Plus de 1300 maçons vaudois se sont réunis à Lausanne vendredi. Ils sont en colère! Et rejettent, unanimes, les attaques violentes des entrepreneurs de la SSE contre leurs conditions de travail. Ils ont décidé de débrayer durant deux jours en novembre
La nuit automnale commence à tomber. Sur les marches du Palais de Beaulieu à Lausanne, ce vendredi 5 octobre, des maçons attendent leurs collègues venant de tout le canton de Vaud. «Je suis là parce qu’il ne me reste plus que 10 ans avant la retraite anticipée. Et je crains qu’elle n’existe plus», explique Jean*, contremaître en génie civil dans une entreprise du Chablais. «Il y a aussi ces 50 heures qu’on veut nous imposer. Ce n’est pas normal! Déjà, les gars doivent souvent prolonger leurs journées, jusqu’à 19h ou 20h. Ils râlent. Ces heures supplémentaires ne sont pas payées. Elles sont reprises en congé. Si je suis prêt à poser mes outils? Oui, je vais à la confrontation!» Antonio*, machiniste portugais, arrivé il y a 16 ans en Suisse, est aussi remonté. «Je suis là pour faire la guerre! Ils nous bouffent déjà la viande, maintenant ils vont nous bouffer les os! Et il y a autre chose: chaque année on entend que les patrons font de gros bénéfices, et les ouvriers n’ont rien. Chaque année, on perd de notre pouvoir d’achat, on a moins d’argent. L’année passée par exemple, j’ai eu 100 francs d’augmentation de primes maladie pour ma famille, et ça fait plusieurs années qu’on n’a pas été augmentés. Ça devrait être du donnant-donnant, on travaille dur, par tous les temps, ils nous mettent toujours la pression et on ne gagne rien de plus. Et ils veulent qu’on bosse encore plus! Je suis là pour maintenir tous nos acquis et contre les 50 heures.»
Devant le Palais, les conversations augurent d’une chaude soirée. Les cars affrétés par Unia arrivent peu à peu. D’Yverdon, d’Echallens, de Payerne et Moudon, d’Aigle, de Vevey, de Nyon, de Morges. Il fait nuit. Des centaines de maçons investissent les lieux pour assister à l’assemblée de la construction vaudoise. Ils sont plus de 1300 dans une salle bondée. «On a des choix très importants à faire. On doit défendre notre Convention nationale (CN) qui subit des attaques. Nous allons faire le point sur la situation. Non, ce n’est pas une situation, c’est une catastrophe», introduit Bruno, président du Comité des maçons vaudois d’Unia. Et de lancer: «N’oubliez jamais: unis nous sommes forts, unis on peut gagner!»
Retour 40 à 50 ans en arrière…
Devant les travailleurs, Pietro Carobbio, responsable du gros œuvre à Unia Vaud, rappelle les enjeux et présente le résultat des négociations menées le 3 octobre entre les syndicats et la Société suisse des entrepreneurs (SSE) pour le renouvellement de la CN qui arrive à échéance en décembre. «Tous nos droits sont dans notre CN. Ceux qui veulent les remettre en cause ne savent pas ce que c’est de travailler dans les chantiers. Si on n’aboutit à rien en fin d’année, on se trouvera dans une situation très difficile. Les patrons pourront payer n’importe quel salaire et faire bosser les gens comme bon leur semble. Nous avons deux mois pour faire changer les choses. Si on perd cette bataille, on risque de revenir 40 ou 50 ans en arrière.»
«Pourtant, poursuit-il, le secteur de la construction se porte bien. Les commandes sont à la hausse.» Le syndicaliste revient sur les trois points en jeu: le maintien des acquis de la retraite à 60 ans, une hausse des salaires conséquente (de 100 francs en 2019 et de 100 francs en 2020), et la défense de la CN face aux revendications inacceptables de la SSE comme la semaine de 50 heures ou le contrat de «stagiaire» légalisant le dumping (voir encadré ci-contre). «A la séance du 3 octobre, les patrons sont revenus sur leur proposition de hausse des salaires de 150 francs. Ils ne veulent les augmenter que de 0,75%, soit 42,75 francs par mois pour un salaire moyen! En plus, ils nous disent que pour maintenir les acquis de la retraite anticipée, nous devons accepter tout le paquet. C’est à prendre ou à laisser!»
«La grève, et pas qu’un jour»
La discussion est lancée. Un déferlement de colère surgit des rangs des maçons. Le mot grève est sur toutes les lèvres. «Que fait un bonhomme de 60 ans sur un chantier?» lance un ouvrier. «Ça fait des années que je paie pour ma préretraite. S’ils la gèrent mal, c’est à eux de trouver une solution. Ils veulent qu’on travaille encore plus? J’ai 53 ans, qu’un patron vienne sur mon chantier. Après une semaine, il est raide! Il ne fait plus rien!» s’indigne un autre. «Il ne faut pas se voiler la face, si on fait grève, on doit la faire avec de l’impact et pas que sur Vaud, il faut se relier avec les autres cantons. Il faut la faire tous ensemble et avoir le courage de la faire vraiment. Unia doit nous appuyer, et aussi aller sur les grands chantiers, où il y a 4 ou 5 grues, pour que les patrons comprennent enfin qu’on n’est pas d’accord avec eux», ajoute un maçon. Les applaudissements fusent. «Moi, dans ma baraque, on fait une semaine, il n’y a pas de problème!» répond un autre. «La grève, on doit la faire quand il y a du travail. Si on la fait en janvier ou février, les patrons rigolent», dit un collègue. Un autre souligne: «Il ne faut pas faire la grève qu’un seul jour. On fait des feux dans des tonneaux, on reste là deux, trois, quatre, cinq jours. Et après on regarde si on continue.»
L’heure des décisions arrive. Les maçons sont remontés, prêts à sortir dans la rue, le soir même s’il le faut. Le syndicat propose deux variantes: une journée de lutte le 5 novembre, ou deux jours, les 5 et 6 novembre. «Les gars, nous devons rester unis. Il y aura des intimidations des patrons, des menaces de licenciement, c’est tous ensemble qu’il faudra se battre contre ces mesures», avertit Pietro Carobbio, invitant chacun des 1300 maçons à être conséquent avec son vote et à s’engager dès maintenant dans ce sens. «Nous devons préserver nos droits. Ce mouvement est juste et légitime!»
Le vote débute. Première variante, soit un jour de débrayage? Quelques mains, une dizaine peut-être, se lèvent. Deuxième variante, soit deux jours? Une marée de bulletins rouges s’élève d’un coup dans la salle! Emotion, acclamations… Une détermination imparable. «C’est maintenant que tout commence, avise Pietro Carobbio. Vous devez tous amener un, deux, trois collègues. Notre force, c’est notre unité, ne l’oubliez jamais!»
* Prénoms d’emprunt