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Femmes de ménage en grande difficulté
Les mesures de confinement ont banni des employées de l’économie domestique de nombreux foyers, les plongeant en grande difficulté
En temps normal, les quelque 400000 personnes employées dans l’économie domestique en Suisse, essentiellement des femmes et en partie sans statut légal, vivent bien souvent dans la précarité. Les conséquences du coronavirus et des mesures de semi-confinement n’ont fait qu’accentuer cette tendance, des dizaines de milliers de femmes de ménage, nounous ou gardes-malades se retrouvant en grande difficulté. A l’image de Julia*. Cette jeune femme est employée à l’année par six foyers genevois pour faire le ménage et garder des enfants. Après cinq semaines d’arrêt complet, elle a recommencé à travailler ces derniers jours dans l’un de ces ménages. «Pour trois heures par semaine au lieu de dix et plus», explique-t-elle. Deux de ses employeurs lui ont malgré tout payé ses heures durant cette période, mais trois autres ne lui ont rien versé. «Je gagne beaucoup moins qu’habituellement et cela me gêne terriblement. Je vis seule avec ma fille de 8 ans et je dois débourser 1200 francs pour le loyer et plus de 400 pour les assurances maladie. Si je suis parvenue à payer les dernières factures, je ne sais pas comment je ferai pour les prochaines. Les échéances vont vite arriver. Je vais peut-être emprunter à des amis et je compte qu’on me donne un peu à manger.» Et pour ne rien arranger, les écoles étant fermées, elle doit emmener sa fille au travail. «Je prie chaque jour pour que le Ciel me vienne en aide.»
Pour compenser son manque à gagner, Julia n’a le droit ni au chômage partiel ni à l’assurance perte de gain. Au début du mois d’avril, Unia et d’autres syndicats avaient demandé en vain au Conseil fédéral de prendre des mesures urgentes pour venir au secours de ces employés qui réalisent un travail indispensable au fonctionnement de notre économie et de notre société. Julia ne peut pas non plus obtenir une aide des services sociaux. «Je suis sans titre de séjour, j’ai déposé une demande de régularisation Papyrus qui implique une indépendance financière.» Ce problème se pose aussi pour les détentrices d’un permis B.
Julia est adhérente du Sit. Ce syndicat genevois a interpellé le Conseil d’Etat du bout du lac en présentant dix revendications, dont la mise en place d’une «allocation temporaire cantonale de pandémie forfaitaire garantissant un revenu d’existence minimal», une garantie d’accès au service minimal des crèches, écoles et accueil parascolaire ou encore le lancement d’une campagne de communication pour rappeler aux employeurs leurs obligations.
On doit continuer à payer
On doit en effet payer sa femme de ménage même lorsqu’on lui demande de ne pas venir. «Les femmes de ménage ne sont pas indépendantes, il ne s’agit pas d’entreprises qui vendent des services, mais de salariées et, en les engageant, on a des obligations d’employeur. Le droit est clair: que les personnes employées soient rémunérées à l’heure, au noir, qu’elles soient sans papiers ou qu’il n’existe pas de contrat écrit, les obligations restent les mêmes», rappelle Arthur Auderset, secrétaire syndical d’Unia Vaud. «Il faut partir de l’idée que l’employeur n’est a priori pas de mauvaise foi, mais qu’il n’est tout simplement pas correctement informé sur son obligation de continuer à verser le salaire. L’employée doit informer son employeur en renvoyant au besoin vers les sites de Chèques-emploi ou en s’appuyant sur les articles parus dans la presse», souligne Clotilde Fischer, responsable de Chèques-emploi. Dans le canton de Vaud, 6000 employées de maison sont déclarées grâce à ce service géré par l’Entraide protestante suisse (EPER). Le système existe aussi dans les autres cantons romands sous des appellations différentes.
Encore faut-il que l’employeur joue le jeu. Dans le cas contraire, il est possible, épaulé par son syndicat, d’introduire une demande aux Prud’hommes, mais on imagine la difficulté pour une personne sans statut légal de revendiquer son dû. «Le problème de fond reste de faire valoir ses droits, reconnaît Arthur Auderset. Ce problème existe partout, mais il est plus aigu pour les personnes sans papiers. Aujourd’hui, l’Etat ne garantit en rien à ces personnes de pouvoir dénoncer leur employeur sans risque. Même en tant que syndicat, si nous avons quelques moyens d’agir, de mettre la pression sur l’employeur, nous ne pouvons être assuré qu’un juge ou un patron ne dénoncera pas la travailleuse. Même dans le cas extrême relevant de la traite d’êtres humains, on peut être renvoyé à la fin de la procédure judiciaire. Du coup, par peur de se faire dénoncer et renvoyer, on n’ose revendiquer ses droits. Il s’agit finalement d’une question de pouvoir. Les employeurs ont un pouvoir total sur ces personnes, l’Etat n’offre pas de contre-pouvoir et n’assume pas ses responsabilités en ne vérifiant pas que le contrat-type de travail soit correctement appliqué.»
Unia Vaud et l’EPER se sont associés pour demander aux autorités cantonales d’intervenir en faveur des salariées de l’économie domestique. Les deux organisations invitent l’Etat à créer notamment un fonds d’urgence pour aider les personnes qui se retrouvent privées de revenu, à rappeler aux employeurs leur obligation de payer les salaires et de respecter le contrat-type du personnel des ménages privés ou encore à accélérer la régularisation des travailleuses sans statut légal sur le modèle genevois de Papyrus.
*Prénom d’emprunt.