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La «jineolojî», une révolution qui passe par la libération de la femme

Banderole "Jin, Jiyan, Azadi".
© Olivier Vogelsang

Lors de la Grève féministe du 14 juin à Lausanne, des femmes kurdes ont donné de la voix: «Jin Jîyan Azadî, la femme, la vie, la liberté!»

Au-delà du Kurdistan, la "jineolojî" commence à se faire connaître. Mais comment définir cette science qui met la femme au cœur du processus révolutionnaire? Entretien avec Sarah Marcha, membre du Centre de Jineolojî de Bruxelles

Le mot kurde jineolojî signifie littéralement la «science des femmes», et plus généralement «de la vie»: jin signifie femme, constituant la racine du mot jiyan (vie), et lojî (de logos en grec) se traduit par science. Ce terme apparaît, pour la première fois, dans le Manifeste pour une civilisation démocratique d’Abdullah Ocalan qui considère la femme comme «le plus ancien groupe humain colonisé». Mais cette science est loin d’être théorique puisqu’elle s’ancre dans le mouvement des femmes kurdes. Plus largement, elle prône que la libération des femmes ne peut se réaliser sans la libération de toutes les formes de domination inhérente au monde capitaliste et patriarcal. Entretien avec Sarah Marcha, membre du Centre de Jineolojî de Bruxelles.


D’où vient la jineolojî?

Elle nous vient du mouvement de libération des femmes kurdes et embrasse ainsi 40 ans d’expériences de lutte. Son cadre est théorique et pratique. Elle accompagne la révolution des femmes et des peuples dans le nord et l’est de la Syrie, après avoir débuté dans le Kurdistan du Nord, qui se trouve en Turquie. Aujourd’hui, elle se répand au Moyen-Orient et inspire des femmes du monde entier. La jineolojî, en tant que science, accompagne le système de Confédéralisme démocratique, s’opposant ainsi au capitalisme, au colonialisme et au sexisme. A travers des réflexions et des recherches historiques et sociologiques, elle veut créer une alternative qui puisse dépasser les crises notamment écologiques et sociales, développer un nouveau système qui protège la Terre, la diversité des cultures et des croyances tout en amenant un processus de démocratisation de la famille et de la société dans son ensemble.

En quoi cette science peut-elle inspirer les mouvements féministes européens et notamment la Grève des femmes?

Le mouvement féministe a une longue histoire en Europe. Grâce aux apports des femmes révolutionnaires socialistes, la question de la classe sociale a émergé. Puis, partout dans le monde, des femmes ont lutté et résisté contre les pouvoirs coloniaux, et contre le système patriarcal. La jineolojî prend en compte l’expérience du féminisme et de tous les mouvements de résistance au niveau international, de l’Antiquité à nos jours, contre le patriarcat, l’Etat-nation, l’impérialisme, les féminicides, les génocides, les guerres, la violence en général. Nous sommes aussi préoccupées par la crise écologique. Notre Terre, l’ensemble du vivant, est attaquée par la mentalité de l’homme dominant, qui a créé les premières inégalités, veut coloniser les esprits, les corps et chaque cellule de vie de notre monde.

Le système patriarcal utilise le nationalisme, le fondamentalisme religieux, le classisme, le racisme, et aussi la science pour pouvoir légitimer l’oppression des femmes, de la société, de certains groupes sociaux et de la nature… C’est donc très important de s’organiser, d’être dans la rue; mais aussi de construire un système alternatif. Il faut mener une analyse profonde et avoir conscience de la diversité des conditions des femmes pour pouvoir pallier tous types d’attaques patriarcales et toutes tentatives de division des mouvements de femmes.

Que propose la jineolojî pour parer ces attaques masculinistes?

Nous proposons de comprendre l’histoire de l’avènement du patriarcat et du système hiérarchique étatique. Les femmes n’ont pas besoin d’hommes pour exister, comme la société n’a pas besoin d’un Etat pour exister. Par contre, l’homme dominant a besoin de contrôler les femmes et la société pour maintenir son pouvoir. Il s’agit de décrypter les mécanismes sociologiques et historiques utilisés par le système de domination, afin de s’en libérer. Comment voulons-nous vivre? Qui sommes-nous? D’où venons-nous? Comment allons-nous développer une personnalité libre, devenir des femmes capables de mener un processus d’éducation, de santé, d’autodéfense, de justice, de transformation de la société et d’union tout en protégeant le pluralisme et la diversité? Jusqu’à aujourd’hui, les mouvements féministes et les femmes dans le monde n’ont pas pu donner de réponses satisfaisantes et la jineolojî est une science qui cherche à renforcer les luttes de libération.

La région autonome du Rojava est-elle un exemple à suivre?

Les femmes kurdes sont en train de mener une révolution sociale, elles sont l’avant-garde révolutionnaire, sur leur territoire, et avec toutes les femmes de la région – turkmènes, arabes, assyriennes, arméniennes, musulmanes, yézidies, chrétiennes, jeunes et âgées... – et du monde. Elles sont en première ligne de la lutte contre les féminicides, pour l’écologie, contre les dictatures, contre les projets capitalistes, contre les formes d’oppression, à la recherche d’alternatives, de nouvelles formes d’organisation. Notre projet est le Confédéralisme démocratique mondial des femmes. La jineolojî fait partie du Network Women Weaving the Future. Deux conférences internationales ont réuni des femmes d’horizons différents en 2018 à Francfort, et en novembre 2022 à Berlin. La jineolojî est une proposition scientifique pour les femmes de se réapproprier la connaissance, de développer ensemble de nouvelles analyses, de donner de nouvelles perspectives, pour une organisation aux niveaux local et global, qui puisse mener vers une modernité démocratique. C’est-à-dire une vie libre ensemble.

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