Chargée de projets au Bureau cantonal pour l’intégration des étrangers et la prévention du racisme à Lausanne et à Yverdon-les-Bains, spécialisée sur les questions de genre, Marina Gutmann participe activement à la préparation de la Grève des femmes
Petite, on lui collait l’étiquette de «garçon manqué». Un compliment à l’époque pour Marina Gutmann qui prend conscience très tôt des différences faites entre les genres. Des années plus tard, au bénéfice d’un Bachelor en sciences politiques, d’un Master en relations internationales et d’une formation post-grade en santé sexuelle, la Lausannoise de 33 ans a l’occasion de vérifier ses primes intuitions en la matière, d’observer les mécanismes à l’œuvre d’une socialisation distincte des hommes et des femmes. Même si elle indique n’avoir pas eu à souffrir de discriminations sexistes majeures sur son parcours. «Mais quand même. En début de carrière, on est souvent amenée à s’interroger sur la légitimité d’une postulation. D’une prise de parole. Quand on est une femme, jeune de surcroît, on ne nous accorde guère de crédibilité. Il faut prouver qu’on est à la hauteur», relève Marina Gutmann, qui se demande aussi déjà alors comment elle parviendra à concilier vie privée et vie professionnelle. Pas de quoi toutefois décourager cette battante, en couple – son ami, précise-t-elle, vit bien son engagement –, qui aura plusieurs occasions de valoriser ses compétences. Une personne brillante qui, la petite trentaine, bénéficie déjà d’une riche expérience dans des domaines pluriels.
Dans les angles morts...
Marina Gutmann entre dans le monde du travail en effectuant un stage dans une ONG à Genève engagée dans la lutte contre les mines anti-personnel, avec une perspective de genre. L’universitaire étoffe ensuite sa formation au Département fédéral des affaires étrangères où elle collabore à un programme visant à faire respecter le droit international humanitaire dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Puis, c’est le grand saut. Marina Gutmann part un an à New Delhi pour le compte de l’ONU. Elle coopère à un projet consacré à la biodiversité versus pauvreté et les droits des personnes locales sur leurs ressources. «Un séjour très intéressant. Je me suis aussi trouvée pour la première fois de mon existence dans la situation d’une migrante, entraînant un important effort de décentrement de mes valeurs...» De retour en Suisse, la voyageuse rejoint le Syndicat des services publics (SSP), employée comme secrétaire spécialisée sur les thématiques de la santé, de l’accueil de l’enfance et des genres. Une fonction formatrice mais pesante... «J’étais confrontée toute la journée à des personnes broyées par le système, avec des outils législatifs qui ne les protègent pas. Des travailleurs confinés dans des angles morts des politiques sociales. Dont beaucoup de femmes affrontant une grande précarité.»
Codes nécessaires
Deux ans plus tard, Marina Gutmann quitte son poste, «moralement trop dur», tout en gardant un grand respect pour le syndicalisme. Elle part alors pour six mois au Népal participant à un projet de prévention des violences sexuelles mis en place par l’ONU. Une expérience qualifiée là encore de «lourde». Et quand bien même rien ne la révolte plus que l’injustice. «Je me suis largement interrogée sur la légitimité de ce job, sans parler la langue, sans appartenir à cette culture. Le travail de terrain se révèle important mais nécessite des codes, des compétences spécifiques.» De retour dans nos frontières, Marina Gutmann est engagée par le Bureau cantonal d’intégration (BCI). Riche de ses séjours à l’étranger, la Lausannoise se sent à l’aise dans ce milieu. Y trouve ses repères. Et rappelle au passage aussi la responsabilité de la société hôte pour faciliter les processus d’insertion des étrangers. «C’est particulièrement difficile de se projeter dans un nouvel endroit. Nous avons tendance, ici, à sursimplifier la démarche.» Sans surprise, la trentenaire collabore également au BCI au dossier «Genre et migrations», notamment en matière de mariages forcés. Et, en marge de son activité professionnelle, prépare activement la Grève du 14 juin, comme membre de la commission des femmes du SSP.
Egalité et privilèges
«Cette journée était dans l’air depuis plusieurs années déjà. La libéralisation de la parole y a injecté une nouvelle énergie. Il y a une très forte mobilisation», se réjouit l’activiste non sans souligner la nécessité de s’interroger sur l’égalité au sens large. «Je n’oublie pas que je suis une femme, blanche, avec un passeport suisse, un niveau économique assez élevé. En d’autres termes, que je me trouve du bon côté de la balance, et que je dois peut-être aussi remettre en cause certains privilèges pour l’égalité.» Entière, Marina Gutmann rêverait que le féminisme soit enseigné dans les classes. «Séparée, travaillant à plein temps, ma mère trouve que je vais trop loin, que je suis amère», sourit Marina Gutmann dont la bonne humeur caractéristique de sa personnalité fissure le propos. «Bon, sauf le matin. Il me faut alors un peu de temps pour émerger», nuance cette native du Scorpion, fan de Virginie Despentes, et qui se ressource en regardant des séries en compagnie de ses chats. Entretient sa forme en s’adonnant à la course à pied – elle a participé au dernier «20 kilomètres de Lausanne», note-t-elle avec fierté. Et confie son amour des voyages, de la mer et des plages de sable de fin – elle adore l’eau – tout en s’interrogeant sur ses envies de dépaysement en porte-à-faux avec sa conscience écologique. Un dilemme pour cette femme qui perd de son optimisme quand elle pense au futur de la Terre et associe le bonheur «à l’absence de peur». Questionnée sur le mot de la fin, Marina Gutmann revient à son combat de prédilection: «Rendez-vous le 14 juin!» Une invite qu’elle lance tous azimuts, sans oublier la gente masculine, appelée à s’engager... au quotidien.