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Mémoire de cœur et d’acier

Tubize, 5 février 1996. Manifestation pour le maintien des Forges.
Image tirée du livre "Solidaire"

Tubize, 5 février 1996. Manifestation pour le maintien des Forges.

Dans son livre, l’infatigable syndicaliste belge Silvio Marra retrace ses combats les plus marquants

Silvio Marra vient de Calabre. Il est né en 1946, dans une famille de paysans. Ce mécanicien de formation arrive en Belgique, au début des années 1970. Il travaillera de 1972 à 1997 aux Forges de Clabecq, une usine sidérurgique qui regroupe 5000 employés à son arrivée, 6000 deux ans plus tard. Il adhère alors au syndicat FGTB d’obédience socialiste, bien que lui-même se situe plus à gauche. En 1979, ce militant est élu délégué syndical et membre du comité sécurité et hygiène. Dès lors, son engagement devient extrêmement conséquent, s’impliquant d’une façon exemplaire. Un de ses buts essentiels: la prévention des accidents. Il sensibilise ainsi aux risques en soulignant, par exemple, le besoin d’investissements dans le matériel, afin de le rendre plus sûr. Le bruit, la toxicité des produits sont notamment ses chevaux de bataille. Il réussit à imposer la prise en compte des enjeux sanitaires concernant, entre autres, les achats en vue du travail à l’usine. Masques, gants, filtres, bouchons pour les oreilles, lunettes de sécurité: autant d’avancées en termes de protection du personnel. Lorsque des collègues sont accidentés, malades, âgés ou handicapés, Silvio Marra tente de les reclasser, pour leur éviter la mise au rebut. Il recense aussi les taux de fréquence et la gravité des accidents au sein des entités de l’usine. Le travail paie: le nombre de morts diminue.

Ensemble dans le syndicalisme

L’engagement présenté est ancré dans les luttes sociales qui marquent alors la Belgique, en particulier le combat contre la xénophobie. Comme l’énonce une affiche de l’usine: «Le racisme, ce poison qui divise la classe ouvrière.» Silvio Marra veille ainsi à ce que les étrangers puissent accéder aux postes de contremaîtres, en favorisant, à son niveau, les critères d’ancienneté, plutôt que ceux de la langue ou du diplôme. Lors de l’élection des représentants syndicaux, il participe au fait que des candidats de toutes origines se présentent sur les listes. Surtout, il revendique et met en pratique un syndicalisme dont les fondements reposent sur la participation active de tous. En tant que délégué, il estime ne pas pouvoir faire à la place mais avec la base. Par conséquent, il est sans cesse sur le terrain, écoutant, dialoguant, mobilisant, mais aussi ébauchant des horizons pour la mobilisation, guidant les discussions. Son instinct de syndicaliste est toujours aux aguets, avec un style direct, percutant. Toutefois, il sait également adopter des positions de retrait, si les choix stratégiques l’imposent.

La mobilisation continue

Les derniers chapitres sont consacrés à la lutte pour la survie des Forges de Clabecq. Un certain nombre d’épisodes rocambolesques apparaissent, et un combat fort, intense. Une solution de recapitalisation aurait pu être trouvée en 1996, permettant de faire tourner l’usine entièrement jusqu’au début des années 2000. La proposition venait de la Région wallonne. Elle a été bloquée par la Commission européenne estimant cette aide étatique «illégale», provoquant un dépôt de bilan. Silvio et ses collègues continuent le combat, cherchant à élargir les soutiens en faveur des travailleurs. Dans cette optique de convergence des luttes, ils organisent une grande marche pour l’emploi et contre les exclusions. Résultat: un immense succès regroupant des dizaines de milliers de personnes. Puis le conflit s’enlise. En 1998, l’activité industrielle redémarre. Mais de nombreux militants syndicaux ne sont pas engagés lors de la reprise…

L’épilogue pour Silvio Marra et douze autres travailleurs se résume à la tenue d’un procès. 43 chefs d’accusation sont retenus contre eux (violence, rébellion…). En réponse, 450 artistes, des étudiants, toute une partie de la société civile se mobilisent. Après trois ans et demi de procédures, une soixantaine d’audiences, le 22 mai 2002, les prévenus sont tous acquittés. La foule aux abords du Palais de justice de Bruxelles éclate de joie.

Une lutte historique

Cet ouvrage aborde aussi le thème des rapports entre les appareils syndicaux et leur base, relations parfois sous tension. Ainsi, la délégation des travailleurs de l’usine s’est trouvée isolée à certains moments. Le narrateur évoque également le traitement fait par les médias des différentes actions syndicales. En effet, il a souhaité gagner la bataille de l’opinion. Ce livre nous plonge dès lors au cœur d’une mémoire. Il faut écouter Silvio Marra nous raconter son histoire. Ce récit, c’est aussi celui de l’abandon partiel d’une richesse industrielle en Europe: la sidérurgie. La chute finale concerne une usine, et donc des travailleurs, des familles, une région. Mais le combat des travailleurs des Forges restera comme l’un des moments marquants du syndicalisme européen. Un passé plein d’actualité.

Françoise Thirionet & Silvio Marra, Moi, Silvio de Clabecq, militant ouvrier, Agone, 2020, 160 p.

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