Fin mai, des militants ont discuté de leurs moyens d’action à l’Université de Lausanne
Gréviste du climat devant le Tribunal des mineurs, manifestants de Breakfree et du collectif Lausanne action climat (LAC) amendés pour avoir organisé une partie de tennis fictive dans les locaux de Credit Suisse, antispécistes emprisonnés, militants d’Extinction Rebellion arrêtés devant le Palais fédéral pour s’être enchaînés aux portes (le 18 juin dernier)… Ces derniers mois, les actes de désobéissance civile semblent se renforcer tout autant que la répression.
Fin mai, la grève du climat Vaud proposait une conférence sur la désobéissance civile, modérée par Steven Tamburini, l’un de ses militants, avec des activistes de différents mouvements: Rodan Bury d’Extinction Rebellion (XR), Pierre Conscience du Collectif R et conseiller communal pour Ensemble à gauche, l’antispéciste Virginia Markus et Clémence Demay, doctorante en Faculté de droit dont la thèse porte sur la question. Cette dernière a rappelé que la définition de la désobéissance civile est mouvante, mais comporte toujours la notion d’acte public et collectif, motivé politiquement, pour le bien commun, opposé à la loi ou à une politique gouvernementale, mais sans réfuter l’idée de démocratie.
Illégal mais légitime
«Il y a toujours un dilemme entre légalité et légitimité», relève Pierre Conscience, pour qui la désobéissance civile est «consubstantielle aux mouvements sociaux». Contester l’ordre établi revient ainsi à contester la légitimité d’une loi, en l’occurrence pour le Collectif R, celle du règlement Dublin. Pendant plus de deux ans, deux paroisses ont ainsi servi de refuge, permettant à quelque 200 personnes de déposer une demande d’asile en Suisse (possibilité légale après 18 mois sur le territoire). Des personnalités publiques se sont également engagées à parrainer des migrants, symboliquement. Alors que d’autres les logent secrètement. «Un jour, la police m’a réveillé à 6h du matin. Elle venait arrêter la personne que je parrainais. Mais qui n’était pas chez moi», relate Pierre Conscience pour qui ces différents outils permettent d’installer un certain rapport de force.
Rodan Bury rappelle l’origine anglaise et les actions d’Extinction Rebellion qui s’inspire notamment des Suffragettes, de Martin Luther King, de Gandhi ou plus récemment du mouvement serbe Otpor. En avril dernier, à Londres, des milliers de personnes ont bloqué plusieurs quartiers durant une dizaine de jours, avec pour résultat quelque 1300 arrestations, mais aussi une victoire d’étape: la déclaration de l’état d’urgence climatique par le Gouvernement anglais. Le militant parle de ses motivations personnelles également: «Je suis ergothérapeute et n’avais jamais milité jusque-là. Je n’ai jamais pensé que je désobéirais un jour. Mais je crois profondément que, face à la destruction de la vie en cours, on n’a plus rien à perdre. Je n’ai pas peur d’être arrêté.»
La chantre suisse de l’antispécisme Virginia Markus a, quant à elle, des années d’expérience de désobéissance civile. Elle met en garde toutefois contre l’adrénaline à transgresser les lois. «La réalité peut être brutale quand des amis partent pour plusieurs mois en prison. Beaucoup d’activistes ont fini par se retirer de la lutte pour garder leur emploi, leur réputation…»
Clémence Demay renchérit: «Avoir un casier judiciaire en Suisse rend très difficile la recherche d’emploi. La désobéissance demande aussi de bénéficier d’un statut légal en Suisse, d’avoir un réseau de soutien – pour payer les amendes par exemple. C’est donc souvent une élite de militants, des hommes blancs, qui sont présents dans ces mouvements. D’où l’importance de la complémentarité des actions.»
Violence relative
La désobéissance civile implique généralement la notion de pacifisme, même si celle-ci est relative. Virginia Markus: «Avant, quand on se disait végane, c’était faire preuve d’extrémisme. L’opinion publique évolue, heureusement. De plus en plus de gens font le lien entre l’élevage et le dérèglement climatique. Pourtant les caillassages de vitrines restent perçues comme violents. Il faut donc sans cesse rappeler la véritable violence: 77 millions d’animaux sont tués chaque année dans les abattoirs suisses!»
La médiatisation joue ainsi un rôle essentiel. «Le rapport avec les médias et les réseaux sociaux pour relayer les actions ne sont pas toujours très révolutionnaires, nuance Clémence Demay. Reste que l’impact politique est restreint si les relais médiatiques manquent.»
La notion de plan d’escalade est soulignée par le militant de la grève du climat Steven Tamburini. Les actes de désobéissance civile pourraient donc se multiplier dès l’automne, voire monter en puissance, si les réponses de politiques ne sont pas satisfaisantes. Pierre Conscience: «Aujourd’hui, on assiste à une recrudescence des mobilisations, car le monde est en crise, le capitalisme est en crise. Le mouvement doit être global, et utiliser tous les outils, même institutionnels et politiques. Les Gilets jaunes en France sont un exemple de violence qui répond à celle sociale et politique des autorités qui organisent la précarisation des classes populaires. Il s’agit de travailler sur le fond. La convergence est l’étape suivante.»