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A la recherche des origines

Portrait de Sylvia Ekström.
© Olivier Vogelsang/Observatoire de Versoix, 2019

L’astrophysicienne Sylvia Ekström a autant la tête dans les étoiles que les pieds enracinés dans la Terre.

De l’intra-utérin au cosmos, du latin-grec à la physique des étoiles massives, Sylvia Ekström est en révolution perpétuelle

C’est dans son village au pied du Jura vaudois que Sylvia Ekström reçoit chez elle, chaleureusement et avec bonhommie: «Café, eau, whiskey?» Son mari, Javier G. Nombela, rit. Dans le hall, une photographie saute aux yeux: une infime portion du cosmos représentant 7000 années-lumière captée par le télescope spatial Hubble. Juste à côté, sur la porte d’entrée, une carte de l’ouest de la Suisse. Deux images qui disent beaucoup sur l’astrophysicienne et sur son graphiste de mari. S’ils ont la tête dans les étoiles, leurs pieds sont bien ancrés sur la Terre. Tous deux sont reliés par un émerveillement sans cesse renouvelé, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, des galaxies au brin d’herbe. Leur ode à l’humilité face à ce cosmos infini et à la magie de la vie se retrouve dans leur livre paru récemment: Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs. L’ouvrage décrit les obstacles démesurés pour qu’un humain puisse fouler le sol de la planète rouge, preuve que chaque être fait partie intégrante de son biotope, la Terre.

Sage-femme

Le parcours de vie de Sylvia Ekström est tout en contrastes. Avec pour fil rouge, sa recherche des origines. A 10 ans seulement, elle demande un dictionnaire d’étymologie. Au gymnase, elle étudie le grec et le latin, et déteste alors la physique. Puis, embrasse le métier de sage-femme. «Je ne voulais plus des bancs d’école et souhaitais me confronter à la vie. Ce métier est extraordinaire, mais au fil des ans, dans le milieu hospitalier, je ne supportais plus ce management qui consiste à extraire des bébés le plus rapidement possible. Dans les salles d’accouchement, les médecins entrent et sortent sauvagement, sans égards pour la mère. Or, on sait qu’une gazelle face à des lions ne va pas accoucher. Au lieu de faire confiance à la nature, on la violente. Ça me rendait malade.» «Je devais la ramasser à la petite cuillère quand elle rentrait du travail», se souvient son époux.

Devenue partisane de l’accouchement à la maison, elle aurait pu continuer son métier à domicile si la comète Hale-Bopp n’avait pas croisé son chemin. Une révélation. Soutenue par son compagnon, Sylvia Ekström, à l’âge de 33 ans, se lance tête baissée dans des études d’astrophysique qui – mais elle ne le sait pas encore – dureront neuf années.

Astrophysicienne

«C’est à l’université que j’ai enfin compris le sens de la physique. Ce n’était plus juste un exercice mental», explique la littéraire tout en soulignant l’élégance des mathématiques et leur grande qualité de structurer le cerveau, tout comme le latin ou la musique. Née dans une famille de musiciens, elle chante et joue de la guitare dès l’enfance. Il y a trois ans, elle se lance dans le violoncelle, avec ferveur, à raison d’une heure de répétition par jour. Et se réjouit de pouvoir rechanter sur scène avec l’ensemble vocal féminin Volubilis dont elle fait partie depuis 20 ans.

Le téléphone sonne. Au bout du fil, une société d’astrologie veut vendre ses conseils. Sylvia Ekström rit: «Ce n’est pas la première fois qu’elle nous appelle. Personnellement, je n’y crois pas. Les astres ont bougé depuis les Sumériens qui ont inventé cet art. C’est une symbolique, comme il en existe d’autres, qui nous permet de trouver en nous une réponse.» Après s’être construit sa propre mystique, elle se dit aujourd’hui athée.

Tenace et passionnée, Sylvia Ekström est d’une curiosité insatiable. «En astrophysique, tout nous échappe tout le temps. Cela rend humble face à cette très longue évolution dont nous sommes issus, et devant les autres êtres vivants.» Pour exemple, son époux déplie une frise chronologique de 14 mètres de long. Chaque page A4 représente 100 millions d’années depuis la naissance de la Terre jusqu’à nous. Et précise: «Et voilà Lucy, notre ancêtre bipède, au début du dernier millimètre!» 

Si elle a des étoiles dans les yeux, Sylvia Ekström a pourtant la majorité du temps la tête devant son ordinateur. «Au quotidien, je ne suis pas perdue dans les éons et les années-lumière, je modélise les étoiles massives sur un écran. Donc le 80% de mon temps est dévolu à chercher à débugger mes codes informatiques», explique la scientifique avec un sens de l’humour et de la pédagogie très présents aussi dans son livre et dans son travail de chargée de communication pour le département d’astronomie de l’Université de Genève. «Grâce aux questions des gens, je peux reprendre de la hauteur», se réjouit-elle.

Mars, ce cauchemar

C’est à la suite de ses conférences que les Editions Favre l’interpellent pour écrire au choix sur le soleil ou sur la conquête de Mars. «Comme je m’énervais beaucoup sur toutes les inepties d’un certain milliardaire, on s’est lancés sur la planète rouge!» explique l’astrophysicienne qui confie apprécier les films de science-fiction. Mais à sa manière. «Pour moi, ce sont des comédies! Car elles sont truffées d’absurdités. Les notions de physique sont balayées. Alors que l’humain a des limites physiologiques. Tout comme notre petite planète.» Les séjours dans la station spatiale ISS sont, à ce titre, une véritable mine de connaissances sur les problématiques physiologiques – l’ostéoporose par exemple – ou psychologiques, mais aussi sur les possibilités d’autarcie ou de techniques de recyclage.

Si elle est partisane de l’envoi de robots à la découverte de l’univers, elle ne croit pas à la colonisation de Mars, ni à celle de la Lune. Pour Sylvia Ekström, écologiste et féministe dans l’âme, il n’y a décidément pas de planète B: «Mars, c’est un petit caillou glacé, un cauchemar. Il n’y a pas de chants d’oiseaux, pas de vent dans les cheveux, pas l’odeur de la pluie. Notre planète est exceptionnellement belle, c’est notre mère et notre avenir. C’est à la Terre qu’il faut rêver.»