Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Salaires minimums cantonaux en danger!

Militant maqué avec une pancarte "Coiffeur CHF 3300 francs".
© Thierry Porchet/archives

L’adoption de la motion Ettlin se traduirait par un appauvrissement des travailleurs dans plusieurs branches comme celle de la coiffure, de l’hôtellerie-restauration, des shops des stations-service ou encore de la sécurité et du nettoyage.

Nouvelle étape victorieuse pour la motion Ettlin, qui propose de faire prévaloir les conventions collectives de travail sur les salaires minimums cantonaux. Les syndicats dénoncent un sabotage

Ce qui se concocte au Parlement pourrait être très dangereux. Le 26 octobre, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national (CER-N) a donné son aval, par 11 voix contre 10, au sujet de la motion déposée par le conseiller aux Etats Erich Ettlin. Cette dernière, intitulée «Protéger le partenariat social contre des ingérences discutables», demande qu’en matière de salaires minimums, les dispositions des conventions collectives de travail (CCT) déclarées de force obligatoire priment sur celles des cantons. Aujourd’hui, un travailleur genevois ou neuchâtelois, peu importe son secteur d’activité, doit toucher au moins le minimum cantonal, ou davantage si un accord de branche ou d’entreprise prévoit des salaires plus hauts. Mais cela pourrait être remis en cause si le Conseil national allait dans le sens de la commission. «La majorité de la commission considère que les salaires minimums cantonaux entraînent des incertitudes dans les négociations entre les partenaires sociaux», peut-on lire dans le communiqué de presse de la CER-N. «A ses yeux, la mise en œuvre de la motion permettrait de mettre fin à l’insécurité juridique et de renforcer le partenariat social, qui a fait ses preuves.» Pour finir, elle rappelle que les CCT étendues de force obligatoire revêtent un caractère semblable au droit fédéral.

La courte minorité estime pour sa part problématique, «pour des motifs institutionnels», de privilégier les CCT par rapport au droit cantonal et «de passer outre les décisions du corps électoral cantonal».

Affront aux plus fragiles

Du côté des syndicats, c’est l’indignation. «On doit pouvoir vivre de son salaire», répète l’Union syndicale suisse, qui affirme que la motion Ettlin viole clairement ce principe. «Pour des raisons de politique sociale, les salaires minimums cantonaux sont admissibles afin de garantir le minimum vital. Il est donc évident que les salaires prévus dans les CCT ne doivent pas être inférieurs à ce seuil minimal», s’explique la faîtière dans un communiqué de presse.

Pour l’USS, la motion Ettlin veut «empêcher les cantons de prendre des mesures contre les salaires trop bas» et ne vise «rien d’autre que de produire des travailleurs pauvres».

Même son de cloche au Parti socialiste, qui a tout de suite réagi aussi. «Cette motion est une attaque contre la démocratie dans notre pays et un affront à l’égard de toutes celles et ceux qui ont déjà peu pour vivre», a déclaré Cédric Wermuth, conseiller national et coprésident du PS suisse.

Violation constitutionnelle

Doit-on vraiment s’inquiéter? D’après l’USS, la Constitution fédérale stipulant que les cantons ont la compétence d’édicter des lois en matière de politique sociale, et celle-ci ayant été confirmée par le Tribunal fédéral, la mise en œuvre de la motion Ettlin serait purement et simplement une violation de la Constitution. «Pendant le débat sur un salaire minimum national, les opposants à l’initiative populaire qui en demandait un n’avaient cessé de dire que, si besoin est, les cantons pouvaient toujours introduire un salaire minimum», rappelle justement l’USS.

Pour les syndicats, il s’agit par ailleurs d’un sabotage du partenariat social. «Au lieu de garantir aux salariés des conditions de travail meilleures que ce que prévoient les normes minimales légales, les CCT permettraient de déroger à ces dernières. Que les conventions puissent servir d’instruments pour tirer les salaires légaux vers le bas serait aussi bien dangereux que scandaleux.»

Reste à savoir si le Conseil national suivra le cap de sa commission ou rejettera la motion, à l’image du Conseil fédéral, des cantons et des syndicats.

Des centaines de francs en moins chaque mois

Si la motion Ettlin était adoptée, à Genève, près de la moitié des personnes concernées par l'introduction du salaire minimum seraient touchées.

Sachant que le salaire minimum passera à 4368 francs par mois en janvier prochain, soit 24 francs l’heure, un employé de l’hôtellerie-restauration verrait, dans ce cas, son salaire redescendre à 4203 francs, voire même à 3793, ou 3477 francs s’il est moins qualifié. Les coiffeurs, eux, retomberaient à 3350 francs brut, ou 3800 pour les détenteurs d’un CFC. Soit plus de 1000 francs en moins par mois pour les premiers. Autre exemple, celui des salariés de shops de stations-service. A Genève, les salaires horaires de la Convention nationale devraient s’appliquer, soit entre 20,33 francs et 22,53 francs au plus haut. Sans oublier les secteurs de la sécurité, du nettoyage et de l’économie domestique, qui seraient eux aussi touchés.

«En 2020, le peuple genevois a voté à plus de 58% en faveur du salaire minimum en pleine pandémie, rappelle Helena Verissimo de Freitas, secrétaire régionale adjointe d’Unia Genève. Cela a été très significatif de la prise de conscience des mauvaises conditions de travail des salariés de certains secteurs qui, pour un travail à temps plein, gagnaient moins de 4000 francs par mois. Aujourd’hui, la droite veut casser la volonté populaire tout en s’attaquant aux salaires des secteurs les plus précaires. C’est indécent de la part du camp bourgeois qui ne fait qu’octroyer des avantages au patronat.»

La Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) rappelle que les effets indésirables que brandissaient les opposants au salaire minimum n’ont pas eu lieu. Aucune vague de licenciements ou de fermetures d’entreprises n’a été constatée depuis novembre 2020. «Cela montre qu’un salaire à 23,27 francs l'heure est économiquement possible en plus d'être socialement utile.»

Y renoncer aurait des conséquences pour la collectivité. «Avant l’introduction du salaire minimum, des milliers de salariés devaient recourir aux aides sociales pour boucler leurs fins de mois», rappelle Helena Verissimo de Freitas. «Si la motion Ettlin passait, ces milliers de salariés qui ont bénéficié des bienfaits du salaire minimum devraient de nouveau se tourner vers l’aide sociale. La responsabilité des employeurs serait alors déplacée vers le contribuable qui a lui-même voté en faveur du salaire minimum afin de mettre fin aux abus.»

Rectificatif

Des inexactitudes ont été publiées dans l’encadré ci-dessus. En effet, les montants des salaires minimums des différentes branches étant incomplets, voici un rectificatif sous forme de tableau permettant de visualiser le manque à gagner potentiel pour les employés concernés par le salaire minimum genevois si la motion Ettlin passait. Ce tableau tient compte des montants minimaux horaires dus, y compris le 13e salaire, les vacances et les jours fériés. A noter que d’autres secteurs peuvent être concernés comme la sécurité ou le nettoyage.

La rédaction

tableau

 

Pour aller plus loin

Le vote des élus sous la loupe des syndicats genevois

Tableau comparatif.

Les élections fédérales approchent à grands pas. Vendredi dernier, la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) a présenté le résultat de son analyse des votations s’étant...

Nouvelle attaque contre la Loi sur le travail

Un nouvel affaiblissement de la Loi sur le travail (LTr) se trame. «Les employés de start-up détenant des participations dans l'entreprise doivent être libérés de l'obligation de...

Les Vaudois voteront pour élargir les droits des étrangers

photo de groupe

Le mouvement citoyen Ag!ssons a déposé le 1er septembre son initiative «Pour des droits politiques pour celles et ceux qui vivent ici»

Pour le maintien de crèches de qualité!

Ambiance de crèche.

Les syndicats, la gauche et les associations professionnelles genevois lancent un référendum contre une modification de la Loi sur l’accueil préscolaire mettant en péril les conditions de travail du personnel