"Je n’avais jamais vu ça"
«Je n’avais jamais vu ça, j’ai été pris au dépourvu.» Dans un atelier tenu durant le séminaire, Marcel Ritz, inspecteur du travail dans le canton de Vaud, a raconté comment il s’était retrouvé face à un cas d’exploitation de la force de travail un jour de 2015. «Sur une dénonciation tout à fait banale de travail au noir, je me suis rendu avec une inspectrice dans un restaurant exotique de Lausanne. Alors que ma collègue contrôlait l’identité du personnel en salle, je suis descendu dans les cuisines au sous-sol et je me suis retrouvé face à deux travailleurs sans titre de séjour valable. L’un des deux a commencé à bafouiller, à trembler, puis a éclaté en pleurs. Il m’a avoué être séquestré dans cette cuisine, qu’il logeait là, surveillé en permanence par des caméras. Il m’a montré un casier contenant ses affaires, un lit clic-clac sur lequel il dormait et un évier pour se laver. Il a déclaré travailler treize heures par jour rémunérées cent francs. Il a évoqué des menaces envers lui et sa famille au Bangladesh, ainsi qu’un accident de travail qui lui donnait des douleurs à la jambe depuis un an, mais que son employeur refusait de faire soigner. Je n’étais pas du tout préparé à cela.» Les inspecteurs appelleront la police vaudoise qui dépêchera sa Brigade migration et réseaux illicites de la police. «Voilà ce qu’il peut se passer: on est dans la routine et on se retrouve tout à coup complètement décalé.»
"Nous sommes démunis"
«Nous sommes démunis, on n’a jamais appris à détecter. La première chose à faire, c’est de se former et je crois que la possibilité de la traite devrait être inscrite dans nos points de contrôle», a dit un inspecteur genevois durant le débat qui a suivi le témoignage de Marcel Ritz. «Ce qui nous manque en Valais, c’est une association comme Astrée», a regretté une intervenante, en expliquant que, dans le Vieux-Pays, les inspecteurs sont accompagnés de la police durant les contrôles. «Est-ce qu’on peut interroger un salarié aux côtés d’un gendarme?» a questionné Marcel Ritz. Dans certains pays, on passe un mauvais quart d’heure aux mains de la police, d’où cette peur de l’uniforme chez certains travailleurs immigrés, a rappelé le Vaudois. Du côté de Fribourg, l’inspection du travail dispose désormais de prérogatives de police judiciaire: «Nous pouvons auditionner et séquestrer des objets, nous allons tester ces nouvelles mesures», a indiqué un inspecteur fribourgeois. «Nous n’avons pas attendu la police pour faire notre travail, j’ai dénoncé des cas, a précisé un inspecteur valaisan. Le problème aussi c’est que certains syndicats ne veulent pas défendre des travailleurs qui ne sont pas membres de leur organisation.» Codirectrice d’Astrée, Angela Oriti le déplore: «Il y a un manque de liens avec les syndicats. Il faut renforcer la collaboration.»
Les revendications d’Unia
Dans le cadre de cette campagne contre la traite, le syndicat Unia demande la mise en place des mesures et des garanties suivantes:
■ Le renforcement de la sensibilisation et de la formation de tous les acteurs concernés: autorités de poursuite (notamment des procureurs, des juges et des membres de la police), des employeurs, des inspecteurs du travail et du marché du travail, des autorités compétentes cantonales et fédérales.
■ La protection effective des victimes et des témoins lors de l’enquête, pendant et après le procès. A savoir la garantie:
- de la délivrance de permis de séjour renouvelable aux fins de coopération ou en raison de situation personnelle, sans préjudice du droit de demander et d’obtenir l’asile ni de poursuite pour infraction à la législation sur les étrangers;
- de la protection de l’identité;
- d’un délai de réflexion et de rétablissement;
- de levée partielle du secret de fonction des inspecteurs du travail et du marché du travail, pour leur permettre de communiquer de manière coordonnée avec les organisations de terrain, les syndicats et les autorités de poursuite en cas de suspicion;
- d’obtention de réparation dans un délai raisonnable, notamment sous la forme d'une indemnisation.
■ Des mesures concrètes de détection et de protection pour les victimes potentielles requérantes d’asile ainsi que celles qui sont placées dans des centres de rétention. Il est nécessaire de garantir en particulier un délai suffisant pour réunir les informations nécessaires, de tenir compte du traumatisme vécu par ces personnes et de formation du personnel concerné. De plus, l’application de la procédure Dublin aux victimes potentielles doit prendre fin.
■ Le renforcement des instruments de procédure pénale:
- inclusion du travail forcé, de l’esclavage, de pratiques analogues à l’esclavage et de servitude à l’article 182 du Code pénal concernant la traite d’êtres humains;
- mention explicite de l’indifférence de l’existence du consentement de la victime;
- intégration de l’article 182 à la liste des responsabilités pénales des entreprises;
- introduction d’une disposition spécifique conférant le caractère d’infraction pénale à l’exploitation du travail;
- introduction d’une disposition spécifique au fait d’utiliser les services d’une personne en sachant qu’elle est victime de la traite.
Semaines d’action contre la traite et conférence sur le rôle des syndicats
A l’occasion de la Journée européenne contre la traite des êtres humains du 18 octobre, et des Semaines d’action contre la traite se déroulant ce mois, des événements sont organisés un peu partout en Suisse pour sensibiliser la population à cette problématique et aider à la compréhension de ce crime et de cette violation des droits humains.
Cette année, l’accent sera mis sur la traite des êtres humains à des fins d’exploitation du travail, sur les secteurs les plus exposés dans ce domaine et sur la manière de reconnaître et d’aider les victimes.
Durant tout le mois d’octobre, des podcasts, notamment sur des victimes de la traite à Genève et le vécu des femmes concernées, peuvent être écoutés sur le site de la campagne. Des séances d’information, pour étudiants ou sur invitation, se dérouleront en présence à Lausanne, Fribourg et Neuchâtel.
Côté syndical, une conférence, à laquelle tous les membres d’Unia intéressés sont conviés, se tiendra en présence et en ligne depuis Zurich le lundi 25 octobre, de 13h à 15h30. Y sera abordé le rôle des syndicats dans la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation du travail. Des représentants de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), organisatrice du débat, du Seco, des syndicats, des sans-papiers et du patronat débattront de la question. Parmi les intervenants, se retrouveront Marie Saulnier Bloch d’Unia, Luca Cirigliano de l’Union syndicale suisse et Marco Taddei de l’Union patronale.
La conférence disposera d’un service de traduction. Le délai d’inscription est fixé au 10 octobre. L’ES
Plus d’infos sur les semaines d’action sur: 18oktober.ch