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«La mobilisation se poursuivra jusqu’à ce que l’égalité soit atteinte»

Portrait de Vania Alleva.
© Yoshiko Kusano

«La grève féministe exigera du respect, plus de salaire et plus de temps», précise Vania Alleva, présidente d’Unia.

Pour Vania Alleva, présidente d’Unia, l’année 2023 s’annonce chaude avec sa grève féministe, à un moment où la tendance est au recul sur les salaires, les rentes ou encore la répartition du travail

Les pressions au travail, les difficultés à concilier famille et vie professionnelle, sans oublier les salaires trop bas, sont en Suisse le lot de nombreuses femmes. Vania Alleva, présidente d’Unia, explique, en ce début d’année, ce que le syndicat revendique pour ces femmes et pourquoi l’égalité est l’affaire de tous.


Vania Alleva, de quoi vous réjouissez-vous particulièrement en 2023?

De la collaboration avec un très grand nombre de syndicalistes. Ce sera une année très engagée! Notamment avec la mobilisation pour la grève féministe.

Quatre ans seulement après la dernière grève féministe... Faudra-t-il bientôt que les femmes descendent chaque année dans la rue afin que les choses bougent enfin sur le terrain de l’égalité?

La mobilisation se poursuivra jusqu’à ce que l’égalité soit atteinte. La pression émanant de la rue et des entreprises s’avère ici essentielle. En ce moment, on recule au lieu d’avancer. D’où le slogan de la grève féministe 2023: du respect, plus de salaire et plus de temps.

Ce sont les mêmes revendications que pour la grève de 2019, entrée dans l’histoire.

Oui, parce qu’on recule, au niveau des salaires comme des rentes et de la répartition du travail non rémunéré. Au cours d’une vie professionnelle, en tenant compte des temps partiels, le revenu global des femmes reste 43,2% inférieur à celui des hommes. Les écarts de salaire se creusent de plus belle depuis 2016 et les rémunérations stagnent dans les branches à bas salaires, où les femmes sont surreprésentées. En outre, elles perçoivent en moyenne un tiers de rente en moins que les hommes. Quant à la répartition du travail rémunéré et non rémunéré, on a bien vu pendant la pandémie de coronavirus que ce sont surtout les femmes qui ont fait l’école à la maison et gardé les enfants. Elles accomplissent ainsi une grande partie des activités non rémunérées, dont la valeur est estimée à 315 milliards de francs. Le mouvement de grève des femmes vise à instaurer une société plus juste et plus sociale. Il s’agit d’une revendication fondamentale des syndicats, qui concerne tout le monde.

Les organisations féminines ont déjà commencé les préparatifs pour le 14 juin 2023. Comment le syndicat Unia se prépare-t-il à la grève des femmes?

Nous soutenons les mouvements féministes. Comme syndicat, nous voulons nous concentrer sur les entreprises employant de nombreuses femmes. Soit sur les branches «systémiques» qui ont eu droit à des applaudissements pendant la crise du coronavirus, mais dont les salaires et les conditions de travail n’ont pas été améliorés. Voilà pourquoi nous soutenons les femmes dans le commerce de détail, dans les soins ou l’industrie horlogère. Nous serons aux côtés de toutes celles qui sont prêtes à débrayer dans les entreprises.

Lors du congrès de l’USS en novembre, qui a aussi appelé à la grève, la question d’un soutien des hommes à la mobilisation a été exprimée. Qu’en est-il concrètement?

Il est central que les femmes se mobilisent, mais aussi les hommes solidaires, car il s’agit de questions sociétales tout aussi importantes pour eux. Il est essentiel que les hommes prennent conscience des avantages qu’une plus grande égalité aurait pour tout le monde.

En 1991, le slogan de la première grève des femmes pour l’égalité, en particulier des salaires, était «Les femmes bras croisés, le pays perd pied». Faudra-t-il aller vers des arrêts de travail d’ampleur et de longue durée pour faire aboutir les revendications?

On ne peut pas comparer les différentes mobilisations. Cela n’a pas de sens. Il est important qu’un maximum de femmes se mobilisent et qu’un maximum d’hommes solidaires descendent dans la rue. Mais il faut plus: nous devons devenir plus forts dans les entreprises. Nous privilégions donc notre présence dans les sociétés et les branches d’activité. Il est important que la grève bénéficie d’un large soutien. Egalement sur les lieux de travail.


Propos recueillis par Anne-Sophie Zbinden et Sylviane Herranz.
Traduction de Sylvain Bauhofer.

Choc de l’inflation et rentes toujours trop basses

Les femmes sont majoritaires dans le commerce de détail. Or, aujourd’hui, malgré la bonne marche des affaires, elles ont moins d’argent dans le portemonnaie à la fin du mois.

C’est décevant. Car pendant ce temps, les grandes enseignes augmentent leurs prix et sont partout à la recherche de main-d’œuvre qualifiée. Il est donc incompréhensible qu’elles n’accordent pas la pleine compensation du renchérissement. La chimie et le pharma m’ont aussi déçue, comme Roche qui s’en tient à des augmentations individuelles.

Les syndicats ont-ils obtenu de bons résultats dans d’autres branches?

La pleine compensation du renchérissement est par exemple prévue dans l’hôtellerie-restauration ou dans l’industrie horlogère. Même si toutes les négociations salariales ne sont pas terminées, nous avons globalement obtenu des hausses de salaire de 2,5%. Ce n’est pas mauvais, même si cela reste insuffisant. Car pour beaucoup de salariés, le renchérissement et l’explosion des primes des caisses maladie constituent un choc brutal. L’heure est à un salaire minimum de 4500 francs par mois pour le personnel non qualifié, et de 5000 francs par mois pour les titulaires de CFC. Et il est important d’inscrire dans toutes les CCT la compensation automatique du renchérissement.

Les bas salaires se font sentir jusqu’à la retraite: en moyenne, les femmes continuent de toucher des rentes inférieures d’un tiers à celles des hommes. Et il leur faudra désormais travailler plus longtemps. Qu’en est-il après le oui à AVS 21?

C’est navrant d’avoir perdu d’aussi peu le scrutin d’AVS 21 le 25 septembre dernier. Notamment pour les femmes concernées qui, en plus de gagner moins et de percevoir des rentes plus basses, devront travailler une année supplémentaire. Les personnes disposant d’un revenu élevé, les hommes et les retraités ont fait pencher la balance. Bien des partisans d’AVS 21 ont reconnu qu’il y avait une discrimination, tout en prétendant que ce n’était pas le moment d’y mettre fin. C’est grotesque!

Le vrai scandale vient des politiciennes et des politiciens ayant dit et répété, en amont du scrutin, que la révision du 2e pilier mettrait fin à la discrimination des femmes. Or, leurs interventions actuelles au Parlement montrent clairement que ce n’étaient que des promesses en l’air. Leur but est de faire une révision sur le dos des bénéficiaires de bas revenus, soit en particulier des femmes. Nous suivons de près les débats. Si le Parlement ne corrige pas le projet actuel, nous lancerons un référendum. Nous avons également une solution clé en main, qui permettrait d’augmenter avec effet immédiat les rentes de 8,3%, soit l’octroi d’une 13e rente AVS.

Les femmes perçoivent aussi des rentes plus basses parce qu’elles travaillent souvent à temps partiel, afin de s’occuper de leurs enfants ou d’autres proches...

Cette activité à temps partiel forcée tient à deux raisons. D’une part, il reste difficile de concilier famille et vie professionnelle; d’autre part, il y a des branches dans lesquelles les femmes travaillent à temps partiel parce que les pressions et le stress sont trop lourds à gérer et rendent malades. Par exemple dans les soins, où beaucoup de gens réduisent leur taux d’activité à leurs frais.

La situation est dramatique dans le secteur des soins!

Chaque mois, 300 personnes quittent la profession infirmière et, malgré cette situation, la mise en œuvre de l’initiative sur les soins continue de se faire attendre. Il est urgent d’améliorer les conditions de travail, notamment en réduisant la durée de l’activité. Cela faciliterait la conciliation entre famille et activité professionnelle. L’Autriche a déjà revu à la baisse la durée du travail dans les professions soignantes ou du secteur social.

Et en Suisse?

L’hôpital de Wetzikon (ZH) a ouvert la voie: le personnel soignant travaillant en rotation a désormais la semaine de 38 heures, avec un salaire inchangé. D’autres doivent lui emboîter le pas. Aux négociations sur la CCT de l’industrie horlogère, nous exigeons la semaine de 36 heures avec maintien du salaire, sans densification des tâches ni diminutions d’effectifs. La réduction du temps de travail sera au cœur de toutes les négociations conventionnelles. Elle est d’ailleurs abordable financièrement. Entre 2015 et 2020, la productivité a bondi de presque 8%, contre à peine 2,5% pour les salaires réels. Une marge de manœuvre existe par conséquent en vue d’une redistribution de la valeur créée sous forme de temps libre.

Les interventions des «amis de l’économie» de droite vont toutefois dans une tout autre direction.

Beaucoup d’interventions issues de la droite parlementaire visent à déréglementer de façon brutale le temps de travail. On l’a vu aussi lors des négociations sur la nouvelle Convention nationale du secteur principal de la construction: les entrepreneurs visaient à instaurer la semaine de 58 heures! Nous avons heureusement su déjouer un tel scénario. Il est toutefois important de ne pas rester sur la défensive, mais de prendre aussi l’offensive.

Quelles sont les offensives prévues par Unia pour 2023?

Nous avons pour but d’obtenir avec la grève féministe des avancées sociales en matière d’égalité et de réduction du temps de travail. Les négociations conventionnelles prévues dans les arts et métiers, dans l’industrie horlogère et dans l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (MEM) mettront l’accent sur des salaires minimums plus élevés. Enfin, avec l’initiative AVSx13 nous visons à faire un pas en direction de rentes qui couvrent le minimum vital.

Retour sur la votation sur AVS 21

Le 25 septembre dernier, le fossé entre la Suisse alémanique et la Suisse latine n’a jamais été aussi marqué au sujet d’une réforme de l’AVS. La première a accepté AVS 21 par 55,1% des voix, la Suisse romande l’a rejetée à 62,8% et le Tessin à 56,8% des voix. Retour sur cette acceptation sur le fil.


Comment expliquer cet écart énorme entre régions linguistiques lors du vote?

En Suisse alémanique, la campagne contre la gauche a été massive. Tous les grands médias étaient favorables au projet de démantèlement de l’AVS. Il est d’autant plus étonnant de voir à quel point le résultat a été serré. Nous avons recueilli des voix bien au-delà du camp de la gauche.

Il manquait 30000 voix sur 2,8 millions de votants. La mobilisation syndicale n’a-t-elle pas été suffisante? Ou trop focalisée sur les femmes alors qu’AVS 21 touchera aussi les hommes?

Dans notre campagne, nous avons insisté sur le relèvement de l’âge de la retraite. Avec un résultat aussi serré, tout nouveau relèvement de l’âge de la retraite est exclu. Nous avons moins bien su montrer aux hommes ce qu’implique le projet pour eux. Ils se sont tiré une balle dans le pied, AVS 21 étant aussi un enjeu de répartition.

L’analyse du vote confirme que nous avons atteint notre public cible: les petits et moyens salaires ont refusé net le projet, les femmes l’ont refusé même en Suisse alémanique, et il a beaucoup été question durant la campagne, grâce à nous, du niveau des rentes, enjeu majeur de l’actuel débat parlementaire sur le 2e pilier. Il aurait peut-être fallu davantage insister sur la question sociale, pour montrer aux hommes qu’eux aussi sont concernés.