«Le moment est venu de redistribuer la richesse»
Samedi à Genève, le mythique pont du Mont-Blanc des maçons est devenu celui des salariés de tous les secteurs
«Pas de reprise sans nous!» Samedi dernier à Genève, plus de 3500 travailleuses et travailleurs se sont rassemblés derrière ce mot d’ordre. Occupant les rues de Genève durant près de quatre heures, dans un long et bruyant cortège revendicatif. Sifflets, tambours, fanfare venue de Monthey, slogans et reprise en cœur du «Bella Ciao» des partisans italiens ou du «On est là» des Gilets jaunes, la manifestation pour des hausses de salaire et le respect du personnel a marqué les esprits. Les doléances étaient nombreuses. Parmi les manifestants, beaucoup de maçons et de travailleurs du second œuvre ou de l’artisanat, mais aussi des employées et employés de la vente, du nettoyage, de l’hôtellerie-restauration, ainsi que de l’industrie, venus de tous les cantons romands à l’appel d’Unia. Les autres syndicats, Syna et le Sit s’étaient aussi associés à cette mobilisation interpellant le patronat de toutes les branches, ainsi que les élus qui s’apprêtent à augmenter l’âge de la retraite des femmes.
Peu après le départ du cortège, les premiers discours ont fait trembler les murs des édifices. «Nous retournons dans la rue, les riches de ce pays doivent comprendre que le moment du partage est arrivé», a lancé Aldo Ferrari, secrétaire régional ad interim d’Unia Genève, juché sur un véhicule. «Les travailleuses et les travailleurs étaient là pendant la crise du Covid, ceux de la construction, les vendeuses et vendeurs, les infirmières et infirmiers. Beaucoup ont aussi dû rester à la maison et renoncer à une partie de leur salaire. Le moment est venu de redistribuer la richesse. La rue nous appartient, vous appartient», a-t-il ajouté. Un maçon a poursuivi: «Nous voulons une augmentation de nos salaires, nous le méritons. Le patronat nous méprise, or c’est nous qui produisons les biens du pays. Nous nous battons pour notre profession. Vive la construction, vive la lutte!» Un ouvrier des échafaudages réclame lui aussi des hausses et plus de sécurité sur les chantiers. Avant que José Sebastiao d’Unia Genève appelle à gagner le pont du Mont-Blanc, «ce pont mythique, aujourd’hui, pont de tous les travailleurs».
«Il y a un manque de respect total pour votre travail»
Au cœur du cortège, arrivé au milieu du pont, Nico Lutz du comité directeur d’Unia a invité les entreprises, qui ont beaucoup gagné durant la dernière période, à reconnaître l’énorme travail fourni par les travailleurs en revalorisant les salaires de toutes et de tous. «Dans la construction, la conjoncture est très bonne. On n’a jamais vu autant de grues, les commandes battent des records et il y a de moins en moins de personnes pour faire le travail. Les rythmes explosent, le stress aussi. Et que disent les entrepreneurs? Ils ne voient aucune raison d’augmenter les salaires! Il y a un manque de respect total pour le travail que vous faites tous les jours», s’est-il exclamé, déclenchant une salve de coups de sifflets et de cris exprimant la colère des maçons présents. «Nous voulons travailler pour vivre, pas seulement vivre pour travailler et donner plus d’argent aux patrons», a-t-il poursuivi évoquant le renouvellement de la Convention nationale l’année prochaine. «Ça ne va pas être facile, mais on va se battre et on peut gagner ensemble. Aujourd’hui est un commencement. Tous unis, on gagnera!»
Des syndicalistes et des salariés du second œuvre et de l’artisanat ont fait état des difficultés de leurs conditions de travail, des salaires qui stagnent, des indemnités repas insuffisantes, sans compter la précarité sur les chantiers, les violations des CCT, l’absence de toilettes, la sous-traitance et le recours massif au travail temporaire alors que les plus anciens sont licenciés. «Nous descendons dans la rue pour nous rappeler au bon souvenir de ceux qui dominent notre pays. Nous sommes toujours là. Ensemble, nous voulons vaincre le Covid, mais nous voulons un monde juste, que l’argent n’aille pas dans la poche de quelques-uns», a lancé l’un d’eux.
«Jusqu’à la grève s’il le faut»
Une exigence affirmée également par Anna Gabriel, secrétaire régionale adjointe d’Unia Genève qui a averti: «On va lancer un message très clair: on a été licenciés, on a vu nos revenus diminuer, on a aussi été en première ligne, dans la vente, le nettoyage, et les chantiers ont continué. Si maintenant il y a une reprise, elle ne doit pas se faire sans nous, sans augmentation de salaires, sans de bonnes conditions de travail, sans respect. Aujourd’hui, c’est le premier jour d’une grande lutte. Si nous ne sommes pas entendus, si nous ne sommes pas respectés, on va continuer, on ira jusqu’à la grève si besoin!»
Avant que le cortège ne reprenne son cours, Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse, a salué le mouvement en cours: «Le monde du travail est dans la rue partout en Suisse. Cela fait un an et demi que la crise a commencé. Dans cette situation, certains ont continué de défendre leurs intérêts, leur fortune. Si on ne se mobilise pas, c’est le monde du travail qui va payer la crise. C’est important de montrer qu’il est là, que grâce à lui, la société tourne, que c’est lui qui produit les richesses.» Sylviane Herranz