Jean-Claude Rennwald et Adrian Zimmermann publient un ouvrage consacré à la grève générale de 1918
Alors que nous célébrons le centenaire de la grève générale, un livre abordant cet événement central de l’histoire sociale de notre pays manquait dans les rayons des librairies. La Grève générale de 1918 en Suisse, histoire et répercussions vient combler ce manque. Piloté par l’historien Adrian Zimmermann et le syndicaliste, politologue et journaliste Jean-Claude Rennwald, par ailleurs fondateur et ancien président de L’Evénement syndical, l’ouvrage collectif offre une approche accessible à ces trois jours qui ébranlèrent la Suisse. Rappelons que, du 12 au 14 novembre 1918, quelque 250000 personnes, soit un tiers des salariés suisses de l’époque, participèrent à ce mouvement qui affichait neuf revendications, de l’amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière à la démocratisation des institutions. Si la grève fut mieux suivie en Suisse alémanique qu’en Romandie, elle connut pourtant une certaine intensité dans plusieurs centres industriels de la partie francophone. Rédigée par plusieurs auteurs, parmi lesquels le conseiller national valaisan Mathias Reynard et l’historien Julien Wicki, qui a collaboré plusieurs années avec notre journal, une large partie du livre est consacrée à la Suisse romande. Très politique, la publication offre encore un panorama des grèves en Suisse et dans le monde nous ramenant de 1918 à nos jours. Trois questions à Jean-Claude Rennwald.
Une partie de votre ouvrage collectif est consacrée à la grève en Suisse romande, on y apprend qu’à l’exception de Genève, c’est à La Chaux-de-Fonds, à Bienne et dans le haut du vallon de Saint-Imier que le mouvement a connu sa plus forte intensité. Comment expliquez-vous cette mobilisation dans l’arc Jurassien?
C’est une région qui a connu une industrialisation assez précoce et rapide avec l’industrie des machines et encore plus l’horlogerie, ce qui est une situation assez différente du Valais et de Fribourg, par exemple. Un deuxième élément explicatif, c’est que, déjà à cette époque, il y a une bonne organisation du mouvement ouvrier, un fort taux de syndicalisation. Dans le canton de Neuchâtel en particulier, dans les machines et dans l’horlogerie, il y a 50% de syndiqués avant même la grève et ce nombre va encore augmenter pendant la grève elle-même, les semaines et les mois qui suivent. Avec ce taux élevé, Neuchâtel détient d’ailleurs, à cette époque, un record national. Il faut relever toutefois qu’il y a des différences entre les régions jurassiennes, si le vallon de Saint-Imier, Tramelan et, dans une moindre mesure, Moutier et Delémont sont fortement syndicalisés, ce n’est pas le cas du district de Porrentruy et des Franches-Montagnes où le taux est faible.
Finalement pourquoi cet intérêt pour une grève vieille de cent ans? Ne s’agit-il pas d’«histoire ancienne»? En quoi la connaissance de cet événement peut-elle nous être utile aujourd’hui?
Certaines revendications ou préoccupations de l’époque ont quasiment traversé un siècle d’histoire, telles que l’AVS et le suffrage féminin, entrées en vigueur respectivement en 1948 et 1971. Et, aujourd’hui, trois revendications ou thèmes sont encore à l’ordre du jour. Je pense d’abord à la diminution du temps de travail, à l’époque on était passé de 59 à 48 heures par semaine, cent ans plus tard, on en est encore à 45 heures au niveau de la Loi sur le travail! Ça n’a diminué que de trois heures en l’espace d’un siècle, même si évidemment on connaît la semaine de 40 heures dans un certain nombre de conventions collectives de travail. En ce qui concerne l’AVS, on voit que cette assurance sociale, qui est la plus importante en Suisse, subit encore de nombreuses attaques de la droite, notamment à propos de l’âge de la retraite, qu’elle veut porter à 65 ans pour les femmes, voire à 67 ans pour tout le monde. On constate également que presque cinquante ans après avoir conquis le droit de vote, les femmes sont encore très minoritaires dans les instances politiques de ce pays. Avec 33% de femmes au Conseil national, la Suisse se classe au 37e rang mondial en matière de représentation féminine dans les Chambres du peuple. Et puis, 37 ans après l’adoption de l’article constitutionnel sur l’égalité, les femmes gagnent toujours près de 20% de moins que les hommes. Enfin, la grève générale reste aussi d’actualité en tant qu’instrument de lutte. Il y a recrudescence des grèves dans notre pays depuis le milieu des années 1990. La plus emblématique d’entre elles a été pour moi celle des travailleurs du bâtiment en 2002 et la conquête de la retraite à 60 ans, aujourd’hui attaquée par le patronat.
«La Vie économique», publication du Secrétariat d’Etat à l’économie, affirme dans un récent article que la grève «eut pour effet de retarder longtemps le développement de l’Etat social»… Votre réaction?
Je trouve que cet article a un très fort parti pris idéologique; à mon sens, il montre que la droite, ou tout du moins une partie de la droite, n’accepte toujours pas que l’Etat social en Suisse ait commencé à se développer à partir d’une importante lutte. Dans l’introduction à notre ouvrage, nous citons Paul Rechsteiner, le président de l’Union syndicale suisse, qui a dit que la grève générale a écrit le programme politique et social du XXe siècle en Suisse, ce qui est à mon avis une assez bonne réponse à cet article.