneurs.
Les organisateurs de la célébration, USS, PS suisse et Société Robert Grimm, ont donné la parole, par écran interposé, à plusieurs femmes et hommes ayant fait grève ces dernières années: un maçon évoquant le succès de la grande grève de 2002 pour la retraite à 60 ans, une employée de l’Hôpital de Fribourg, une salariée de l’ATS, des grévistes des Officines de Bellinzone, de la Compagnie de navigation du Lac Majeur et des Transports publics genevois. Christiane Brunner, ancienne présidente de la FTMH et coprésidente de l’USS, a terminé ces témoignages en évoquant la grève des femmes de 1991, une grève «sérieuse mais aussi festive», qui avait rassemblé 500000 d’entre elles.
Les acquis de la grève
Des intermèdes musicaux, allant des percussions de P-Train au Live Band CFF, en passant par les belles chansons engagées interprétées par le chœur Linksdrall, ont ponctué cette évocation de la seule grève générale que la Suisse a connue. Une occasion aussi pour Paul Rechsteiner, président de l’USS, de revenir sur les acquis de cette grève, «étape majeure de la Suisse moderne et point de départ de la Suisse sociale». Des acquis presque immédiats, comme la semaine de 48 heures. «On est passé d’un coup de 59 à 48 heures de travail. Onze heures de moins par semaine!» Ou plus tardifs comme l’AVS, introduite 30 ans plus tard et le suffrage féminin obtenu en 1971. Paul Rechsteiner a encore rappelé le souvenir des trois jeunes travailleurs abattus par l’armée à Granges, par derrière, alors même que la grève avait été levée. Et de lancer: «Plus jamais ça!»
Président du Parti socialiste suisse, Christian Levrat s’est lancé dans un plaidoyer pour une gauche forte et unie, cette dernière étant «au cœur de la Suisse moderne». Une gauche internationaliste pour «faire échec aux vagues brunâtres qui menacent la paix et la stabilité de notre société, en Suisse comme ailleurs». Une gauche «née dans les cendres de la grève générale», tombée cent fois et relevée cent fois pour que les revendications de la grève soient remplies, appuie-t-il, oubliant que quelques-unes sont encore à conquérir…
Hommage aux femmes de 1918
Concluant la ronde des discours, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a lancé un vibrant hommage à ces femmes qui, il y a 100 ans, travaillaient pour remplacer les hommes mobilisés à la frontière, couraient entre l’usine et la cuisine pour tenter de donner à manger aux enfants, ces femmes ayant organisé la première Conférence internationale pour la paix en Suisse, et de grandes manifestations contre la faim avant même la grève générale, durant laquelle elles se sont aussi mobilisées pour ravitailler et seconder les grévistes. «Les femmes furent-elles remerciées pour leur immense engagement? Non. Le suffrage féminin, qui figurait tout en haut des revendications de la grève, dégringole pour devenir le dernier des soucis des hommes de ce pays», a déclaré Simonetta Sommaruga, indiquant qu’il a fallu des générations de femmes pour lutter contre la discrimination et l’exclusion et secouer les carcans. Un long chemin jalonné d’échecs jusqu’à l’obtention du suffrage féminin, 53 ans après la grève générale. Relevant le retard accumulé en matière d’égalité, elle souligne que «sans les femmes courageuses d’alors, d’il y a 100 ans, nous ne serions pas ici». Elle ajoute être «infiniment reconnaissante envers les femmes et les hommes d’alors» et envers toutes celles qui se sont battues durant ces 100 ans «pour nos droits et pour l’égalité, pour un monde de paix, un monde plus juste». Et d’inviter hommes et femmes présents à poursuivre leur engagement: «Nous ne sommes pas encore arrivés au but.»