Courts métrages disponibles sur: carolemessmer.com
La réalisatrice Carole Messmer vit sa passion en plongeant dans l’âme humaine
Au téléphone depuis Bruxelles, la Genevoise Carole Messmer raconte son amour du cinéma, en commençant par sa «genèse». Un terme approprié pour celle dont le père très religieux, ne voyait pas d’un bon œil ce que son Eglise considérait comme «objet du Diable».
«Depuis toute petite, j’écrivais des scénarios. Mais, étant donné que le cinéma n’était pas le bienvenu à la maison, j’ai orienté mes études vers l’éducation spécialisée», raconte-t-elle. Seulement, lors d’un stage, l’étudiante se retrouve, comme par enchantement, derrière une caméra. «Plusieurs personnes du monde du cinéma, en voyant mon court métrage documentaire, m’ont encouragée à continuer», se souvient Carole Messmer rattrapée par l’évidence. Diplôme d’éducatrice spécialisée en poche, la jeune femme revient ainsi à ses premières amours. Elle déménage à Bruxelles et tente le concours d’entrée à l’Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de diffusion de Bruxelles (INSAS). Elle est reçue. «Dès que je tourne, je me sens à ma place, dans l’instant présent, comme si le monde s’arrêtait, lui, de tourner. J’ai besoin de filmer, sinon je ne me mettrais pas dans un bourbier (financier) pareil», lance-t-elle en riant.
Féministe
Après ses études cinématographiques, Carole Messmer revient à Genève, met au monde deux enfants et continue à vivre de sa passion, pleinement, quitte à devoir déplacer des montagnes. «Je suis repartie à Bruxelles car, en Belgique, les liens sont plus forts entre la réalité sociale et le cinéma. J’y rencontre davantage d’opportunités. Mon compagnon est encore à Genève pour ses propres obligations. C’est une situation que beaucoup de gens m’ont reproché: séparer mes enfants de leur père pour mon métier. C’est une question qui ne se poserait pas si j’étais un homme…» Ce machisme, encore si présent partout et particulièrement dans le monde du cinéma, elle l’a aussi ressenti lors d’une interview sur son premier long métrage Frugale Nature. «J’étais connectée par Skype et ma fille a déboulé dans la pièce. Rien de grave, mais j’ai fini dans le bêtisier 2019 de la RTS. Je me suis sentie instrumentalisée. Avec cette image d’une pauvre femme dépassée par sa réalité familiale…» lance la féministe, qui évite justement d’instrumentaliser les personnes qu’elle filme: «J’aurais préféré parler des difficultés de production en Suisse. Frugale Nature, bien que sélectionné en compétition nationale à Visions du Réel, n’a reçu aucune subvention, car hors normes.»
Immersion nature
Ce documentaire s’immerge dans un stage en nature réunissant une quinzaine de participants durant une semaine de l’été 2017. Sans budget, la réalisatrice, caméra sur l’épaule, accompagnée par un ami preneur de son, filme l’expédition de ces aventuriers. Sans longs discours ni grandiloquence, le spectateur entre dans une lenteur peu courante, dans le silence et la sensualité de la forêt, de la rivière, du feu… «Je n’ai pas voulu jouer sur le sensationnel. Mon film n’a rien d’extraordinaire», milite-t-elle.
Le documentaire invite à un retour à l’essentiel, à la simplicité. Forme sensorielle et contemplative, il porte ainsi bien son titre: Frugale Nature. Carole Messmer a, elle-même, dû faire preuve de sobriété, se cantonnant aux batteries et aux cartes mémoires emportées, sans possibilité de les recharger pour les premières ni de les télécharger pour les secondes. Six heures de tournage en tout. Seulement. Une radicalité assumée, tout en vivant aussi dans sa chair cette expérience unique. Son angoisse: rester sans nouvelle de ses enfants pendant six jours, les téléphones portables étant fortement déconseillés et le réseau inexistant.
Se définissant comme méfiante vis-à-vis des idéologies et des groupes, et ne pouvant se défaire d’un besoin irrépressible d’analyse et de recul, la réalisatrice ne s’attendait pas à être si touchée par ces personnes qui finissent par créer une sorte de tribu, se positionnant avec respect et humilité face à leur environnement.
Du cinéma social
L’être humain est au cœur de sa démarche cinématographique. Dans ses courts métrages documentaires ou imaginaires, elle parle, entre autres sujets, de l’horreur du massacre rwandais; ou d’une rencontre entre une jeune tzigane de Roumanie et un voyageur autiste – une fiction qui a pour origine son expérience de monitrice lors d’un camp pour personnes handicapées.
Au fil des rencontres, des films naissent, imprégnés d’un vécu nourrissant ses scénarios. Hors des sentiers battus, Carole Messmer aime aussi prendre part aux laboratoires de créations cinématographiques participatifs intitulés Kino. Trois jours pour réaliser un film, sans surcharge industrielle et sans production, donc sans argent et sans attente. «J’aime me lancer des défis, tester aussi. Ce n’est jamais parfait, mais cela permet d’avoir des images à montrer aux producteurs, comme autant de cartes de visite», explique Carole Messmer, qui écrit en ce moment un scénario sur le dépassement de soi, de la prise de risque malgré l’âge, un handicap ou des peurs. «De la lutte quotidienne d’aimer, et de se sentir vivant», résume-t-elle. Parallèlement, l’idéaliste engagée travaille sur un documentaire relatif au tabou des émotions violentes que peut ressentir tout un chacun dans sa sphère intime et familiale. Une issue? «Je crois que la bienveillance et la parentalité positive s’imposent comme le seul chemin.»