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"Pas de reprise sans nous!"

Manifestation de Genève.
© Olivier Vogelsang

Les revendications des salariées et des salariés de toute la Suisse romande ont résonné dans les rues de Genève et sur le pont du Mont-Blanc durant tout l’après-midi. Si les travailleurs de la construction étaient en nombre, le personnel du tertiaire était aussi bien représenté.

Plus de 12500 personnes ont participé samedi dernier à des manifestations interprofessionnelles à Genève, Berne, Olten, Zurich et Bellinzone. L’augmentation des salaires au cœur des revendications

«La crise du Covid-19 ne doit pas servir de prétexte pour encore augmenter les profits et creuser davantage les inégalités. Il faut maintenant un profond changement politique pour plus de justice sociale» a déclaré Vania Alleva, présidente d’Unia, dans un communiqué publié à l’issue des manifestations interprofessionnelles qui se sont déroulées le 30 octobre dernier à Genève, Berne, Olten, Zurich et Bellinzone. Une mobilisation rassemblant plus de 12500 personnes. Les travailleurs et travailleuses actifs dans les domaines du bâtiment, de la santé, de la vente, du nettoyage ou encore de la logistique ont fait entendre leur voix réclamant une amélioration substantielle des salaires et des conditions d’emploi. Unis sous le slogan «A notre tour maintenant! Salaire. Respect. Solidarité», ils ont demandé que les efforts effectués durant la pandémie soient reconnus. Et rappelé à quel point la société dépendait des métiers des services mal payés. Pas de travail à distance pour ces catégories de salariés qui ont continué d’œuvrer d’arrache-pied, en première ligne, sans que leur situation n’ait, après les applaudissements pour certains, engendré de progrès.

Stress et problèmes de relève

«Stress et sous-effectifs chroniques, refus du patronat de signer des conventions collectives de travail (CCT), bas salaires et surcharge de travail sont la norme pour le personnel – dont une majorité de femmes – occupé dans les métiers des soins, de la vente ou de la logistique. Dans la construction, les problèmes de relève et de stress augmentent dans des proportions encore jamais vues» a dénoncé Unia notant au passage que si nombre d’employés peinent à boucler les fins de mois, l’industrie pharmaceutique, les commerces, les sociétés actives dans la logistique ont profité de la crise. Dans ce contexte, le syndicat a exigé des salaires minimums de 4000 francs x 13 et des hausses de rémunérations pour tous. Il a également réclamé davantage de respect pour le personnel de la vente et des soins avec l’introduction de CCT de force obligatoire. Unia a encore réaffirmé son opposition à toute forme de dérégulation des heures d’ouverture des magasins et autres services. Même rejet de la hausse de l’âge de la retraite des femmes. Enfin, la population a été appelée à soutenir, le 28 novembre prochain, l’initiative sur les soins infirmiers soumise en votation. Une attention toute particulière a en effet été portée à ce domaine avec des professionnels de la santé qui ont envahi les rues de Berne avant de se réunir sur la Place fédérale.

Taux élevé d’abandon

«Les employés du secteur de la santé sont allés bien au-delà de leurs limites durant ces vingt derniers mois, car les conditions de travail étaient déjà précaires avant la pandémie» ont alerté Unia, le Syndicat des services publics, l’Association suisse des infirmières et infirmiers et Syna dans un communiqué commun. Cette situation se traduit par un taux élevé d’abandon de la profession – près de la moitié du personnel soignant la quitte, selon l’alliance. La pénurie est donc toujours plus forte. Dans ce contexte, des solutions sont non seulement nécessaires dans l’intérêt des salariés de la branche mais aussi dans celui des patients, ont estimé plusieurs intervenants s’exprimant dans la capitale. «Ce n’est qu’avec de bonnes conditions de travail et suffisamment de personnel que les soignantes et soignants nouvellement formés resteront dans la profession» a souligné Sandra Schmied, infirmière, notant que le contre-projet indirect du Parlement ne tient pas compte de ce double facteur. Un texte qui cible essentiellement un renforcement de la formation sans prévoir de revalorisation du métier. Sonya Mermoud

Manifestation à Berne.
Des milliers d’infirmières et de membres du personnel soignant ont afflué samedi dans les rues de Berne pour exiger de meilleures conditions de travail et de la reconnaissance. © Thierry Porchet

 


«Le moment est venu de redistribuer la richesse»

Samedi à Genève, le mythique pont du Mont-Blanc des maçons est devenu celui des salariés de tous les secteurs

Manifestation à Genève sur le pont du Mont-Blanc.
© Olivier Vogelsang

 

«Pas de reprise sans nous!» Samedi dernier à Genève, plus de 3500 travailleuses et travailleurs se sont rassemblés derrière ce mot d’ordre. Occupant les rues de Genève durant près de quatre heures, dans un long et bruyant cortège revendicatif. Sifflets, tambours, fanfare venue de Monthey, slogans et reprise en cœur du «Bella Ciao» des partisans italiens ou du «On est là» des Gilets jaunes, la manifestation pour des hausses de salaire et le respect du personnel a marqué les esprits. Les doléances étaient nombreuses. Parmi les manifestants, beaucoup de maçons et de travailleurs du second œuvre ou de l’artisanat, mais aussi des employées et employés de la vente, du nettoyage, de l’hôtellerie-restauration, ainsi que de l’industrie, venus de tous les cantons romands à l’appel d’Unia. Les autres syndicats, Syna et le Sit s’étaient aussi associés à cette mobilisation interpellant le patronat de toutes les branches, ainsi que les élus qui s’apprêtent à augmenter l’âge de la retraite des femmes.

Peu après le départ du cortège, les premiers discours ont fait trembler les murs des édifices. «Nous retournons dans la rue, les riches de ce pays doivent comprendre que le moment du partage est arrivé», a lancé Aldo Ferrari, secrétaire régional ad interim d’Unia Genève, juché sur un véhicule.  «Les travailleuses et les travailleurs étaient là pendant la crise du Covid, ceux de la construction, les vendeuses et vendeurs, les infirmières et infirmiers. Beaucoup ont aussi dû rester à la maison et renoncer à une partie de leur salaire. Le moment est venu de redistribuer la richesse. La rue nous appartient, vous appartient», a-t-il ajouté. Un maçon a poursuivi: «Nous voulons une augmentation de nos salaires, nous le méritons. Le patronat nous méprise, or c’est nous qui produisons les biens du pays. Nous nous battons pour notre profession. Vive la construction, vive la lutte!» Un ouvrier des échafaudages réclame lui aussi des hausses et plus de sécurité sur les chantiers. Avant que José Sebastiao d’Unia Genève appelle à gagner le pont du Mont-Blanc, «ce pont mythique, aujourd’hui, pont de tous les travailleurs».

«Il y a un manque de respect total pour votre travail»

Au cœur du cortège, arrivé au milieu du pont, Nico Lutz du comité directeur d’Unia a invité les entreprises, qui ont beaucoup gagné durant la dernière période, à reconnaître l’énorme travail fourni par les travailleurs en revalorisant les salaires de toutes et de tous. «Dans la construction, la conjoncture est très bonne. On n’a jamais vu autant de grues, les commandes battent des records et il y a de moins en moins de personnes pour faire le travail. Les rythmes explosent, le stress aussi. Et que disent les entrepreneurs? Ils ne voient aucune raison d’augmenter les salaires! Il y a un manque de respect total pour le travail que vous faites tous les jours», s’est-il exclamé, déclenchant une salve de coups de sifflets et de cris exprimant la colère des maçons présents. «Nous voulons travailler pour vivre, pas seulement vivre pour travailler et donner plus d’argent aux patrons», a-t-il poursuivi évoquant le renouvellement de la Convention nationale l’année prochaine. «Ça ne va pas être facile, mais on va se battre et on peut gagner ensemble. Aujourd’hui est un commencement. Tous unis, on gagnera!»

Des syndicalistes et des salariés du second œuvre et de l’artisanat ont fait état des difficultés de leurs conditions de travail, des salaires qui stagnent, des indemnités repas insuffisantes, sans compter la précarité sur les chantiers, les violations des CCT, l’absence de toilettes, la sous-traitance et le recours massif au travail temporaire alors que les plus anciens sont licenciés. «Nous descendons dans la rue pour nous rappeler au bon souvenir de ceux qui dominent notre pays. Nous sommes toujours là. Ensemble, nous voulons vaincre le Covid, mais nous voulons un monde juste, que l’argent n’aille pas dans la poche de quelques-uns», a lancé l’un d’eux.

«Jusqu’à la grève s’il le faut»

Une exigence affirmée également par Anna Gabriel, secrétaire régionale adjointe d’Unia Genève qui a averti: «On va lancer un message très clair: on a été licenciés, on a vu nos revenus diminuer, on a aussi été en première ligne, dans la vente, le nettoyage, et les chantiers ont continué. Si maintenant il y a une reprise, elle ne doit pas se faire sans nous, sans augmentation de salaires, sans de bonnes conditions de travail, sans respect. Aujourd’hui, c’est le premier jour d’une grande lutte. Si nous ne sommes pas entendus, si nous ne sommes pas respectés, on va continuer, on ira jusqu’à la grève si besoin!»

Avant que le cortège ne reprenne son cours, Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse, a salué le mouvement en cours: «Le monde du travail est dans la rue partout en Suisse. Cela fait un an et demi que la crise a commencé. Dans cette situation, certains ont continué de défendre leurs intérêts, leur fortune. Si on ne se mobilise pas, c’est le monde du travail qui va payer la crise. C’est important de montrer qu’il est là, que grâce à lui, la société tourne, que c’est lui qui produit les richesses.» Sylviane Herranz

Témoignages

Pourquoi sont-ils venus à Genève, quelles sont leurs conditions de travail, leurs revendications? La parole à quelques manifestants

Manifestation à Genève. Banderole "Non à AVS 21!"
© Olivier Vogelsang

 

Joaquim, 58 ans, maçon, Clarens

«Je suis là pour que nos salaires soient augmentés. Nous n’avons rien eu l’année passée et le travail est de plus en plus dur. Dans deux ans, je serai à la retraite, mais je lutte aussi pour les autres. C’est de pire en pire sur les chantiers. Il y a toujours cette pression des délais, il faut finir avant de commencer! Les jeunes partent à peine leur apprentissage terminé, le travail est très difficile, sous la neige, la pluie. Ils s’en vont vers des métiers moins pénibles, dans le sanitaire ou la sécurité par exemple. Il faut continuer à se mobiliser, les patrons ne vont pas laisser tomber, notamment sur la retraite anticipée.»

David, 25 ans, maçon, Montreux

«Nous devons nous battre pour tout en général, pour nos salaires et pour garder les acquis que les anciens ont obtenus. Les conditions de travail doivent s’améliorer. La pression est dure. Certains se font hurler dessus par des supérieurs qui ne connaissent pas bien le métier, ou qui organisent mal les choses. Les patrons ne veulent pas donner un centime, ils aimeraient même nous retirer des choses, alors que nous avons travaillé sans relâche, même avec le Covid. Nous demandons 100 francs de plus, et le quart d’heure de pause de 9h payé. Ce serait un geste de remerciement vu les efforts fournis, mais ce n’est pas suffisant car tout augmente.»

Jean-Louis, président des paysagistes d’Unia Vaud, Blonay

«Il est important de s’engager pour défendre les avantages que l’on a obtenus en se battant depuis 20 ans. Lors des dernières discussions avec les patrons, ils voulaient augmenter le temps de travail, ou supprimer des vacances pour compenser les travaux soi-disant perdus à cause du Covid. Mais dans mon entreprise, nous n’avons jamais cessé le travail. Nous avons réussi à prolonger la CCT. Nous nous battons pour des hausses de salaire, mais aussi pour la préretraite à 62 ans. Nous devons encore tout mettre en place à ce sujet, le Covid est venu freiner les choses.»

Laura*, horlogère, La Chaux-de-Fonds

«Je suis ici pour obtenir un meilleur salaire. Pour l’année prochaine, rien n’a été annoncé. Rien de rien. On doit seulement travailler… Mon salaire? Je n’ai pas le droit de le dire, mais je peux affirmer que nous avons besoin d’un salaire adéquat, pas seulement d’une adaptation du coût de la vie. Dans mon entreprise, nous, les femmes, nous gagnons 200 francs de moins que les hommes pour exactement le même travail! On nous dit que les hommes doivent maintenir la famille, mais nous aussi, nous avons une famille à entretenir!»

Carlos, 56 ans, opérateur laser, président d’Unia Fribourg, Estavayer

«On travaille de plus en plus et on a toujours moins de droits. Les sociétés doivent bien sûr faire des bénéfices, mais elles doivent aussi les partager avec les travailleurs. On peine à boucler les fins de mois. C’est pour cela que je suis là. Aussi parce que c’est important d’être syndiqués, d’être plus forts tous ensemble pour arriver à obtenir quelque chose. Pour une fois, nous avons réussi à rassembler tous les syndicats, c’est très positif. Dans mon métier, nous faisons beaucoup d’heures supplémentaires. Après la pandémie, certaines entreprises reçoivent les commandes le matin et il faudrait qu’elles soient faites pour le jour d’avant! Le patronat ne dit jamais non, on peut le comprendre, ils ne gagnent pas tous des millions, mais ça augmente le stress, la pénibilité. Pendant le Covid, les employeurs ont eu droit à des crédits quasiment à fonds perdu. Ça ne les a pas empêchés de licencier. Nous devons améliorer les lois protégeant les travailleurs. C’est triste de voir dans un pays comme la Suisse autant de monde au social.»

Lou*, vendeuse, Genève

«Nos conditions de travail se détériorent toujours plus. Nous manquons de personnel, n’avons plus le temps de prendre nos pauses, et parfois même devons sauter le repas de midi. Pendant le Covid, on nous applaudissait tous les soirs, et maintenant, on veut nous faire travailler le samedi jusqu’à 19h! Ce sera impossible de manger en famille. Quant aux salaires, certaines entreprises proposent 10 ou 20 francs de hausse par mois. C’est une honte! Nous avons besoin des patrons, mais eux ont aussi besoin de nous. lls ne peuvent pas continuer à dégrader ainsi les conditions de travail dans la vente. Les jeunes ne veulent plus s’engager dans cette branche, où le temps partiel explose aussi. C’est important de se mobiliser contre la révision de la Loi sur les horaires des magasins (LHOM) pour empêcher qu’ensuite on travaille encore plus tard le soir. La vie de famille compte.»

Adelaïde, vendeuse, Monthey

«C’est très important pour moi d’être là. Même s’il ne me reste que deux ans à travailler. J’ai trois enfants et une petite-fille de 15 ans bientôt dans la vie active. C’est pour eux que je me bats, pour que le monde s’améliore, pour qu’il y ait un bel avenir pour le monde du travail, social et économique. Dans le magasin de chaussures où je travaille, les conditions sont devenues très difficiles. Les gens viennent, regardent mais n’achètent pas. Ils commandent ensuite en ligne. Comme vendeuse auxiliaire, je fais aujourd’hui 5 à 6 heures par semaine, 40 heures environ par mois contre 120 auparavant. Mon salaire? 20,80 francs de l’heure. Une misère!»

Olivier, menuisier charpentier, Moutier

«C’est le moment que les patrons se posent des questions sur les conditions de travail. Pendant le Covid, les conditions d’hygiène sur les chantiers étaient déplorables, c’était impossible de respecter la distanciation sociale. En matière de salaire, j’ai la chance de vivre dans une région où les prix sont plus bas. On souffre moins que dans le canton de Vaud ou à Genève. Les conditions dans la menuiserie se péjorent. Les charges sont souvent plus lourdes que les maçons. On doit par exemple transporter des fenêtres à triple vitrage sans moyens de levage adéquats. Sur une journée, on peut porter jusqu’à une tonne! Et cela fait 10 ans que l’on n’a plus eu de vraies augmentations de salaire. Si on continue comme ça, il n’y aura plus personne pour bosser dans le bâtiment. Cela fait environ 30 ans que je suis syndiqué. J’ai toujours l’espoir que les choses changent, deviennent un peu plus humaines, qu’on ne nous prenne plus pour des objets.»

Cris, 35 ans, coiffeur, Genève

«Si on ne fait pas bouger la société, personne ne va rien changer, surtout pas les patrons. Eux ne visent que leurs bénéfices. Les manifestations sont la chose la plus pure qui soit. Sans manifestation, rien ne bouge. Les politiciens sont là pour soutenir le pouvoir économique pas celui des travailleurs. Ce qu’il faut, c’est un 13e salaire pour tout le monde. C’est une honte qu’ici, dans une ville qui nage dans l’or, les ouvriers n’aient rien. Après ma formation, j’ai travaillé 2 ans et 3 mois, avec six contrats de stage à 1000 francs par mois, au lieu de 3800 francs comme le prévoit la CCT. J’ai été licencié car j’ai osé réclamer mes salaires impayés. Un montant de 42000 francs qui m’a été volé. C’est une honte. Le système de formation aussi. Les apprentis ont 300 francs par mois, ils sont treize fois moins cher qu’un employé.»

* Prénoms d’emprunt.

Propos recueillis par Sylviane Herranz.

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