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Redistribuer les rôles

Portrait de Véronique Emmenegger.
© Olivier Vogelsang

«Je suis née indignée. C’est ma nature. On la retrouve dans mes livres», indique Véronique Emmenegger.

Hypersensibilité et angoisses agissent comme moteur d’écriture de l’auteure franco-suisse Véronique Emmenegger. Des mots contre les maux, et une bonne dose d’humour en prime

Sept livres à son actif et nombre de projets en cours: Véronique Emmenegger, 58 ans, ignore le syndrome de la page blanche. Pour cette écrivaine franco-suisse vivant à Lausanne, l’écriture coule comme l’eau dans le ruisseau. Fluide. Impétueuse. Puisant sa source dans la sensibilité à fleur de peau de cette ancienne journaliste en couple et mère de quatre grands enfants. Une écrivaine bousculée par ses angoisses – qu’elle tend à masquer, passant plutôt pour une personne rigolote et légère – et le besoin de se libérer d’une pesanteur ambiante. «Ecrire, c’est réaménager le passé, l’émulsifier, le remettre droit; c’est redistribuer les rôles, offrir une porte de sortie face à l’état du monde. L’humour aère, rend l’exercice possible, c’est un puissant anxiolytique», précise l’auteure, qui traite de sujets graves, profonds, non sans recourir à un ton caustique agissant comme une soupape. Son inspiration, la passionnée la trouve dans la marge, dans les événements où entrent en jeu l’impuissance, les fractures, l’abandon, la question de l’identité... Avec, à titre d’exemple, des thèmes comme l’adolescence en rupture (Mlle Faust), la boulimie et l’amour destructeur (Les Bouches), une naissance sous X (Cœurs d’assaut), la domination dans le couple (Sorbet d’abysses)... «Je me sers toujours du prisme de la famille pour explorer un thème de prédilection. Cette famille est un prétexte pour observer ce qui se joue à huis clos, à l’intérieur de microcosmes», note Véronique Emmenegger, qui s’est tournée très jeune vers l’écriture, exutoire à un sentiment de révolte face aux injustices sociales dont elle ne s’est jamais départie.

Tordre le cou aux angoisses

«Je suis née indignée. C’est ma nature. On la retrouve dans mes livres», affirme la quinquagénaire qui, enfant déjà, s’interroge sur les disparités entre riches et pauvres et se soucie d’écologie. «Je sentais les choses. J’ai commencé à écrire des poèmes vers 6, 7 ans, puis, adolescente, des pamphlets. Une manière de gérer mes angoisses au sens large, d’avancer dans la vie.» Bien que timide, l’écrivaine en herbe accepte de montrer ces écrits à un ami plus âgé qui l’encourage à se lancer dans cette voie. Elle renonce alors à devenir médecin, guère à l’aise avec le monde scolaire – «Je ne tenais pas en place» – et décide d’exploiter «ce don». Un concours de jeunes reporters organisé par L’Hebdo qu’elle remporte lui met le pied à l’étrier du journalisme. Un métier qu’elle va exercer en professionnelle pour différents titres romands avant de se consacrer uniquement à ses publications. «Le succès de mon premier livre m’a confortée dans l’évidence que je devais écrire», raconte Véronique Emmenegger qui, fille d’un père alémanique et d’une mère française, pendulera souvent entre Paris et la Suisse. «Nous passions nos vacances dans la capitale de l’Hexagone. Je me sens vraiment binationale.» Cette double appartenance ouvre l’écrivaine et romancière à la poésie de la Ville Lumière et à son éventail culturel, mais aussi à une certaine simplicité, à un rapprochement avec la terre du côté de sa famille lucernoise. «Deux richesses conjuguées», sourit Véronique Emmenegger, qui se ressource volontiers dans la nature et les balades sur les hauteurs comme dans la culture. Sans oublier l’amitié, les rencontres et les surprises qu’elle place en tête de liste.

Intérêts pluriels

Si Véronique Emmenegger réfute le terme de «littérature engagée» pour qualifier son travail, elle souligne participer, à son «niveau», à la défense de causes qui lui tiennent à cœur. «Par rapport aux personnes qui mouillent leur chemise, je ne peux pas prétendre à cette terminologie... Mon militantisme reste discret. Je me bats à mon échelle, à travers mes écrits, contre les injustices. Mais au final, nous parvenons tous au même raisonnement: le changement s’impose», indique l’écrivaine, qui n’en fréquente pas moins les manifestations en faveur des réfugiés, des femmes ou encore du climat. Et a réalisé, avec le photographe Pierre-Antoine Grisoni, un ouvrage consacré au quart-monde. Ce travail au long cours l’a conduite à récolter les témoignages de quinze familles vivant dans la précarité. «Un univers que je connaissais peu, à l’intersection entre les SDF et les personnes modestes. Des laissés-pour-compte, oubliés de l’histoire sociale, confrontés à une pauvreté invisible.» Aujourd’hui, cette optimiste mélancolique, comme elle se définit elle-même, vient d’achever une pièce de théâtre sur le suicide, mène différents projets avec plusieurs collectifs et consacre une large partie de son temps à la poésie. Un art qu’elle a dans la peau, lui permettant d’explorer toute une gamme d’émotions, le sens profond des sentiments, dans une forme favorisant la recherche de la beauté.

Une forme de récupération

«C’est une démarche plus lyrique... et apaisante», confie cette passionnée qui, très imaginative et curieuse, aux envies plurielles, trouve la nécessité de choisir désagréable. «Mon pire cauchemar, c’est l’enfermement à tous points de vue: pensées, actions. Je suis volatile, nombre de choses m’intéressent.» Associant le bonheur à la détente – un état qu’elle expérimente toutefois rarement – Véronique Emmenegger n’en est pas moins heureuse. Et s’entoure de gens relaxes, à défaut de bénéficier de cette qualité dont elle dit raffoler. Sa devise dans l’existence: construire des cabanes avec le bois qu’elle trouve sur son chemin. Une image pour illustrer sa volonté de faire quelque chose de ce qui arrive. «L’idée est d’assembler les sentiments, les actes négatifs pour parvenir à réaliser un patchwork positif. Une forme de récupération», symbolise la romancière. Une approche que l’on retrouve aussi sous sa plume. «Mes personnages s’en sortent toujours. Sinon, on étouffe. Tous mes livres comportent une touche d’espoir.» Et d’ajouter, en guise de mot de la fin: «Toujours en activité, je ne refroidis jamais.»