Témoignages
«La Suisse peut faire beaucoup mieux»
Il y a une quinzaine d’années, Gouled quittait sa terre natale, la Somalie, pays en proie à une guerre sans fin. Comme tant d’autres de ses compatriotes, il a traversé le désert, la Libye et la Méditerranée jusqu’à Lampedusa, avant d’arriver en Suisse. Malgré la dureté et les risques mortels de cette route migratoire, il n’hésiterait pas à la refaire. «Quand on est en proie à la guerre, aux insécurités, aux camps de réfugiés pleins dans les pays voisins, parfois bombardés, sans aucune perspective d’avenir, on n’a pas d’autre choix que de partir.» Aujourd’hui interprète communautaire, le polyglotte connaît les épopées tragiques de nombreuses autres personnes. «Tous essaient de survivre, de sauver leur vie, leur famille. C’est une très petite minorité qui arrive jusqu’ici. La plupart reste sur place ou dans les pays voisins. Empêcher les gens de venir en Europe n’est pas une solution. On peut investir dans les pays d’origine, mais payer des policiers pour bloquer les frontières, cela n’a pas de sens. Toute personne a le droit d’être protégée.» Et d’évoquer celles qui meurent à la suite de refoulements illégaux aux frontières européennes, notamment entre la Grèce et la Turquie. «Des migrants racontent comment ils ont été maltraités par des policiers, même dans des pays qui ont eux-mêmes subis la guerre. Comment peuvent-ils empêcher d’autres gens de trouver refuge? En général, en tant que migrant on ne sait pas si c’est Frontex, des gardes-frontières, la police…» Il rappelle aussi à quel point le parcours d’un requérant d’asile est semé d’embûches même ici en Suisse. «On lui rend la vie très très difficile, comme si le système était contre lui. Par exemple, en l’attribuant au canton de Schaffhouse, alors qu’il a de la famille à Genève qui pourrait le soutenir et l’aider à trouver un travail. Ce serait un atout pour la personne, et pour la société. La Suisse peut faire beaucoup mieux, et l’accueil des Ukrainiens le prouve. C’est possible d’avoir une politique migratoire plus humaine!»
«J’ai pensé que c’était la fin»
«Notre bateau a commencé à couler. J’ai pensé que c’était la fin. Et, à ce moment, j’ai vu un navire. C’était SOS Méditerranée. Il nous a sauvés, mais certaines personnes sont mortes noyées.» Samuel* témoigne de cette traversée mortelle, de l’attente des secours durant 14 heures des 500 personnes piégées après que le moteur a pris feu. «On a appelé Alarmphone. On a eu de la chance. Il y a sept ans, c’était plus facile de recevoir de l’aide qu’aujourd’hui. Je connais des situations où personne n’a pu être sauvé. Cela ne devrait pas se produire», s’indigne Samuel qui a, par la suite, recueilli à son tour des appels de détresse. «On aide comme on peut, en transférant les coordonnées de leur position aux gardes-côtes. Chaque situation est compliquée.» L’Erythréen précise que cette traversée reste inéluctable pour celles et ceux qui la tentent. «Je le referais, malgré ce que j’ai vécu. Personne ne prend ce risque s’il n’est pas en danger de mort dans son pays. Quant à la Libye, je connais, c’est l’enfer.» Après une année de périple, Samuel a débarqué en Italie, puis en Suisse. Là, le combat a continué pour être reconnu comme réfugié. Pendant deux ans, son permis N l’a empêché de travailler et d’avoir accès à des cours de français. Il est alors logé dans un bunker, dont il garde encore des dommages physiques. «J’ai perdu deux ans de ma vie et une partie de ma vue à cause des néons allumés toute la nuit au-dessus de mon lit». Puis, Samuel a obtenu un permis B, ce qui lui a permis de faire un apprentissage. Aujourd’hui, il travaille et continue sa formation. «Beaucoup de mes compatriotes ont, quant à eux, un permis F. Ce sont comme des poulets avec une corde à la patte qui les retient. Ils ne peuvent pas voyager dans les pays voisins, même par exemple pour aller au mariage d’un cousin en France ou en Allemagne. Et c’est compliqué de trouver un employeur prêt à vous engager quand l’admission est provisoire.»
* Prénom d’emprunt.