Les bas et moyens salaires toujours plus mal lotis
L’Union syndicale suisse a présenté son nouveau rapport sur l’évolution des salaires et réclame un changement de cap. Seuls les très hauts revenus et les ménages aisés figurent au rang des gagnants
Pour la quatrième année consécutive, les salaires réels sont en baisse, tenant compte de l’inflation: voilà le constat tiré par l’Union syndicale suisse (USS) qui a récemment présenté son nouveau rapport sur la répartition des rémunérations, de la fortune et des charges fiscales. Selon ses conclusions, la politique des revenus de la Suisse fait clairement fausse route. Et pénalise les classes moyenne et basse subissant de plein fouet l’augmentation des primes maladie et des loyers.
«Les travailleuses et les travailleurs risquent de connaître une décennie perdue. Aujourd’hui, les salaires ne sont pas beaucoup plus élevés qu’en 2016 en valeur réelle. En effet, de nombreux employeurs ont certes facturé des prix plus élevés à leur clientèle, mais sans juger bon d’accorder à leur personnel la compensation du renchérissement», a critiqué la faîtière, tout en soulignant en revanche que les cadres et les plus hauts revenus (1% des salariés) gagnent pour leur part 3000 francs supplémentaires par mois. Et que plus de 4000 personnes perçoivent un salaire annuel égal ou supérieur à un million de francs. Un nombre qui, note Daniel Lampart, économiste en chef de l’USS, a doublé en vingt ans. «L’individualisation de la politique salariale bénéficie de manière disproportionnée aux cadres et aux top managers», a affirmé le spécialiste, non sans dénoncer une politique fiscale favorisant les personnes argentées et les entreprises au lieu de soutenir les revenus normaux. «Les cantons se sont remis à réduire les impôts sur le revenu de la fortune et de nouvelles baisses sont à l’ordre du jour.»
Un impôt par tête...
Parallèlement, a insisté l’USS, les primes d’assurance maladie grèvent toujours plus le budget des revenus inférieurs et moyens. «L’impôt par tête qu’est la prime maladie coûte aujourd’hui, à une famille de quatre personnes, plus de 1000 francs par mois – même avec un modèle du médecin de famille ou un autre modèle alternatif», a chiffré Daniel Lampart. Président de l’USS, Pierre-Yves Maillard, s’est indigné de la non-prise en compte des primes maladie dans le calcul du renchérissement au motif qu’il s’agit d’un prélèvement obligatoire par des institutions privées. Et cela alors que ces primes affectent directement le pouvoir d’achat. «La baisse des salaires réels vécue depuis le retour de l’inflation est sans précédent depuis la guerre», a-t-il indiqué, tout en revenant sur l’adoption en votation de la 13e rente AVS le 3 mars et les commentaires «très étonnés» générés par ce résultat. «Ce n’est pas le peuple suisse qui a changé, mais la réalité dans laquelle il vit. La décennie écoulée a amené une grande partie de la population de notre pays dans une situation où, malgré un travail intensif, voire plus intensif qu’avant, elle ne met plus rien de côté et consacre ses revenus à payer le strict nécessaire et les charges fixes...»
Et le Vaudois de souligner encore que le rapport établi par la faîtière examine la situation financière de ménages types et se fonde sur une base de données d’au moins un million d’observations. Dans ce sens, il serait plus fiable que les analyses menées par la Confédération qui concernent à peine 4000 ménages. «Notre rapport sur la répartition essaie de rendre justice à la réalité du pays. Il ne se contente pas de moyennes trompeuses.»
Campagnes salariales en vue
Dans ce contexte, l’USS préconise une hausse significative des salaires réels normaux ou bas. Les syndicats estiment que les personnes au bénéfice d’un apprentissage ne doivent pas gagner moins de 5000 francs par mois. Et que toutes les rémunérations ne sauraient se situer sous un seuil de 4500 francs. «Pour que le retard accumulé en matière de salaires soit compensé, il faut de substantielles augmentations, en particulier pour les revenus bas et moyens et dans les branches où travaillent une majorité de femmes. Nous placerons la question salariale au centre cet automne, dans les entreprises et dans la rue», a déclaré Vania Alleva, vice-présidente de l’USS et présidente d’Unia, détaillant les branches dans lesquelles les employés ont été confrontés à des pertes de rémunération réelle entre 2019 et 2024: -1,1% dans le commerce de détail, -1,2% dans l’hôtellerie-restauration, -2,3 % dans l’industrie alimentaire et -2,8 % dans la chimie et la pharma.
Cette situation, a-t-elle encore illustré, s’est traduite, pour une employée de commerce de détail ou des soins – figurant dans la tranche de revenus la plus basse – par 120 francs de revenu disponible en moins par mois, entre 2016 et 2024, en raison de la hausse des loyers et des coûts de l’assurance maladie. Elle a aussi cité le cas des travailleurs de la construction dont près de la moitié n’ont bénéficié d’aucune majoration de leur rémunération malgré des chiffres d’affaires «records» dans le secteur. «Leur salaire s’est, au contraire, réduit de plus de 2%. La plupart de ceux qui ont reçu une augmentation obtiennent moins que le renchérissement. Ainsi, 90% des travailleurs de la construction subissent une perte de salaire réel.» Vania Alleva a aussi plaidé pour un retour à la compensation automatique de l’inflation, «remplacée dans de nombreuses entreprises par des mécanismes salariaux individualisés».
Un correctif possible puissant
L’USS se positionne par ailleurs en faveur de l’initiative d’allègement des primes maladie qui sera tranchée dans les urnes le 9 juin. Cette proposition prévoit leur plafonnement à 10% des revenus. «C’est un correctif possible puissant... Il faut saisir cette opportunité, car il n’y aura plus de votation sur la question durant au moins les cinq prochaines années», a prévenu Pierre-Yves Maillard. La faîtière syndicale s’oppose par contre aux baisses des impôts sur le revenu et la fortune prévues, qui «améliorent encore la situation de personnes qui n’en n’ont pas besoin».