Spécialiste de nos ancêtres les Lacustres, Jacques Reinhard a plus d’une corde à son arc
Dessin, archéologie, tissage et vannerie primitive, autant d’arts que manie avec dextérité Jacques Reinhard, le tout enrobé d’une bonne dose de pédagogie et d’amour de la transmission. Si l’artisan est doté d’une patience infinie, il ne tient pas en place et travaille sans cesse. Au point qu’en ce mois de décembre, il jongle entre une exposition de dessins et la fabrication de divers tissages pour le marché des artisans de Fribourg.
Il y a peu, il donnait encore des stages de vannerie sauvage au Village lacustre de Gletterens, dont il est l’un des initiateurs. A deux pas, dans l’ancienne laiterie du village de Grandcour, il nous ouvre les portes de son atelier. Plusieurs travaux sont en suspens sur les métiers à tisser: écharpes, linges et torchons. Torchon, un mot qu’aime bien cet homme aux mains travailleuses, admiratif de ses grands-parents paysans, des agriculteurs et des pêcheurs de sa région. «Ils m’ont beaucoup appris sur la nature et l’utilisation des matières premières qu’elle nous offre. Ce sont des gens pauvres qui se débrouillent.» Lui-même ne cache pas connaître la disette. Son atelier n’est pas chauffé. Et il vit quelques étages au-dessus, dans une simple chambre. Des hauts et des bas, pour celui qui ne se définit pas comme optimiste, mais «en vagues», et dont les yeux bleus rappellent les eaux du lac de Neuchâtel ou celles de l’océan Atlantique qu’il a contemplé pendant quelques années en Bretagne avant de revenir en 2015 dans sa région natale.
Le sens de la vie?
Né il y a 70 ans à Estavayer-le-Lac, Jacques Reinhard confie s’être trompé d’époque, sans savoir laquelle lui aurait convenu. «Les mêmes questionnements sur le sens de la vie étaient déjà présents dans les grottes préhistoriques», estime Jacques Reinhard, qui a l’impression de n’avoir rien décidé. «Tout est arrivé comme ça.»
Passionné de dessin depuis son enfance, il étudie cet art notamment auprès du peintre Pierre-Eugène Bouvier. Puis l’archéologie à l’Université de Fribourg. Jacques vit en plein les années hippies, la guitare à la main, chantant du Dylan dans les cafés, entouré de ses potes. Il devient enseignant de dessin, tout en se formant aux techniques du tissage.
Dans les années 1980, il coordonne les fouilles archéologiques d’Hauterive-Champréveyres, avant de travailler au Musée d’archéologie de Neuchâtel. Fasciné par les objets tissés retrouvés lors des fouilles, il les reconstitue et s’offre ainsi une plongée dans le temps de quelque 5000 ans. Des chapeaux, des vêtements, des fourreaux, des filets de portage, des peignes, des récipients. Autant d’objets dont foisonne son atelier. «Lors de mes formations, on va dans la nature chercher la clématite, le houblon, le noisetier, le tilleul… Et on fait. Tout est là, à portée de main. Il faut de la patience et l’envie. Si ce savoir-faire ne sert à rien économiquement parlant, il permet de ne pas perdre le lien avec nos ancêtres, à commencer par nos grands-parents. J’aime montrer qu’on peut utiliser nos mains autrement que sur un clavier, raconte-t-il. Le patrimoine immatériel est malheureusement très mal transmis en Suisse. J’ai un savoir-faire que j’aimerais partager. J’ai eu beaucoup d’élèves, mais j’ai besoin maintenant d’un clan, d’un village.»
Eclectisme
Celui qui semble hors du temps s’interrompt un instant pour répondre à son natel… «C’était ma fille. Je garde ma petite-fille ce soir», explique avec bonheur le grand-père qui cumule les activités. A croire qu’il a le don d’ubiquité.
Dans son atelier, l’artiste ne cesse de bouger d’un endroit à l’autre pour montrer tel nœud de vannerie primitive, tel collier de perles de grémil, tel catalogue de reconstitution florale de l’époque égyptienne auquel il a contribué. Une caverne des mille et une nuits d’un archéologue dont les yeux pétillent à l’évocation de ses voyages en Egypte et au Soudan. «Le contenu du musée du Caire dépasse tout ce que l’on peut imaginer…»
Spécialiste de ces temps anciens, Jacques Reinhard garde un œil acéré sur son époque. Sur son site, il interroge: «Sommes-nous en train de détruire notre planète, d’empoisonner son atmosphère, de modifier la vie au point de la détruire irrémédiablement? (…) Faut-il se laisser modeler par des pouvoirs financiers et industriels au point de ne plus savoir se nourrir ni se soigner ni se débrouiller en autonomie, sans en rendre compte à des “supérieurs”, à des “hiérarchies”, à des “lobbies”?» Et l’auteur de ces lignes d’esquisser une piste pour ne pas se perdre totalement, celle de redécouvrir et de transmettre les savoirs manuels et les gestes «comme un patrimoine précieux qui nous relie intimement à notre humanité et à notre planète».
Pour aller plus loin:
experimenter-la-prehistoire.ch
Exposition jusqu’au 23 décembre à L’Espace Aurore à Sorens (route des Jorettes 31). Ouverture du vendredi au dimanche de 14h à 18h ou sur rendez-vous (026 915 13 83). espace-aurore.ch
Marché de Noël des artisans créateurs à l’Arsen’alt à Fribourg (derrière les Remparts 12), vendredi 14 décembre de 17h à 21h, samedi 15 de 10h à 20h et dimanche 16 de 10h à 18h. artisanscreateurs.ch