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«La justice bâillonne celles et ceux qui lancent l’alerte»

militantes dans les bras les unes des autres.
© Thierry Porchet

Colère et tristesse après la lecture du verdict. Comme l’a souligné un des avocats des prévenus: «On veut faire taire par la voie pénale une jeunesse qui craint pour son avenir C’est un vrai recul des libertés».

A Fribourg, la trentaine de militants du climat qui avaient participé à l’action Block Friday ont été condamnés. Leurs avocats feront appel

En ce 18 juin, à l’intérieur de Forum Fribourg, les prévenus sont fouillés avant de pouvoir entrer dans la salle d’audience. «On ne se fait pas trop d’illusions», confie l’un des prévenus. L’arrêt du Tribunal fédéral (TF) tombé le 11 juin (lire ci-dessous) ne joue pas en faveur de la trentaine d’activistes qui ont bloqué pacifiquement en novembre 2019 un accès d’un centre commercial fribourgeois. Cette action lors du Black Friday avait pour but de sensibiliser la population aux effets néfastes pour la planète de la surconsommation. Après quatre jours d’audience et plus de deux semaines d’attente, quelque 80 personnes retiennent leur souffle. Soit trente prévenus, douze avocats et autant de journalistes, ainsi que du public – des Grands-parents pour le climat, quelques familles venues soutenir leurs enfants ou leurs parents puisque l’âge des prévenus va de la majorité à la retraite. Dans ce procès hors norme, Benoît Chassot, le président du Tribunal de la Sarine, sans saluer l’assemblée ni laisser tomber le masque, lit son verdict robotiquement.

Les activistes sont déclarés coupables d’infractions à la Loi sur le domaine public et au Code pénal, ainsi que de contraintes (dans les faits, ils ont obligé les clients à prendre une autre porte). Avec pour corollaires: amendes, prison avec sursis et frais de procédure. Soit quelque 20000 francs au total, dont 12000 de frais de justice, selon l’estimation rapide d’un avocat. Le crime des activistes, pour la plupart se revendiquant d’Extinction Rebellion ou de la Grève du climat? Avoir scandé des slogans avec un mégaphone, brandi des pancartes, troublé la tranquillité et l’ordre public (comme toute manifestation, autorisée ou non, en somme), fait barrage pendant deux heures devant l’une des nombreuses portes d’un centre commercial et refusé d’obtempérer immédiatement aux ordres de la police. Sur l’état de nécessité licite, plaidé par la défense, le juge stipule que le danger imminent n’est pas rempli. Selon lui, l’action n’était pas apte à résoudre les problèmes climatiques ni contrer la surconsommation.

A la sortie, les prévenus et leurs avocats sont atterrés par le verdict. «Il n’a pas écouté les plaidoyers?» questionne l’une des militantes.

Avocats en colère

Dehors, des Grands-parents et des Parents pour le climat tiennent des pancartes au message d’une clarté glaçante: «Un avenir pour les enfants!» «Ce verdict nous met en colère. Quand le juge dit que le danger n’est pas imminent, il estime donc que les directeurs des Nations Unies et de l’OMS, et la communauté scientifique se trompent», fustige Me Arnaud Nussbaumer. Me Marie-Pomme Moinat continue: «Alors qu’en Belgique, en Allemagne, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, des juges condamnent leurs gouvernements et des entreprises pour leur inaction climatique... En Suisse, la justice bâillonne celles et ceux qui lancent l’alerte.» Et l’avocate d’ajouter: «Le droit à la liberté d’expression et de manifestation, garanti par la Cour européenne des droits de l’homme, a été gravement violé.» En aparté, plusieurs avocats reviennent sur ce point. «On veut faire taire par la voie pénale une jeunesse qui craint pour son avenir. C’est un vrai recul des libertés. Ce procès légitime des approches répressives, dénonce Me Gaspard Genton. Le juge a estimé que la tranquillité de consommer est plus importante que la liberté d’exprimer des craintes fondées.»

Pour Me Christian Delaloye, ancien bâtonnier du canton de Fribourg, les autres moyens suggérés par le président du Tribunal (votations, élections, signatures de pétition...) ont tous échoué pour atteindre les objectifs des Accords de Paris. «Nous avons trente ans de retard. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement nos clients qui sont condamnés, mais nous tous.»

Face aux médias, un militant ajoute: «Le juge n’a pas compris et n’a pas voulu entendre. C’était la même chose pour la cigarette, pour l’amiante et, depuis des décennies, pour le climat.» Et l’une de ses camarades de souligner en aparté: «Ça fait peur de se dire que l’Etat, en plus de ne pas agir, nous punit. Mais nous allons continuer.»

Le Tribunal fédéral coule le recours du LAC

Le 11 juin, le Tribunal fédéral (TF) a rejeté le recours des «joueurs de tennis» de Lausanne action climat (LAC) qui avaient mimé pendant une heure environ une partie dans les locaux du Credit Suisse et réussi à attirer l’attention de Roger Federer, égérie de la banque, et des médias internationaux. Les militants avaient été acquittés en première instance, puis, à la suite du recours du Ministère public, condamné par le Tribunal cantonal.

Le TF conteste le point principal: l’état de nécessité licite invoqué par les prévenus. Soit la possibilité, en cas de danger imminent et impossible à détourner autrement, de pouvoir agir par un acte punissable. Selon le TF, le «danger “imminent” doit se concrétiser à brève échéance, à tout le moins dans les heures suivant l’acte punissable» et l’action doit viser un bien juridique individuel concret. Or, dans ce cas, «le but des intéressés était plutôt la défense d’intérêts collectifs, soit l’environnement, la santé ou le bien-être de la population dans son ensemble», écrit-il. Avant d’estimer que «d’innombrables méthodes licites auraient pu être employées pour atteindre leurs objectifs, comme notamment des manifestations autorisées».

Le TF annule toutefois les condamnations concernant l’empêchement d’accomplir un acte officiel (des militants n’avaient pas obtempéré à la sommation de la police de quitter les lieux) «pour des motifs procéduraux».

Négation du danger

«Le Tribunal fédéral se place du mauvais côté de l’histoire. Alors que les tribunaux du monde entier se saisissent enfin de cette thématique», ont dénoncé les avocats des activistes dans un communiqué. Selon eux, malgré une reconnaissance à demi-mot de la gravité des dérèglements climatiques par le TF, ce dernier nie toujours le danger imminent qui justifierait des actions pacifiques, comme il l’avait fait dans son arrêt concernant les Aînées pour la protection du climat. Ces dernières ont saisi en 2020 la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui devrait donner sa réponse bientôt.

Pour l’heure, en ce mercredi 23 juin, une délégation composée de cinq mouvements climatiques – Doctors for XR, Grands-parents pour le climat, Grève du climat, Aînées pour la protection du climat et Extinction Rebellion – doit se rendre au Tribunal fédéral pour demander une rencontre avec les juges afin que ceux-ci expliquent en quoi le danger n’est pas imminent et quelles sont les méthodes licites qui fonctionnent? «Nous en sommes à la COP 26 et les émissions de CO2 ne cessent de croître, malgré toutes les actions licites faites depuis 30 ans. Sommes-nous condamnés, tel Sisyphe, à continuer de faire ce qui ne fonctionne pas pendant que la Terre brûle et que nos juges regardent ailleurs?»

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