Lors d’un débat organisé par Unia à Genève, les syndicats ont confirmé leur volonté de se battre contre le nouvel accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne
«Nous refuserons toute tentative de baisser les salaires en Suisse.» Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d’Unia Genève, s’est montré catégorique lors d’un débat sur la libre circulation organisé le 25 janvier dernier. «L’accord-cadre institutionnel négocié entre la Suisse et la Commission européenne représente une attaque très claire contre les salariés et les conditions de travail, et malgré les pressions que nous subissons, nous ferons de cette lutte l’une des priorités de 2019.»
Pour rappel, cet accord-cadre, négocié en catimini entre l’Union européenne (UE) et le Conseil fédéral et salué par les milieux patronaux, comporte quatre grands axes. D’abord, celui qui concentre toute l’attention des médias – au grand dam des syndicalistes –, le passage de huit à quatre jours du délai d’annonce du personnel détaché venu travailler en Suisse, entravant la surveillance de leurs conditions de travail; l’affaiblissement du système des cautions imposées aux entreprises décrochant un marché en Suisse afin de prévenir les cas de dumping; la baisse de la protection contre les faux indépendants qui ne jouent pas le jeu; et enfin, la reprise à terme des directives européennes en matière de détachement, soumettant ainsi nos dispositifs de contrôles à la Cour de justice de l’Union européenne, qui pourrait exiger leur démantèlement si cette instance estime que la libre concurrence est entravée. En résumé, cela consiste à démanteler toutes les protections obtenues à travers les mesures d’accompagnement afin de rendre pérenne la libre circulation des personnes.
L’humain avant le profit
«Nous sommes pour la libre circulation des personnes, qui est un acquis positif, pour entretenir une bonne relation avec l’UE, et pour un accord-cadre, mais pas celui-ci, insiste Vania Alleva, présidente d’Unia. Nous ne pouvons pas accepter un accord mettant en danger la protection de nos salaires, nos mesures d’accompagnement ainsi que tout notre système de CCT. Il y a des lignes rouges à ne pas dépasser.» Les syndicalistes autour de la table, qui prônent une Europe d’abord sociale et unie, se réjouissent des nombreux soutiens reçus par les autres syndicats européens. Et ils insistent: ils ne sont pas dans une position de fermeture. «On nous met dans le même camp que l’UDC et on nous accuse de faire du nationalisme, regrette Pierre-Yves Maillard, président désigné de l’USS. L’UDC est pour la libéralisation des services publics, la hausse de l’âge de la retraite et contre les mesures d’accompagnement. Nous, syndicats, pensons que nous avons des intérêts à coopérer à l’international, mais que ceux de nos membres et des travailleurs de ce pays passent en priorité. L’Europe comme projet n’est pas un dogme absolu. Soit la libre circulation se met au service des travailleurs chez nous, de quelque nationalité qu’ils soient, soit elle les affaiblit et, dans ce cas, on doit oser dire non!» La devise syndicale reste celle de toujours: à travail égal, salaire égal.
Mépris de classe
Une position ferme dont se réjouit Manuela Cattani, secrétaire générale du Sit à Genève. Cela dit, cette dernière pense que si on en est arrivé là, c’est parce que les syndicats au niveau suisse ne se sont pas assez battus contre l’initiative sur l’immigration de masse. «A Genève, notre campagne offensive a permis de faire refuser l’initiative de l’UDC à 60%. Le positionnement syndical au niveau national a été, lui, insuffisant, et aurait dû être bien plus offensif...» Un sentiment loin d’être partagé par Vania Alleva qui rappelle que les syndicats ont mené une «bataille claire» et que, depuis ce fameux 9 février, «nous n’avons jamais lâché dans nos revendications».
«On le voit actuellement en Europe, les populations souffrent de politiques néolibérales très concrètes qui créent violence et insécurité sociale, ajoute Alessandro Pelizzari. Les Gilets jaunes en France ne sont qu’un exemple de cette souffrance et du mépris de classe de la part des dominants. On ne peut que constater que ceux qui décident ne sont pas ceux qui subissent.» Pas question, donc, de faire le jeu des patrons, qu’ils soient suisses ou européens, de baisser le coût de la main d’œuvre en Suisse. «Quand on regarde en détail la directive sur le travail détaché pour les travailleurs de l’UE, ajoute Manuela Cattani, on se rend compte que c’est le droit des entreprises de circuler et de se développer qui prime, pas celui des travailleurs.» En effet, le texte stipule que le travailleur détaché doit être payé au salaire minimum du pays, et pas de la branche. Quant aux cotisations sociales, elles doivent être payées selon les normes du pays d’origine et non pas du pays d’exercice. «L’accord-cadre est influencé par cette vision et on ne peut pas laisser l’Europe décider à notre place.»