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Le dessin comme écriture

Ludovic Chappex dans son atelier de peinture & illustrations
©Olivier Vogelsang

Ludovic Chappex ressent le besoin de laisser mûrir les choses pour parvenir à les exprimer sur toile ou sur papier.

Illustrateur et peintre, le Valaisan Ludovic Chappex crée des tableaux doux-amers où s’immisce une certaine nostalgie. De la poésie en images

Ludovic Chappex a toujours préféré le dessin aux mots, les symboles au verbe. Gamin, il soigne sa timidité en communiquant à travers ce langage visuel. Extériorise ses émotions en images. Avec un naturel, une facilité, qui le poussent à persévérer dans le domaine. Et les encouragements de son entourage – les membres de sa famille ont tous opté pour des activités créatives. Formé aux arts appliqués, le Valaisan de 41 ans entame son parcours professionnel dans le graphisme et travaillera dans différents ateliers à Sion, Zurich et Monthey, tout en poursuivant en parallèle ses créations personnelles. Indépendant depuis dix ans, il peut libérer plus de temps pour ses travaux qu’il expose ponctuellement. Une œuvre éclectique, entre peinture et illustrations, réalisme et fantaisie. Aux pinceaux, l’homme privilégie l’observation, dans une attitude contemplative qui n’empêche pas une certaine ambiguïté, un pas de côté. Aux crayons, humour décalé et théâtralité caractérisent ses dessins. Des tableaux où filtre, au-delà de la technique choisie, une nostalgie revendiquée. Une poésie en images douce-amère présentant des grilles de lecture plurielles, inspirée de l’environnement de l’artiste. De son quotidien. Des personnes et de l’architecture qui l’entourent. «Je suis attaché à ma région», note Ludovic Chappex, pour qui peindre s’avère essentiel, «obsessionnel». 

Construire du sens
«Je ne sais faire que ça. Je souhaiterais pouvoir me consacrer davantage encore à mon art. Mais m’y adonner à plein temps serait aussi effrayant. Pas simple», réfléchit le quadragénaire, assumant un certain côté brouillon, qui précise ressentir le besoin de laisser mûrir les choses pour parvenir à les exprimer sur toile ou sur papier. Et cela alors que le doute vient parfois freiner la créativité. «Il me faut construire du sens. Etre aligné avec ce que je raconte. Faire le vide. Un processus créatif complexe, difficile, mais dès que j’ai posé la première pierre, l’édifice suit», ajoute le Valaisan, indiquant avoir une «faible production» et entretenant avec la solitude intrinsèque à sa démarche une attitude ambivalente. «Elle m’est nécessaire et je la fuis par peur de m’y perdre. Je suis capable de me couper du monde.» 
Ludovic Chappex affiche parfois aussi de la retenue à montrer ses travaux. «Ils s’apparentent un peu à un journal intime, porteurs de détails, de souvenirs qui m’appartiennent», souligne celui qui se définit comme un optimiste nostalgique retournant volontiers dans un passé idéalisé, happé par une forme de mélancolie. Son imaginaire trouve aussi une plage d’expression dans les mandats réalisés pour différents commanditaires: création de décors pour des espaces culturels, d’affiches, de couvertures de livres et de vinyles, etc. Jouant de la guitare en semi-professionnel, le passionné s’engage encore dans la gestion collective d’une salle de cinéma-concert à Monthey, Le Kremlin, où avec d’autres «Vilains gamins», du nom de l’association responsable, il œuvre à l’organisation de différents événements. Autant d’activités qu’il apprécie.

Humilité de rigueur
Pour se ressourcer, Ludovic Chappex opte pour des balades. «Je pars souvent à vélo ou à pied dans le Chablais, qui recèle des endroits secrets, marécageux, incroyables.» Le silence, la campagne, les randonnées en montagne, les plans d’eau attirent cet amoureux de la nature qui a renoncé à la voiture. Et porte un intérêt particulier au monde végétal et aux animaux, qui habitent souvent ses dessins. «Je m’attache facilement aux éléments qui m’entourent, à la forêt, à la brise soufflant dans un feuillage... J’aime le monde animal dans son ensemble, des moutons au lynx en passant par les anguilles. Je ne cherche pas à délivrer de messages écologiques, mais pour ma part, je vis le plus simplement possible. Nous devrions tous nous montrer plus humbles, plus calmes, moins centrés sur nous-mêmes», invite le créatif, voulant croire à «l’insondable, à quelque chose de plus grand qui nous dépasse». Un univers sans limites dans lequel nous nous révélons insignifiants. «On appartient à un tout au-delà de l’imaginable. A l’être humain de ne pas tout ramener à lui. Les vers de terre, les champignons sont plus importants.» Dans tous les cas, Ludovic Chappex juge l’hypothèse de l’effondrement réaliste. Et s’efforce dans «ce vaste monde effrayant, bruyant» de ne pas céder à la panique, de garder le cap malgré l’accélération des changements. 

L’angoisse des départs
«Je me sens déjà parfois très vieux», lance le jeune quadragénaire, en dépit de sa personnalité curieuse et pleine de fraîcheur, de ce regard émerveillé qu’il parvient à garder sur la vie. Une attitude qui n’empêche pas cet homme sociable, aimant être entouré, de rester sur le qui-vive, peinant à se détendre, frayant avec une certaine insatisfaction. «Mon objectif? Accéder à la sérénité. Me réaliser. Rester sincère et présent pour mes proches», espère le Montheysan qui, s’il s’énerve peu – «J’ai davantage tendance à intérioriser mes colères ou à me fâcher contre moi-même» – se dit irrité par les personnes impatientes, celles qui se plaignent constamment ou encore les égocentristes. Et naturellement, complète-t-il, contre toutes formes d’injustices. 
Au chapitre de ses craintes, Ludovic Chappex mentionne son inquiétude de voir les siens souffrir. Il confie également avoir peur de lui-même. De ne pas parvenir à assumer sa nature complexe. Une exigence pourtant essentielle pour aller de l’avant: «Quand on est aligné avec soi, quand l’équilibre est trouvé, on est prêt à tout.» Ou presque... Ludovic Chappex confie son angoisse des départs. Des fins de soirées aux saisons qui se terminent en passant par les adieux qui le bouleversent et génèrent des vagues à l’âme. «J’ai du mal à laisser les choses s’en aller», soupire cet être sensible. Reste néanmoins son art pour garder des traces. Pour exprimer ses émotions. «Le dessin est une écriture avec d’autres mots, d’autres symboles. Dessiner, c’est comprendre ce qui se déroule sous nos yeux et le traduire.» Avec, souvent, cette singularité, cette pointe d’humour et de tendresse au bout de ses crayons qui font chanter les couleurs de ses illustrations...