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L’énergie du désespoir

Portrait de François Jakob.
© Olivier Vogelsang

François Jakob, prêt à poursuivre la résistance pacifique et à retrousser ses manches pour apprendre à isoler une maison.

Le militant climatique François Jakob se bat pour un plan de rénovation massif des bâtiments… pour tenter d’éviter le mur

En avril, il était l’une des dix-huit personnes à bloquer trois autoroutes près de Lausanne et de Berne, ainsi que le pont du Mont-Blanc à Genève. Avec, à la clé, une médiatisation inespérée de la question de la rénovation du parc immobilier suisse. Depuis plusieurs mois, François Jakob donne tout son temps à la campagne intitulée Renovate Switzerland qui s’insère dans un mouvement international pour le climat. «On ne s’attendait pas à un tel écho. Nous ne sommes qu’une quarantaine et jamais plus de huit sur la route à chaque action.» Le jeune homme sourit: «J’ai l’impression qu’on a réussi à amorcer un sursaut d’espoir. Non pas encore celui de sauver le monde de la catastrophe climatique, mais au moins celui d’une petite victoire afin de créer un cercle vertueux pour que le mouvement grandisse, à l’image des Freedom Riders.» Du nom de cette poignée de femmes et d’hommes qui se sont battus avec succès pour les droits civiques aux Etats-Unis.

Un plan national

La force de Renovate Switzerland est de proposer un axe clair et concret de mesures: «Notre demande à la Confédération de débloquer des fonds massifs pour la rénovation des bâtiments et la formation dans les métiers de la construction est une des rares démarches liées à la crise climatique où tout le monde en sort gagnant: les locataires, en baissant leurs factures énergétiques, les propriétaires en les soutenant dans leurs rénovations et les travailleurs par la création de milliers d’emplois.» Interpellée par le mouvement, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a répondu qu’une offensive avait été lancée en début d’année, pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur du bâtiment. «Mais, dans les faits, il ne se passe quasi rien, déplore François Jakob. Le plan de la Confédération suppose qu’on a un siècle pour rénover. On n’est donc pas en train de tout faire pour sauver ma génération et les suivantes. A aucun moment, les politiques chiffrent ou posent des objectifs ou se demandent si on va y arriver ou pas. C’est criminel», s’insurge le Neuchâtelois, résidant à Bienne, qui a commencé à militer avec Extinction Rebellion. Il a notamment participé, en coulisses, à la rébellion de Zurich l’automne dernier. Et fait partie des 200 activistes («procès des 200») à être jugés à Lausanne à la suite de plusieurs blocages pacifiques en 2019. «Je ne fais pas opposition à toutes mes amendes. Pour l’instant, ma stratégie est de ne pas les payer puisque je n’ai pas d’argent. On verra si je finis en prison. On est en Suisse, ça va. C’est un peu chiant administrativement et cela fait perdre du temps, mais ce n’est pas grand-chose au fond», dit-il, détaché, sa conscience écologique lui permettant de se connecter à l’essentiel, le respect de la vie, la survie de l’humanité...

Militant à plein temps

L’universitaire a arrêté ses études d’anthropologie – choisies car l’humain dans toute sa diversité le passionne – pour militer à temps plein. Il dépense très peu, vit sur de petits boulots ponctuels et le soutien de sa famille vigneronne. François Jakob a grandi dans les vignes d’Auvernier et a très tôt été confronté à la force des éléments. «Je me souviens en 2013 de la grêle qui a détruit le raisin de l’année. On se sent très petit face à ce genre d’événements. Et d’autant plus quand on sait que cela va devenir de plus en plus fréquent… Je suis angoissé et désespéré. C’est ce qui me fait agir. Avant tout pour sauver mes proches et mon village, même si, bien sûr, nous ne serons pas les premiers à souffrir.»

Soulignant le risque des points de basculement – difficile à prédire ou même de savoir s’ils sont déjà arrivés – qui ont pour conséquence un emballement des phénomènes climatiques extrêmes, il indique avec un calme paradoxal: «On est à un tournant. C’est juste inimaginable ce qui nous arrive dessus. Si on atteint les 3 degrés de réchauffement, ce sont 3,5 milliards de personnes qui ne pourront plus vivre sur leur territoire, selon les théories des niches écologiques. Or, dans dix ans, ce sera trop tard pour agir.» Si les risques liés au blocage d’une route deviennent dès lors dérisoires, le militant confie ressentir une certaine peur avant toute action. «Il y a toujours un stress d’être blessé ou d’être agressé. Mais cela n’est encore jamais arrivé physiquement. On apprend la vulnérabilité et on a des outils pour permettre la désescalade d’un potentiel conflit. La haine se déverse plutôt verbalement et sur les réseaux sociaux. Pour ma part, je préfère ne pas lire ces messages. D’autres camarades par contre essaient d’y répondre, et il est même arrivé qu’ils reçoivent des excuses…»

Et d’expliquer: «Nous bloquons pour alerter, ouvrir un espace médiatique, faire que la crise du siècle ne soit pas ignorée.» Pour François Jakob, chaque petite victoire de désobéissance civile compte, par son «potentiel de mobilisation et d’accélération». L’activiste rappelle encore l’importance de développer une culture basée sur l’égalité et la justice pour éviter le chaos et les guerres face aux difficultés qui s’annoncent.

«J’ai eu le privilège de faire des études qui m’ont appris beaucoup. Mais toutes ces connaissances manquent de concret. Ça me soulagerait de retrousser mes manches et d’apprendre à isoler une maison, si nos demandes étaient entendues.» Pour l’heure, il est prêt à continuer la résistance civile pacifiste et voit d’un bon œil la multiplication des campagnes pour le climat. «C’est le signe d’un mouvement vivant. Quant à la méthode, pour ma part, je reste convaincu par la non-violence classique, à l’image de Gandhi et de Martin Luther King pour ne citer qu’eux.»

Pour plus d’informations aller sur: renovate-switzerland.ch