Faire paysan, Blaise Hofmann, Editions Zoé, 2023.
Blaise Hofmann porte en lui la culture des champs comme des livres. Prolifique écrivain, le Vaudois vient de publier "Faire paysan". Un hommage à ceux qui nous nourrissent
Blaise Hofmann sait faire le grand écart. Du moins symboliquement parlant: entre le monde littéraire et le monde paysan, entre les campagnes suisses et les villes fourmillantes de pays lointains. Il se définit lui-même volontiers, avec auto-ironie, entre le bobo urbain et le paysan. Un entre-deux dont il aime le dynamisme: «Cette instabilité est fertile, car il n’y a pas de certitude.»
Depuis vingt ans, ce fils d’agriculteur devenu écrivain sillonne son environnement natal et la planète, avec une curiosité toujours renouvelée. A l’affût, il porte un regard incisif sur «un réel plus invraisemblable que tout ce qu’on peut imaginer». «Alors pourquoi faire de la fiction?» questionne l’auteur vaudois qui répond avec générosité et humilité à une énième interview.
Dans sa douzaine de livres publiés, il souligne une certaine constance: un sur deux naît de son besoin d’évasion, l’autre de son amour du terroir. «Entre dépaysement et repaysement», lance l’amoureux des mots et de la terre.
Vigneron sur un hectare hérité du domaine familial, Blaise Hofmann aime passer du temps entre les ceps à ébourgeonner, égrapper, désherber manuellement même... «Mon père a planté chaque souche et j’ai vendangé toute mon enfance. Ces dernières années, j’ai appris le travail de la feuille», raconte les yeux pétillants l’habitant de Reverolle, à quelques kilomètres de sa terre natale de Villars-sous-Yens où mûrissent chasselas, gamay et garanoir.
Le voyage, source de l’écriture
Sa passion de l’écriture est née de ses voyages. Au tournant du siècle, à 17 ans, l’enfant qui passait ses étés aux moissons, sort pour la première fois d’Europe. Ce sera le Bénin, pour construire un dispensaire avec des camarades de son gymnase le temps d’un été. Puis, tout juste majeur, Blaise Hofmann part seul, à pied, direction l’Est: un an et demi de voyage initiatique au travers de la Russie, la Mongolie, la Chine, l’Afghanistan, l’Iran, le Soudan et l’Ethiopie, relaté dans Billet aller simple, son premier livre.
A l’Université, il étudie le français, la psychologie et l’histoire qu’il adore, féru d’archives, cette matière brute clé de compréhension. Il s’essaie au journalisme, pour un temps seulement. «Je n’aimais pas l’ancrage dans l’actu. Cela me stressait. Je suis un ruminant. J’aime retravailler mes textes, entremêler les fils», explique l’ancien collaborateur de L’Hebdo et le chroniqueur de 24heures lors de son tour de la Méditerranée en 2008.
Il travaillera ensuite comme enseignant, avant de repartir, aux Marquises cette fois, pour vivre son rêve d’enfant d’une île lointaine et marcher sur les traces de Brel et de Cendrars, qui lui ont ouvert un univers poétique…
Où qu’il soit, ses chemins sont ceux de traverse. «J’ai toujours aimé prendre un bus au hasard, jusqu’au terminus, et marcher le retour. Ce seul pas de côté permet d’éviter les autoroutes touristiques.» Dans son salon, des tissus ramenés de voyage, une toque du Laos, des photos en noir et blanc ou encore une carte du monde invitent à l’évasion.
De la paternité
Après quinze ans de vie lausannoise et de voyages en solitaire au long cours, la naissance de ses enfants a amorcé le retour à la campagne. «Ce matin, j’ai été émerveillé par les moutons amenés dans le champ d’à côté, puis par l’émerveillement de mes filles», raconte le papa attentionné, heureux de travailler à la maison pour les voir grandir et de voyager en famille. «C’est une aventure temporelle plus que géographique. On reprend possession du temps. On ne laisse plus filer les mois, les années», précise celui qui se réjouit toujours de repartir pour mieux revenir. Le dernier périple familial aura duré sept mois, au travers de l’Asie, dont un livre témoigne: Deux petites maîtresses zen. Une ode à la sagesse d’Alice et d’Eve, du haut de leurs 4 et 3 ans, partout chez elles. Mais aussi une critique du tourisme de masse dont la famille n’a pu s’affranchir, avec un retour in extremis avant la fermeture des frontières au printemps 2020.
Ecrivain-paysan
Le confinement permet alors à Blaise Hofmann de mûrir un autre projet, sur le monde paysan cette fois. «J’avais l’idée d’écrire sous forme de reportage, mais c’était impossible de faire l’impasse sur l’intime – mon vécu en tant que fils de paysan – ni sur la complexité du domaine qui demandait aussi de l’analyse. J’ai donc jonglé entre ces trois pôles», explique l’équilibriste, qui a tenu le pari avec maestria. Après avoir été étiqueté écrivain-berger à la suite de son livre Estive, racontant son expérience à l’alpage, écrivain-voyageur avec Marquises, ou encore écrivain-vigneron comme colibrettiste de la Fête des Vignerons, le voici estampillé écrivain-paysan.
«Bref, je suis avant tout écrivain», dit-il en souriant, heureux du succès de ce dernier livre intitulé simplement Faire paysan. «Je reçois beaucoup de témoignages, beaucoup de retours positifs. C’est peut-être un indicateur qu’un dialogue est devenu possible entre citadin et agriculteur? De surcroît, je n’ai pas reçu de critiques de paysans bios, ce qui m’a étonné… car, au fond, mon livre prend la défense de l’agriculture conventionnelle malmenée depuis des années. Même si je pense, et cela me réjouit, que la Suisse sera entièrement bio dans vingt ans.»
Sans vouloir donner de leçon, il estime que le combat numéro 1 est d’obliger la grande distribution à plus de transparence et à plafonner ses marges, tout en encadrant strictement les importations. En l’écoutant, on se surprend alors à l’affubler d’une nouvelle étiquette: l’écrivain-militant.