"Tous étaient au courant. Et pourtant, il a continué à être broyé"
Le père Stan Swamy, détenu de l’affaire BK 16 en Inde, est décédé cet été en prison. Une pétition pour la libération des prisonniers politiques a été transmise à l’ambassade à Berne. Qui fait la sourde oreille
Aucune éclaircie en vue pour les détenus du BK 16 en Inde. Pire encore. L’un d’eux, le père Stan Swamy, dernier des 16 incarcérés dans le cadre de l’affaire dite de Bhima Koregaon, est décédé en prison le 5 juillet dernier. Affaibli par la maladie, il n’a pas survécu au Covid-19. Comme l’a écrit l’écrivaine indienne Arundhati Roy: «Le meurtre atroce, au ralenti et en détention, du père Stan Swamy, 84 ans, un prêtre jésuite qui a passé des décennies de sa vie au service des dépossédés de l'Inde, a eu lieu dans la vitrine de notre démocratie. Notre système judiciaire, notre police, nos services de renseignement et notre système pénitentiaire sont responsables. Nos médias grand public aussi. Tous étaient au courant de l'affaire et de sa santé défaillante. Et pourtant, il a continué à être broyé.» Dans son texte, paru sur le site indépendant scroll.in, l’auteure ajoute: «Le meurtre lent du père Stan Swamy est un microcosme du meurtre pas si lent de tout ce qui nous permet de nous appeler une démocratie. Nous sommes gouvernés par des démons. Ils ont mis une malédiction sur cette terre.»
Cette malédiction s’est abattue sur les emprisonnés de l’affaire Bhima Koregaon, montée de toutes pièces (voir L’ES du 9 juin dernier) pour museler des défenseurs des droits humains et des minorités. Avocats, professeurs ou artistes ont été arrêtés, en plusieurs vagues, en vertu de la loi antiterroriste UAPA qui permet de le faire sur un simple soupçon. Parmi eux, l’avocate et syndicaliste Sudha Bharadwaj, défenseuse des intérimaires travaillant pour le cimentier Holcim en Inde. Elle est en prison depuis 3 ans déjà. Comme pour les autres détenus, aucune procédure judiciaire n’a été ouverte à son égard. «Sa santé se serait détériorée au fil des mois. Elle se trouve avec deux autres détenues de cette affaire, Shoma Sen et Jyoti Jagtap, dans la prison pour femmes de Byculla qui a été récemment un cluster de Covid. Nous sommes très inquiets», souligne Yvonne Zimmermann, coordinatrice du Solifonds, organisation entretenant des relations étroites avec le Syndicat indien des travailleurs temporaires (PCSS).
«Pour eux, cette affaire n’existe pas»
Le 1er octobre dernier, le Solifonds et un groupe zurichois pour la défense des droits de femmes d’Amnesty sont allés remettre une pétition, rassemblant plusieurs centaines de signatures exigeant la libération immédiate de tous les détenus du BK 16, à l’ambassade de l’Inde à Berne. Ils se sont retrouvés face à un mur. «Le personnel a refusé de nous ouvrir et de prendre l’enveloppe. Nous avions pourtant annoncé notre venue. Une demande d’entretien avait aussi été faite par un parlementaire. Nous avons finalement envoyé la pétition par courrier recommandé», explique Yvonne Zimmermann qui constate: «C’est manifeste, ils ne veulent pas parler du sujet. Pour eux, cette affaire n’existe pas.»
Avant l’été, le Solifonds avait sollicité l’ambassadeur de Suisse en Inde pour qu’il rende visite aux prisonniers du BK 16. Il avait répondu qu’en raison de la situation désastreuse due au Covid et du risque considérable d’infection lié un système de santé défaillant, il n’était pas possible d’effectuer des visites dans les prisons. Il a néanmoins affirmé être au courant de l’affaire Bhima Koregaon et suivre de près l’évolution des droits de l’homme en Inde.
La lutte pour la libération des prisonniers du BK 16 se poursuit. Une Coalition internationale pour la justice en Inde (ICJI), à laquelle participe le Solifonds, s’est constituée en août dernier, avec des personnes et des organisations de divers pays dont le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie et la Suisse. Des syndicats mondiaux, comme l’Internationale des travailleurs du bois et du bâtiment (IBB) ou Industriall, ont aussi été sollicités pour renforcer la campagne.