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Saignée sans précédent dans les médias et les imprimeries de Tamedia

Employés de Tamedia manifestant devant la tour Edipresse, à Lausanne.
© Thierry Porchet

Cette nouvelle restructuration massive de Tamedia suit de moins d'un an celle qui avait eu lieu l'automne dernier et déjà causé la suppression de dizaines de postes dans la presse suisse (photo: novembre 2023).

L’éditeur zurichois, qui possède notamment en Suisse romande 24 Heures, la Tribune de Genève et le Matin Dimanche, annonce la suppression de 290 postes dans tout le pays, et la fermeture de ses imprimeries de Bussigny et Zurich

C’est un véritable tsunami dans le monde de la presse suisse! Tamedia, qui édite notamment les quotidiens 24 Heures, la Tribune de Genève et 20 Minutes en Suisse romande, ainsi que le Matin Dimanche et Femina, a annoncé ce mardi matin que 290 postes allaient être biffés dans tout le pays d’ici fin octobre, et que les imprimeries de Bussigny et de Zurich seraient fermées. Les collaborateurs et collaboratrices de l’éditeur zurichois ont beau être habitués aux restructurations à répétition, celle-ci est sans précédent. Il y a même fort à craindre que certains titres, comme la Tribune de Genève, et le Bund de l’autre côté de la Sarine, ne finissent par disparaître purement et simplement du paysage médiatique.

Ce qui est sûr, à l’heure actuelle, c’est que la fermeture des centres d’impressions va mettre 200 personnes au chômage ou en retraite anticipée, et que 90 postes en équivalent plein temps passeront à la trappe dans les rédactions alémaniques et romandes. En revanche, lors des séances d’information au personnel qui se sont tenues mardi matin, au lendemain de l’annonce des résultats semestriels du groupe, il n’a pas été précisé comment les licenciements seraient répartis entre les rédactions romandes et alémaniques. Mais à Lausanne, et surtout à Genève, on redoute d’en payer le prix fort.

Deuxième charrette en un an

Cette restructuration, qui s’assume «radicale», selon les termes de la nouvelle CEO de Tamedia, Jessica Peppel-Schulz, suit celle qui avait eu lieu l’automne dernier et s’était déjà soldée par 80 suppressions de postes, dont 28 en Suisse romande. A cela s’étaient ajoutés par la suite 48 postes chez 20 Minutes et 20 Minuten, titres dépendant d’une filiale sœur de Tamedia au sein de la holding TX Group.

Réunies en assemblée générale à la mi-journée, les rédactions et entités romandes de Tamedia ont dénoncé dans un communiqué commun la «spirale mortifère» qui «supprime et fragilise d’ores et déjà certains titres», notant que les 90 postes supprimés correspondent à 15% des effectifs des rédactions. 

Disparition programmée de la Tribune de Genève

La direction de Tamedia veut se concentrer sur les canaux numériques, et mise pour cela sur quatre «marques»: le Tages-Anzeiger, la Berner Zeitung, la Basler Zeitung et 24 Heures. Selon ce plan, la version en ligne de la Tribune de Genève est destinée à ne devenir plus qu’un simple onglet sur le site de 24 Heures. Les rédactions dénoncent cette «insulte à Genève»: «Quel mépris pour la deuxième ville de Suisse!». Pour le personnel de la Julie, qui a aussi diffusé son propre communiqué, le message est clair: «Tamedia veut tuer la Tribune de Genève», alors que le nombre d'abonnés numériques est en constante progression et que le lectorat de la version papier se maintient malgré l'absence totale d'investissements.

«Le portefeuille print est conservé», assure Tamedia, mais la fermeture des imprimeries de Bussigny et de Zurich – seule celle de Berne étant préservée – montre bien que l’avenir des quotidiens sur papier semble plus que jamais compromis à terme. L’incertitude plane également sur le sort du Matin Dimanche et de Femina, classés dans la catégorie des «marques en transition».

Exigences de rentabilité intenables

Déplorant la perte de proximité avec le lectorat sur laquelle débouchera cette restructuration – également du fait de la présence accrue, dans les médias romands, d’article traduits de l’allemand avec l’aide de l’intelligence artificielle – les rédactions s’interrogent sur l’exigence «intenable» de quadrupler la marge de rentabilité des titres, «qui ne fera qu’entretenir la spirale infernale des coupes d’effectifs et de réduction de l’offre journalistique».

Les rédactions se disent par ailleurs solidaires avec les imprimeurs, «garants d'une presse de qualité», et relèvent que la concentration des activités sur le seul site de Berne resserrera les délais d'impression des journaux d'actualité, les empêchant de couvrir les sports ou les débats politiques tardifs dans leur version papier. Elles en appellent à un sursaut citoyen et politique pour la sauvegarde d'une presse de proximité et de qualité. 

Réactions politiques et syndicales

Les Conseils d'État vaudois et genevois ont publié des communiqués dans la journée pour dire leur «consternation» et condamner ces décisions prises sans concertation, dont ils n'ont eu connaissance que ce mardi, malgré leurs contacts réguliers avec les dirigeants de Tamedia. Déplorant l'affaiblissement de la couverture de l'actualité en Suisse romande et la perte de nombreux emplois, les autorités des deux cantons vont solliciter une rencontre avec eux, pour parler de la situation et s’assurer du respect des dispositions légales en cas de licenciements collectifs. Des inquiétudes que partage la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale dans un communiqué de presse.

Les syndicats de journalistes et d’imprimeurs ont également réagi vertement à cette annonce. Impressum juge cette restructuration catastrophique et démesurée, et sa mise en œuvre précipitée. Pointant une stratégie d’entreprise «autodestructrice», il s’oppose à toute suppression d’emplois et exige un gel des licenciements sur plusieurs années. Syndicom souligne pour sa part que TX Group, dont fait partie Tamedia, reste très rentable puisque ses actionnaires ont empoché en quinze ans plus de 670 millions de dividendes sur 2,2 milliards de bénéfices, tandis que des centaines d’emplois étaient supprimés.


«Une journée noire pour la presse suisse»

Dans les rédactions, cette annonce est vécue comme un coup de massue. «C’est une journée noire pour la presse suisse, et romande en particulier», lâche Erwan Le Bec, président de la Société des collaborateurs de 24 Heures. «Il n’y a aucune sensibilité de la part de la CEO de Tamedia, l’Allemande Jessica Peppel-Schulz, pour ce qui fait l’ADN des journaux suisses. Pour elle, ce ne sont que des marques. Nous sommes traités avec un mépris et un dédain total. Nous allons nous battre de toutes nos forces contre cette restructuration. Pour faire face aux difficultés économiques que connaissent les médias, il faudrait revenir à une information de proximité et de qualité, sourcée, vérifiée. Mais on fait tout le contraire.»

Pour Rocco Zaccheo, président de la Société des rédacteurs et du personnel de la Tribune de Genève, cette annonce est un «acte de mort clinique». «La stratégie est claire: pour Tamedia, il y a un journal de trop en Suisse romande, la Julie. Mais les lecteurs de la Tribune de Genève ne voudront jamais s’abonner au site de 24 Heures, où l’actualité genevoise sera réduite à un onglet. C’est d’autant plus incompréhensible que nous avons une forte croissance digitale et davantage d’abonnés numériques que le site de 24 Heures.» 

«On biffe Genève de la carte», s’offusque une collaboratrice genevoise. «Tamedia est allé recruter une coupeuse de tête en Allemagne, qui s’est semble-t-il fait une spécialité de restructurer des entreprises. Du coup, les centres de décision sont de plus en plus éloignés et déconnectés de la réalité et des particularités de la presse romande.»

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