Conservatrice-restauratrice, Marine Perrin prend soin de peintures sur toile, cuivre et bois de petits et moyens formats. Tout un art. Incursion dans son atelier genevois
Ni poussière, ni désordre. Les petits outils trouvent leur place dans un meuble fermé, les grands, rangés, dans des coins de la pièce. Les pigments sont bien alignés sur des étagères, les œuvres en attente de restauration emballées. Baigné d’une lumière blanche tamisée, l’atelier de Marine Perrin a un petit air clinique, aseptisé. Et la sympathique locataire, les talents d’une chirurgienne d’un genre particulier. Un médecin spécialisé dans la conservation et la restauration de peintures de chevalet, soit de petits et moyens formats. Penchée sur une icône vénitienne d’influence byzantine, la jeune femme, munie de gants, la manipule avec précaution, montrant les dégâts à réparer. Propriété d’un particulier, le tableau, daté de la fin du XVIe - début du XVIIe siècle, présente des fissures dues à une chute d’un mur. Si les écailles ont été récupérées, des comblements à l’aide d’un mastic – un mélange de craie et de colle animale – seront nécessaires. Mais ne brûlons pas les étapes. Avant toute intervention, la restauratrice se documente sur l’histoire de l’œuvre, les techniques utilisées pour sa réalisation et procède à son auscultation. Cette dernière est photographiée à la lumière du jour et ultraviolette, donnant alors des informations sur l’état de la surface et la fluorescence des matériaux: couleur, liant, vernis et éventuelles retouches antérieures. Elle est ensuite mise en anoxie, en clair, glissée dans une enveloppe hermétique spéciale en aluminium où elle demeurera deux semaines.
Matériaux réversibles
«Cette opération vise à priver d’oxygène les insectes xylophages et leurs larves, très gourmandes. Ces mangeurs de bois creusent de minuscules galeries», explique Marine Perrin qui, le délai d’étouffement terminé, entame le travail de restauration à proprement parler. Les lacunes remplies, elle effectue la réintégration à l’aquarelle avant d’appliquer le vernis. Une tâche minutieuse qui nécessite beaucoup de doigté. «On ne doit pas pouvoir déceler mon intervention, sauf à la lampe UV. Un œil averti sera alors en mesure de lire la retouche. La réintégration est ici illusionniste. On recourt uniquement à des matériaux réversibles. C’est un principe de base», relève la jeune professionnelle de 31 ans, précisant que les icônes, en tant qu’objets cultuels, de dévotion, bien que souvent repeintes, ne doivent souffrir aucune altération. «Mais celle-ci n’a été que peu reprise», poursuit la passionnée qui travaille aussi actuellement sur une petite peinture, un paysage de Munich réalisé dans les années 1880 et signée d’un artiste de l’école de Jean-Baptiste Camille Corot. Il s’agit là de «nettoyer» le tableau recouvert d’un vernis altéré. «Je vais le retirer et rendre de l’homogénéité à la composition. Epais, brillant, jauni par le temps, ce vernis ne joue plus ni son rôle de protection ni d’esthétisme.»
Dans la tête de l’artiste
Protégée par une hotte aspirante en raison de la toxicité des produits utilisés, la restauratrice effectue différents tests pour connaître la polarité du vernis. A l’aide de cotons-tiges imbibés dans des solutions de solvants, munie de lunettes binoculaires, elle effleure délicatement une infime portion de la toile, cherchant le juste dosage pour exécuter le dévernissage... Tout un art qui mettra aussi au final en valeur le «réveillon» de l’œuvre en l’occurrence, dans ce cas-là, un drapeau rouge perdu dans le paysage. «Le “réveillon”, en peinture, est une touche de couleur pure pour raviver, éclairer, rehausser un tableau», explique l’universitaire formée dans son domaine en France et à Bruxelles. Pour réussir ses interventions, elle est appelée à s’approcher au plus près de la démarche de l’auteur et doit maîtriser le dessin et les techniques picturales. Dans ce sens elle effectue souvent des copies, recherchant le geste du créateur. «J’essaie d’entrer dans la tête de l’artiste. Je me documente pour connaître sa vie, son parcours. Tente de comprendre ce qui l’a inspiré, s’il s’agit d’une commande ou non. D’une manière générale, je passe beaucoup de temps avec l’œuvre.» Et encore plus quand celle-ci ne lui plaît pas...
Sang-froid
«Je l’étudie alors encore plus à fond pour l’apprivoiser. Parfois, c’est pareil avec une personne. Il faut mieux la connaître pour l’apprécier. Dans tous les cas, la déontologie prime sur le sentimental.» Et Marine Perrin de relever que ses interventions peuvent se réduire à de simples gestes techniques. Comme, par exemple, de minuscules points de colle pour suturer une toile déchirée... Jamais de ratés? d’erreurs? «Je suis hyperprudente, calme et concentrée. Les jours de nervosité, je renonce. Je dois toujours garder mon sang-froid», déclare cette jeune femme délicate et réservée, qui continue à suivre régulièrement des stages pour élargir et actualiser ses connaissances. Avec un plaisir à chaque fois renouvelé, son métier relevant de la passion. «J’aime l’aspect pluridisciplinaire de la profession, son lien avec les artistes, l’histoire de l’art et des techniques picturales, la chimie, la physique, les langues – l’italien et l’anglais – le droit du travail. Cette diversité m’a attirée. Et, bien sûr, j’adore la peinture mais je ne suis pas une créative même si je dispose d’une marge ténue de réinterprétation. Je ne ressens aucune frustration. Il y a toujours eu des personnes exécutant des réalisations pour des maîtres.» Et, à son image, des restaurateurs doués d’une grande sensibilité artistique et capables de redonner une lisibilité à une œuvre. Une contribution de l’ombre, inestimable, à la préservation du patrimoine...
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