A la suite de l’échec de la médiation tripartite, des chauffeurs sont redescendus dans la rue. Ils ont exigé d’Uber qu’il se plie sérieusement à ses devoirs d’employeur et appelé l’Etat de Genève à prendre ses responsabilités
Un mois après l’ouverture de la procédure à la Chambre des relations collectives de travail (CRCT) dans l’affaire Uber à Genève, celle-ci a abouti à un constat d’échec. «Il n’y a eu aucune entrée en matière de la part d’Uber sur nos revendications syndicales», rapporte Davide De Filippo, président de la CGAS, à l’occasion d’une conférence de presse le 13 juillet à Genève. «Ce n’est pas vraiment une surprise cela dit, on sait à qui on a affaire et on s’y attendait…» Lors de l’assemblée générale qui a suivi, une quarantaine de chauffeurs ont voté pour engager des mesures de lutte dans la rue afin de faire entendre leurs revendications. Et se sont ensuite rendus devant les bureaux de la magistrate Fabienne Fischer dans ce but.
Du pareil au même
Rappelons brièvement les faits: le 30 mai 2022, un arrêt du Tribunal fédéral vient confirmer le jugement genevois: Uber est bel et bien considéré comme un employeur et doit donc se conformer aux exigences qui en découlent. La multinationale suspend alors son activité, laissant les chauffeurs dans le flou. Quelques jours plus tard, on apprend qu’un accord a été passé entre l’Etat de Genève et Uber, sans avoir consulté les syndicats et le personnel qu’ils représentent. Le 17 juin, les chauffeurs Uber se voient proposer un transfert à l’entreprise partenaire MITC Mobility avec un contrat de travail à la clé. Cette dernière est censée assumer le paiement des salaires, des charges sociales et autres prestations légales, tout en assurant «au moins le respect du salaire minimum cantonal», d’après Uber. Pour ceux qui ne seraient pas intéressés, les rapports de travail s’arrêtent.
Plusieurs problèmes se posent, comme le non-respect des dispositions légales à la suite du transfert, et la question d’un éventuel licenciement collectif pour ceux qui refusent de continuer avec MITC Mobility et, donc, l’obligation de négocier un plan social. «Certes, les chauffeurs ont reçu un contrat et un règlement, mais les problématiques que nous dénonçons depuis des années ne sont toujours pas résolues, souligne Me Orlane Varesano, avocate pour Unia. Le risque économique est toujours endossé par les chauffeurs. De même, le paiement à la course persiste, le temps d’attente n’est toujours pas rémunéré, il n’y a aucun temps de travail garanti, il n’y a toujours pas de prise en charge des frais effectifs, le système de commission perdure et le calcul des salaires est incompréhensible… Nous ne sommes pas du tout dans une logique employeur-employé!»
Stop au modèle Uber!
La CRCT est saisie par les autorités, donc, mais en vain. «C’est impossible de discuter ou de négocier avec Uber: il n’y a aucune logique de partenariat social, déplore Anna Gabriel Sabaté, secrétaire régionale d’Unia Genève. La société a formé une commission du personnel à la légitimité plus que douteuse et a refusé d’entrer en matière sur nos demandes. En parallèle, une énorme pression est mise sur les chauffeurs pour qu’ils signent avec MITC Mobility, avec des primes de recrutement de 300 francs si l’un d’eux ramène un employé potentiel.»
En plein scandale international des Uber Files, les syndicats genevois exigent le retour à un Etat de droit. «Le modèle d’entreprise d’Uber n’a pas changé d’un iota, c’est de la poudre aux yeux. L’Etat de Genève doit reprendre le contrôle, ce n’est pas une option, s’indigne Umberto Bandiera, secrétaire syndical au Sit. Il y a un jugement fédéral qui doit être appliqué. Même chose pour les autres cantons: ils doivent contraindre Uber à se mettre en conformité et c’est scandaleux que cela ne soit pas déjà fait!»
Le syndicaliste va plus loin: «Il faut aussi régler les affaires du passé, car le Tribunal fédéral juge un conflit qui date de 2019, il y a donc la question de la rétroactivité des cotisations qui se pose, et cela se chiffre en dizaines de millions de francs.» L’heure n’est plus à la médiation, estiment les syndicats. «La balle est dans le camp du Département de l’économie et de l’emploi qui doit enfin imposer son autorité face à cette multinationale qui refuse de se plier à ses obligations», conclut Davide De Filippo.
Chauffeurs encore plus précarisés
«Uber, go home!», «Macron, Fischer, tous des vendus!» La manifestation qui a suivi l’assemblée générale du 13 juillet a réuni une cinquantaine de personnes, au rythme de ces slogans, sous les fenêtres du Département de l’économie et de l’emploi. Les chauffeurs, remontés, attendent un signe de Fabienne Fischer, mais ils sont rapidement informés que la ministre est absente.
C’est le coup de grâce. «Madame prend du bon temps pendant que nous on crève la dalle!» A l’arrêt du 3 au 17 juin, les chauffeurs ont témoigné à tour de rôle de leur situation. Ils ont été payés par MITC Mobility début juillet. Loin du salaire minimum genevois promis. L’un a reçu 500 francs, un autre 462 francs et un dernier 600 francs, «même pas de quoi payer l’assurance maladie pour ma famille», dit-il. «Ce pseudo-salaire est une insulte», s’est indigné Umberto Bandiera. Déterminés à se battre et à obtenir gain de cause, les ex-chauffeurs Uber, dont la plupart ont refusé le contrat avec MITC, ont décidé de mener leur lutte sur le terrain pour faire entendre leurs voix et demander à l’Etat d’agir. Ils se sont également joints à la manifestation des taxis traditionnels pour demander la suspension de l’application Uber.
D’après les syndicats, une réunion tripartite orchestrée par Fabienne Fischer devrait avoir lieu le 29 juillet.
Témoignages
Youssef, chauffeur depuis 2019
«Je fais partie des chauffeurs qui ont refusé le transfert vers MITC Mobility et je vais m’inscrire au chômage. Nous ne sommes pas du tout d’accord avec les conditions de travail proposées, cela ne peut pas nous convenir. J’ai touché 600 francs net pour le mois de juin alors que, toutes ces années, j’ai gagné entre 4000 et 4500, voire 5000 francs par mois, en travaillant à 90%. Tout ça c’est de la poudre aux yeux: Uber a changé de statut, mais ils gardent exactement le même business plan.»
Philippe Frezier, chauffeur depuis 2016
«L’application a cessé de fonctionner le 3 juin, on n’avait plus moyen de se connecter, plus de courses, plus de travail, et aucune autre communication officielle. On nous a ensuite dit qu’on allait recevoir un salaire pour les jours de coupure, c’était rassurant. On a attendu, attendu, et début juillet, j’ai reçu un salaire de la part de MITC Mobility de 780 francs net alors qu’on nous avait demandé les revenus des 12 derniers mois et que j’avais travaillé 12 jours au mois de juin. Selon mes calculs, sur la base des heures effectuées en juin, j’aurais dû recevoir 2200 francs. Là, j’ai été payé 7,20 francs l’heure, et c’est juste scandaleux! J’ai contesté ce salaire, mais je n’ai eu aucune réponse. Avant, on était déjà précaires, mais là, c’est carrément de la pauvreté. S’il faut faire 180 heures par mois pour gagner 1400 balles, ce sera sans moi! Qui peut vivre avec un tel salaire?»
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