Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Pour une Suisse indépendante en énergie et neutre en CO2

Stéphane Genoud
©Thierry Porchet

«L’acceptation de la loi sur l’électricité devrait nous permettre de nous libérer des énergies fossiles à l’horizon 2050 comme s’y est engagée la Suisse», évalue Stéphane Genoud. 

Professeur en gestion de l’énergie à la HES-SO Valais, Stéphane Genoud défend la Loi sur l’électricité qui sera soumise au verdict des urnes le 9 juin. Le point sur la situation

L’homme revendique plusieurs casquettes. Celle, d’abord, de professeur en management de l’énergie à la HES-SO Valais à Sierre et Sion, où il enseigne depuis une dizaine d’années. Le Valaisan est aussi copropriétaire d’un bureau d’ingénieur spécialisé dans ce même domaine de prédilection. Il se présente encore comme agriculteur, et élève sur l’alpage de Cottier, au-dessus de Zinal, des vaches de la race d’Hérens et des poules. Il accueille également, pour son plaisir, des chèvres et deux ânes arrachés à une vie, autrefois, de maltraitance et remparts aussi contre le loup. Ces derniers animaux suscitent son admiration en raison de leur sensibilité, de leur réceptivité. «Les ânes sont des miroirs de l’âme. Magique», affirme Stéphane Genoud, qui ne s’offusquerait dès lors pas si on le comparait à cette espèce. Mais revenons à nos moutons. Et aux défis énergétiques auxquels se heurte aujourd’hui notre pays avec cet ancien monteur-électricien. Ce spécialiste qui se positionne en faveur d’une «Suisse indépendante en énergie et neutre en CO2», revisitant malicieusement un slogan de la droite dure.

Quelle est la situation énergétique de la Suisse?

Les 75% de l’énergie approvisionnant la Suisse sont produits hors de notre pays et 30% de l’électricité hivernale viennent d’Europe. Cette dépendance se révèle problématique. Elle nous rend fragile à l’égard de ce partenaire, notamment dans la négociation d’accords bilatéraux, car nous ne possédons rien à offrir véritablement en contrepartie, excepté un peu d’hydroélectricité. Avec le risque que l’Union européenne dicte dès lors ses règles. 

Le bilan annuel de notre production d’électricité se révèle bon, mais reste insuffisant en hiver. Si cette dernière saison n’a pas été très rigoureuse, les administrations sont conscientes de notre vulnérabilité. En cas de pénurie, la situation pourrait se révéler dramatique et générer des centaines de décès...

Nous sommes en outre aussi largement tributaires du Moyen-Orient pour les énergies fossiles et des Etats-Unis pour le gaz. 

Comment expliquez-vous cette situation?

Nous accusons un immense retard sur notre production électrique nationale. Nous avons préféré jusqu’alors résoudre le problème avec l’argent, et acheter de l’énergie à l’extérieur plutôt que de développer des solutions durables dans nos frontières. Une manière pas très clean d’agir. On rencontre aussi des situations absurdes: le Valais compte par exemple le plus grand nombre d’éoliennes alors que c’est un canton peu venteux.

La transition écologique est donc à la traîne...

C’est le moins qu’on puisse dire. On ne s’est guère approchés des objectifs permettant de nous détacher des énergies fossiles. Nous allons devoir mettre un sacré coup d’accélérateur, mais nous nous heurtons à un grave problème de main-d’œuvre. Il manque aujourd’hui 300000 personnes pour développer les énergies renouvelables et rénover les bâtiments. Une pénurie que nos voisins européens connaissent aussi. Les métiers d’électriciens, de couvreurs, d’installateurs de panneaux photovoltaïques, d’artisans divers, etc., ne font pas rêver. Les jeunes leur préfèrent des parcours universitaires et se projettent dans des professions plus lucratives et moins pénibles. La solution? Former des migrants et, il va de soi, bien les payer. Un apprentissage qui leur servira également ultérieurement dans leur pays. Il faut ouvrir ce chantier. Mais là, on entre en conflit avec les partis de droite... Dans tous les cas, les travaux nécessaires ne peuvent être réalisés par des robots. Autre difficulté rencontrée: la longueur des procédures. Une amie me disait: «La Suisse va lentement, mais elle ne recule pas.» Certes, mais il faut vraiment augmenter la cadence.

Quelles énergies faut-il promouvoir?

Notre indépendance passe par un mixte énergétique. Pour assurer notre approvisionnement en électricité en hiver, il faudra miser sur la géothermie, propre à assurer un ruban électrique continu. Il est nécessaire de poursuivre les recherches en la matière même si, dans le canton de Vaud par exemple, le but – soit détecter une source de chaleur et de l’eau – n’a pas encore été atteint. Pour trouver du pétrole, on dit qu’il faut creuser sept trous au minimum. C’est pareil en géothermie. Il n’y a pas de miracles. 

La biomasse doit aussi être promue et bien sûr l’hydraulique. Seize projets basés sur cette dernière technologie sont prêts. Il est impératif de tous les réaliser et d’accélérer les procédures.

L’énorme potentiel du photovoltaïque – qui constitue le gros du paquet et dont nous devrons maîtriser la volatilité en investissant dans le stockage – ainsi que l’éolien font aussi clairement partie de la solution. 

Le nucléaire ne constitue-t-il pas une autre piste envisageable?

Non. Il faut au moins trente ans pour mettre sur pied une centrale qui sera démantelée soixante années plus tard avec la grave problématique de la gestion des déchets. Ma génération ne peut laisser cet héritage aux jeunes. Le nucléaire, c’est le passé. On peut trancher la question dans les urnes, mais en limitant alors l’âge des votants à 30 ans, c’est eux qui vont devoir régler les problèmes, alors que nous, les seniors, nous profiterons encore un peu plus de la situation. Le recours à l’énergie atomique sur un continent sans stabilité s’avère en outre particulièrement dangereux. On le vérifie avec la situation de la centrale ukrainienne de Zaporijjia, contrôlée désormais par les Russes...

Vous êtes donc favorable à la Loi sur l’électricité...

Oui, bien sûr. La loi ne va pas suffisamment loin, mais le compromis me convient. Son acceptation devrait nous permettre de nous libérer des énergies fossiles à l’horizon 2050 comme s’y est engagée la Suisse. Et puis, même si le monde va s’effondrer – une certitude pour moi – ça n’arrivera pas d’un coup. Personne ne sait non plus quand cela se produira. En parvenant à développer à temps les installations pour les énergies renouvelables, on devrait s’en sortir. Ça ne coûtera plus rien pour les faire tourner. Et on saura les réparer au besoin.

Les oppositions de différents acteurs, dont des organisations de défense du paysage, ne doivent-elles pas être prises en compte?

Nous nous trouvons face à un choix d’adulte. On peut discuter autant qu’on le souhaite, mais il nous faut remplacer l’énergie qui vient d’ailleurs. La question des paysages est une fausse excuse. Il s’agit de la survie de la société. Impossible de jouer aux enfants gâtés, même si dans l’absolu, nous souhaiterions pouvoir agir sur tous les tableaux. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas d’autres alternatives. Et nous devons nous montrer responsables ou alors diviser par trois ou quatre notre consommation d’énergie.

Comment voyez-vous le développement du solaire...

Pour le solaire, les panneaux devront être installés prioritairement sur le bâti existant et dans des lieux où la nature a déjà été massacrée. Dans ce sens, mettre des panneaux dans un parc naturel régional des Alpes n’est évidemment pas souhaitable. Il faut encourager et aider les propriétaires à équiper leur toit pour leur propre consommation et également avec la possibilité de vendre le surplus au voisin, ce que la Loi sur l’électricité permettra. Avec Group-IT, plus de 1000 personnes ont déjà franchi le pas. Je m’étonne par exemple qu’ici, à la HES-SO Valais, on n’a pas utilisé les façades. Une aberration. 

... et celui de l’éolien, loin de faire l’unanimité?

Son faible développement s’explique par le fait qu’il réunit les mauvais acteurs, en clair des investisseurs et des capitaux étrangers. Si les éoliennes appartenaient à des coopératives locales, elles susciteraient bien plus d’adhésions. Nombre de personnes changeraient alors de camp. Il y aurait une acceptance sociale. Actuellement, on compte seulement une quarantaine d’éoliennes, les procédures s’étirent en longueur. Elles sont pourtant un élément important dans le mixte énergétique en hiver. Il faudrait en construire partout où souffle le vent.

Des défenseurs de la nature dénoncent néanmoins leur impact sur les oiseaux et le bétail...

Ce sont de faux problèmes. On peut aussi imaginer, le temps des migrations des oiseaux, d’arrêter les éoliennes. Elles n’ont pas d’incidence sur le bétail mais certaines personnes souffrent de leurs effets. Dans ce sens, elles doivent être érigées à bonne distance des bâtiments. Dans tous les cas, il faut faire une pesée d’intérêts: que préfère-t-on, s’approvisionner dans les mines de charbon allemandes particulièrement néfastes pour l’environnement ou utiliser l’énergie du vent?

En cas d’acceptation de la loi, devrions-nous tout de même procéder à des économies d’énergie?

Oui, c’est nécessaire. Il faudra apprendre l’agilité et recharger par exemple sa voiture électrique au bon moment, en tenant compte des débits. Utiliser le numérique pour piloter le réseau énergique devra être notre priorité, et non visionner en ligne des vidéos dans un train, une activité polluante et particulièrement gourmande en consommation électrique. Ce désir d’instantané s’avère pour le moins problématique. Tout est question d’éducation.

La croissance verte est-elle une utopie?

Oui, ça n’existe pas. Nous devons parler de décroissance. Nous ne pourrons plus voyager loin et inutilement,partir en week-end à Amsterdam boire des bières. Il faudra renoncer à l’avion ou ne se déplacer que pour des raisons essentielles, comme visiter la famille par exemple. Ralentir n’est toutefois pas moins attractif. Bien au contraire. Il est l’heure de changer de rêve. Le mien, je le partage avec mes étudiants. La formation englobe la question des coopératives, la répartition équitable de l’énergie. Nous n’éviterons pas l’effondrement, mais nous serons prêts. Non pas à la manière de survivalistes – s’il faut acheter une arme je préfère disparaître –, mais en privilégiant l’organisation de communautés locales. Ceux qui parviendront à collaborer s’en sortiront. Il faudra aussi arrêter de polluer notre Terre, réduire notre consommation de viande, mettre un terme au gaspillage alimentaire. Les vidéos en ligne seront, elles, remplacées par la narration d’histoires autour d’un feu...