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«Le défi est là: le taux de syndicalisation est insuffisant»

C’est une Sophie Binet combative qui s’est adressée le 22 septembre à Lausanne aux syndicalistes et politiciens suisses, captant l’attention des participants à sa conférence-débat.
© Olivier Vogelsang

C’est une Sophie Binet combative qui s’est adressée le 22 septembre à Lausanne aux syndicalistes et politiciens suisses, captant l’attention des participants à sa conférence-débat.

Elue secrétaire générale de la CGT en mars, Sophie Binet était de passage à Lausanne il y a un mois. Retour sur l’impressionnant mouvement contre la réforme des retraites en France et les défis en cours et à venir

Le 22 septembre, entre la conférence de presse de rentrée de la Confédération générale du travail (CGT) tenue la veille et les marches contre les violences policières du lendemain, Sophie Binet a fait une escale éclair à Lausanne. Secrétaire générale de la CGT depuis mars, première femme à accéder à la tête du grand syndicat français, elle répondait à l’invitation de l’Union syndicale suisse (USS) et de son président, Pierre-Yves Maillard, pour faire état des luttes dans son pays et des liens avec la Suisse.

«Quand on est syndicaliste, on est internationaliste. C’est important de le rappeler, car la stratégie du capital est de prendre prétexte de ce qui se passe dans le pays d’à côté», a lancé d’emblée Sophie Binet. «On nous a vendu la réforme des retraites sous prétexte qu’on était des flemmards. Mais nos échanges avec l’USS ont permis de voir que l’on n’était pas si favorisés que ça. En Suisse, la retraite est à 65 ans, en France, c’est à 67 ans à taux plein», a-t-elle expliqué aux quelque 120 personnes venues l’écouter dans les murs dégarnis de l’ancien cinéma Eldorado de la Maison du Peuple. Elle a également salué le soutien apporté par les syndicats suisses à la lutte contre la réforme des retraites. Un thème porteur pour les participants, avides de savoir pourquoi la puissante mobilisation du début d’année n’a pas réussi à faire reculer le président Macron. «Chez vous, une telle situation n’aurait pas été possible. En France, la réforme a été imposée sans vote du Parlement, avec l’opposition de 90% de la population, 6 mois de mobilisation et 14 journées d’action avec des millions de personnes dans les rues. Nous sommes passés pas loin de la victoire. Il y a quelques années, on aurait gagné.»

Voie ouverte à l’extrême droite

Pourquoi cela n’a pas été le cas? La syndicaliste a cité trois éléments. Le premier, c’est la Constitution de la Ve République qui investit le président d’un fort pouvoir, qui s’est encore accru. «La France est la cible de l’ultralibéralisme pour qui la démocratie est un problème», a souligné Sophie Binet, ajoutant que cela se traduit par la répression, l’atteinte aux droits syndicaux et démocratiques ou encore l’usage de la notion d’écoterrorisme. «Ils utilisent l’arsenal antiterroriste pour criminaliser et réprimer le mouvement social et imposer des réformes contre l’avis de la population.» Le deuxième élément est la tripartition de la vie politique française, entre extrême droite, centre macroniste et gauche renforcée. «Les verrous face à l’extrême droite sont en train de sauter un à un. Cette dernière est soutenue par Macron et les grands patrons comme Vincent Bolloré qui a racheté le Journal du Dimanche. Une grève héroïque de six semaines vient de s’y dérouler. Ce n’était pourtant pas une publication de gauche. Mais 80 journalistes sont partis. Il n’en reste que deux et Bolloré installe sa rédaction pour en faire un journal d’extrême droite.» Pour la syndicaliste, le passage en force sur les retraites est un levier pour le Rassemblement national de Marine Le Pen: «Cela accrédite l’idée que, vu l’échec sur les retraites, seule l’extrême droite peut apporter une solution. J’ai eu l’occasion de le dire à Macron qui a été élu pour lui faire barrage: il aura à répondre devant le tribunal de l’Histoire.» Le troisième élément ayant empêché la victoire est l’absence d’une grève reconductible. «La CGT a appelé à la grève reconductible, il y en a eu dans l’énergie, le nettoyage ou encore les transports, mais nous n’avons pas réussi à faire tourner le pays dans ce sens. 40% des salariés du privé n’ont pas de syndicat dans leur entreprise. Le défi est là, le taux de syndicalisation est insuffisant.»

Victoire à la Pyrrhus de Macron

Au final, la syndicaliste a souligné que, pour le jupitérien Macron, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus, avec de très lourdes pertes. «Il s’en sort complètement affaibli et seul. Il s’est récemment fait huer par 80000 supporters au Stade de France lors de l’ouverture de la Coupe du monde de rugby. Et il a face à lui des organisations syndicales unies qui comptent bien le rester. Le match est à 0-0.»

La secrétaire générale de la CGT a ensuite résumé la triple alerte lancée la veille à l’occasion de sa conférence de presse: une alerte économique et sociale, avec les problèmes du coût de la vie et de l’inflation dans un pays où vit l’homme le plus riche du monde, Bernard Arnault, meilleur ami du président de la République. «Un tiers des Français ne mangent plus trois repas par jour. La consommation a baissé de 10%. Et pourtant la France est la 6e puissance mondiale!» La deuxième alerte est environnementale, avec notamment les risques de catastrophes majeures et des milliers de personnes poussées sur les routes de l’exil. «Mais pour le président et le patronat, ce n’est pas un problème.» La troisième est une alerte démocratique avec la montée de l’extrême droite ainsi que la répression de syndicalistes, convoqués dans les commissariats, licenciés, condamnés.

Arracher des mesures concrètes

«Quelle est la stratégie de la CGT face à cette situation?» lance Sophie Binet. D’abord, c’est la mobilisation et l’unité des huit organisations syndicales, restées soudées du début à la fin de la lutte des retraites. Elles ont convoqué une nouvelle journée d’action, le 13 octobre, sur les salaires, l’égalité femmes-hommes et la lutte contre l’austérité. «Notre but est d’arracher des mesures concrètes. Le gouvernement vole des prestations et biberonne les multinationales. Un tiers du budget français est capté par les grandes entreprises!»

Un des grands chantiers de la CGT est la démocratie, notamment au sein des entreprises. «Après le Covid, les gens n’ont plus envie de perdre leur vie à la gagner. Nous sommes confrontés à un mouvement de bifurcation des grands diplômés qui ne veulent pas travailler dans une multinationale et se font maraîcher. L’alternative est: se soumettre ou se démettre.» Elle plaide, exemples à l’appui, pour que les salariés puissent influer sur la stratégie d’entreprise. «Aujourd’hui, l’innovation ne va que dans le sens de ce qui intéresse le capital. Nous devons reprendre la main sur l’innovation, remettre tous nos cerveaux ensemble.»

Enfin, la CGT va s’attacher à relever le défi de la syndicalisation: «La lutte sur les retraites a suscité un fort mouvement de sympathie, mais les gens ne se syndiquent pas. Nous voulons renforcer notre implantation dans les entreprises.»

Indépendance syndicale et féminisme

De nombreuses questions ont alimenté le débat avec Sophie Binet. L’une d’elles portait sur les liens entre syndicats et partis. «La culture syndicale est très différente d’un pays à l’autre en Europe. En France, l’indépendance syndicale est beaucoup plus marquée qu’en Suisse. La Charte d’Amiens régit cette indépendance vis-à-vis des partis. Ainsi, ce n’est pas aux politiques d’organiser les mobilisations sociales. Nous avons bien sûr besoin de députés ouvriers à l’Assemblée nationale, mais on ne doit jamais déclencher une lutte sociale pour faire élire quelqu’un. Ce serait de l’instrumentalisation. Dans toute lutte, l’objectif est la satisfaction des revendications. De même, nous ne devons jamais mettre dans l’étouffoir une lutte qui pourrait gêner le politique.»

Autre thème abordé: le féminisme. Sophie Binet, qui a été en charge de la problématique à la CGT, a salué la forte mobilisation des femmes le 14 juin en Suisse. «Cela fait cinq ou six ans qu’on appelle à la grève féministe sans grand succès. Chez nous, c’est resté à l’état de slogan. La CGT est formée de secteurs très masculins. Nous avons eu du mal à entraîner les hommes dans ce combat. Pour moi, c’est un chantier important, les femmes sont toujours payées 25% de moins que les hommes et travaillent dans des secteurs précarisés.»

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