«La désobéissance civile est légitime et vitale»
Militante écologiste, féministe et catholique, Frédérique Zahnd vient de publier une pièce de théâtre consacrée à la question climatique et à l’engagement
Le mythe, pour parler du climat: voilà le choix opéré par Frédérique Zahnd, professeure de littérature au gymnase de Morges, qui signe La nouvelle Antigone. Parue au début de l’année, sa pièce de théâtre revisite la tragédie de Sophocle à travers le prisme du désastre environnemental en cours. Elle donne à sa protagoniste le rôle d’une militante écologiste active dans un mouvement de désobéissance civile. Un projet littéraire et politique inspiré par l’engagement de l’auteure (et de ses enfants) au sein d’Extinction Rebellion (XR). «Comme Antigone brave l’interdit du roi au nom d’une loi divine, les activistes bravent les lois de leur pays au nom d’un enjeu plus brûlant qu’à aucun moment de l’histoire puisqu’il s’agit désormais de défendre la vie sur Terre...» souligne cette Franco-Suisse de 61 ans. Elle a été condamnée à 300 francs d’amende et 30 jours-amende avec sursis pendant trois ans pour avoir participé en 2019 à des blocages en faveur des trois revendications d’XR, à savoir une communication honnête sur le changement climatique, la création d’une assemblée citoyenne et la neutralité carbone en 2025. «Nous irons au Tribunal fédéral et jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme au besoin», indique l’écologiste, qui fait partie des prévenus du «procès des 200». Un passage devant la justice qui lui laisse un goût amer. «Quelle perte de temps, quel gaspillage d’argent public, quelle absurdité!» souligne la militante, insistant sur les alertes répétées du GIEC, les COP qui se succèdent en vain, «ligotées, noyautées par les intérêts financiers, tandis que la terre suisse se dessèche et qu’on abreuve maintenant les vaches dans les alpages par hélicoptère»… «C’est l’ultralibéralisme qui est radical, ce sont eux les extrémistes, non les actions pacifiques d’XR. Dans la situation où nous sommes, la désobéissance civile est légitime et vitale», ajoute Frédérique Zahnd, dénonçant encore le fait que des «jeunes doivent faire le boulot de l’Etat: nous protéger».
Dévalorisation en permanence
La sensibilité de la sexagénaire à l’environnement plonge ses racines dans l’enfance. «Mes parents avaient déjà conscience des déprédations de la nature et de la biodiversité, de l’empoisonnement de l’air et des sols. Nous mangions bio bien avant la mode», se souvient la native de Pontarlier. «Nous passions pour des originaux», sourit Frédérique Zahnd, qui poursuivra sur la lancée écologique familiale en inscrivant ses enfants à l’école Steiner. Son intérêt pour les questions féministes s’exprime, lui, tardivement, à la suite de son divorce en 2015, de l’avènement du mouvement #MeToo, ou encore de lectures comme King Kong théorie, de Virginie Despentes, «à la parole décapante». «Ce sont mes filles qui ont attiré mon attention sur la problématique. Cette dévalorisation en permanence qui me hérisse aujourd’hui, je ne la voyais pas avant, je l’avais intériorisée», note encore celle qui a vécu, jusqu’à sa séparation, dans l’ombre d’un mari brillant. Aujourd’hui, la professeure s’engage pour les droits des femmes et se réjouit de la Grève féministe du 14 juin.
Le courage de ses convictions
«Le combat prioritaire? Protéger les filles», déclare Frédérique Zahnd, insistant aussi sur le fait que, «dans beaucoup de milieux, les garçons bénéficient d’un droit d’exister aux dépens des filles». Questionnée sur une de ses peurs, la militante confie craindre «l’assurance de certains hommes». Pour elle, l’écologie et le féminisme relèvent de la même aspiration à la justice, et elle défend ces causes dans un «enracinement chrétien». Car elle s’affiche comme catholique. «Il faut avoir du courage pour en parler, affronter les moqueries et se montrer suffisamment sûre de soi», affirme la croyante, qui s’est tournée vers la religion à la suite de rencontres avec «des prêtres intelligents et bienveillants». Sa foi ne l’empêche pas pour autant de porter un regard critique sur l’Eglise et «ses contradictions». «Une Eglise entachée de scandales, où les clercs – tous des hommes – font le contraire de ce qu’ils disent, une religion qui a validé l’épuisement des ressources, la marchandisation des animaux, en laissant entendre que les humains peuvent se servir sans limite de la Création». Une Eglise, avant tout, qui manque de femmes, dénonce-t-elle encore. Cette situation l’a conduite à devenir membre du Comité de la Jupe, créé par les journalistes Anne Soupa et Christine Pedotti, et qui défend l’égalité des rôles entre hommes et femmes dans l’Eglise catholique, comme dans toutes les religions. «L’Eglise est diverse», dit-elle. Et la chrétienne se place «sous la bannière du Christ, du pape François et des catholiques de gauche».
L’espérance, son maître-mot
Trouvant son bonheur auprès de ses enfants et dans l’écriture, émue par le son de la pluie sur un toit et par le parfum de la glycine, Frédérique Zahnd veut croire que l’homme n’est pas seulement un loup pour ses semblables. Quand bien même «le mal saute aux yeux, beaucoup de décisions sont prises à l’encontre des faibles» et les risques de dépression, d’éco-anxiété, dans cette période jugée noire, sont bien réels. «Ces états traversés, il s’agit de se retrousser les manches, ensemble, unis par un esprit de solidarité collective qui agit comme une protection psychique», lance cette optimiste, qui se définit encore comme une personne distraite, lente, mais avec une énergie inépuisable. Une activiste constamment animée par l’espérance, son maître-mot, agissant comme un moteur. Frédérique Zahnd est en effet persuadée que, si «le visible est désespérant, l’invisible, soit l’amour, triomphera»...