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Les ouvriers à travers l’instantané

Dans le Centre industriel de réalité virtuelle.
© Gamma Rapho/Alain Denantes

Centre industriel de réalité virtuelle à Montoir-de-Bretagne, inauguré le 14 novembre 2014.

L’ouvrage "Une histoire vivante des ouvriers" nous invite à plonger au sein du passé du monde des travailleurs en s’interrogeant aussi sur les enjeux du temps présent

L’auteur de cette publication, Bernard Chambaz, est romancier, poète, historien. Il a notamment reçu le prix Goncourt du premier roman en 1993. Cet écrivain a imprimé sa marque à ce recueil exceptionnel de photographies commentées avec brio grâce à son élégante plume. On y retrouve érudition et sensibilité, points de vue historique et esthétique. Comme lecteur, nous découvrons les images du livre grâce aux connaissances, aux analyses, mais également au regard personnel, souvent attendri, ému et plein d’empathie d’un passionné d’histoire sociale. Au cœur des 224 pages de l’ouvrage, ce sont les travailleurs qui sont à l’honneur. Un monde du travail fréquemment en action, dans ses grands et ses petits moments. Bernard Chambaz nous invite par conséquent à parcourir ‒ par le biais d’une centaine d’instantanés pris sur le vif ‒ les heures de gloire et celles de désespoir face aux remous de l’histoire du mouvement ouvrier durant le XXe siècle. Un mouvement ouvrier que l’on voit souvent face à l’adversité, mais aussi empli de solidarité et qui connaît, pour sa part, la valeur du mot «travail». De l’établi à l’usine, le lecteur se retrouve en immersion au sein d’un univers et d’une culture.

Dignité au travail

Avant tout, ainsi que le montre la première photographie du livre, l’ouvrier est bien souvent une ouvrière. Et, l’auteur a été attentif, au fil des pages, à mettre en valeur la part des femmes dans les processus de production. En regardant l’image de 1906 au début de l’ouvrage, on voit des sardinières occupées au séchage du poisson dans l’ouest de la France. Toutes vêtues d’un tablier, elles travaillent pour l’entreprise Vallière qui engageait, d’une façon saisonnière, une soixantaine d’employées rémunérées à la pièce, c’est-à-dire au millier de sardines emboîtées. Ces femmes, concentrées sur leur tâche ou regardant l’objectif, incarnent un exemple de la dignité au travail alors qu’elles sont en train d’effectuer une journée pouvant aller jusqu’à 16 heures d’activité professionnelle.

Force physique et sociale

En observant le corpus de photographies sélectionnées, ce qui marque également est la force physique de ces corps de travailleurs, tel cet ouvrier allemand, la pelle sur l’épaule, souriant, semblant représenter le miracle économique germanique du début des Trente glorieuses. Cette force s’exprime aussi par de nombreuses réussites, des fiertés. De la sorte, le 5 avril 1962, des ouvriers italiens et leurs camarades suisses exultent: ils viennent de finir le percement du tunnel du Grand-Saint-Bernard. Et, bien entendu, la force s’exerce aussi à un niveau collectif par la mobilisation à travers des assemblées, des grèves, des manifestations ou des occupations d’usines. Le lecteur ressent les grands épisodes de l’histoire comme le Front populaire en France (1936) qui constitue, comme le mentionne avec justesse Bernard Chambaz, «une expérience majeure caractérisée par l’irruption du monde ouvrier, sinon de la classe ouvrière, sur le devant de la scène». Ces événements constituent aussi un temps de joie, de fraternité. Aussi, le livre nous montre des travailleurs dansant au son de l’accordéon ou, quelques années plus tard, s’adonnant aux joies du camping, après l’obtention de deux semaines de congés payés par année.

Une histoire tournée vers l’avenir

Le monde ouvrier comporte également ses rites de sociabilité. Aller dans un café à la fin d’une journée de travail fait figure, à travers le temps, de pratique usuelle. Sur une image des années 1940, on y voit des ouvriers jouant aux cartes. Le football et la fanfare tiennent aussi historiquement une place importante. A Lens, dans le nord de la France, le lecteur aperçoit des mineurs jardiner. Cultiver son lopin de terre demeure souvent une aspiration populaire. Néanmoins, les logements se transforment. Pour exemple, une photographie de 1963 prise à Sarcelles montre la création des grands ensembles dans la banlieue parisienne. Les années 1980-2000 se caractérisent par des photographies de démantèlements d’usines, et de mobilisations face aux pertes d’emplois. Dans un petit village de la Sarthe, en France, les employés de Moulinex organisent une manifestation «ville morte» à la suite de la volonté de fermer l’usine. L’ensemble des habitants de la localité y participent. Un enfant tient une pancarte: «Mon papa, ma maman n’a plus d’usine.» Bernard Chambaz conclut son ouvrage en suggérant que les années 2019-2020 ont peut-être changé la donne concernant les discours sur le déclin du monde ouvrier. Il affirme: «Si la distinction cols bleus vs cols blancs avait pris du plomb dans l’aile avec la fin de l’époque industrielle, elle semble reprendre des couleurs avec la pandémie», la crise sanitaire ayant rappelé le rôle essentiel du travail réalisé par les ouvriers et les ouvrières. Chambaz se tourne donc vers l’avenir à la fin de son livre, dont de nouvelles pages sont désormais à écrire.

Couverture du livre.
Bernard Chambaz, Une histoire vivante des ouvriers, Editions du Seuil, 2020, 224 p.

 

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