Un rapport bidon pour justifier des ouvertures dominicales
Le Conseil d’Etat genevois veut imposer une extension des horaires des commerces dans le canton avec des arguments bien minces
A Genève, le Conseil d’Etat cherche à imposer trois ouvertures dominicales des commerces par an. Début février, il a adopté à cette fin un projet de modification de la Loi sur les heures d'ouverture des magasins et l’a transmis au Grand Conseil. Unia et le Sit, les deux syndicats qui organisent le personnel de la vente, ont dénoncé un «projet de loi de la honte» (lire notre édition du 17 février). Présenté dans un rapport du Conseil d’Etat, les arguments justifiant cette extension des horaires sont désormais connus et ils apparaissent bien minces.
Force est de constater que le document du Conseil d’Etat ne se base sur aucune analyse sérieuse ni enquête indépendante. Il s’appuie uniquement sur un rapport demandé aux trois associations patronales de la branche actives sur le canton, la Fédération du commerce genevois, le Trade club et la Nouvelle organisation des entrepreneurs. Dans ce rapport, celles-ci tirent, sur quatre pages, un bilan dithyrambique des ouvertures ayant eu lieu les dimanches 15 et 22 décembre 2019 et 30 août 2020. En mai 2019, le peuple avait en effet accepté une ouverture dominicale trois fois par année durant une période expérimentale de deux ans. Les associations patronales demandent au gouvernement de pérenniser le dispositif.
Car, selon elles, les deux ouvertures dominicales en décembre 2019 auraient amené «une réelle bouffée d’oxygène». Elles pèseraient près de 9% du chiffre d’affaires réalisé entre le 10 et le 24 décembre, qui aurait ainsi progressé de 6% durant cette période et de 2,5% pour l’ensemble du mois de décembre. S’agit-il d’une croissance par rapport à novembre 2019 ou à décembre 2018? Le document patronal ne le précise pas, les méthodes de calcul utilisées restent obscures et les services de l’Etat n’ont pas pris la peine de demander des explications. De toute façon, rien ne prouve que cette progression n’aurait pas été réalisée sans ces ouvertures dominicales. Le rapport patronal évoque encore des magasins, qui, disposant de parkings avec identification des plaques, auraient, eux, enregistré «une forte hausse» de véhicules provenant de France et du canton de Vaud. Mais là encore, les données manquent pour tirer de réelles conclusions. Quant au 30 août 2020, il aurait vu «une belle fréquentation» dans les magasins, jurent les associations d’employeurs, qui se gardent cependant de fournir des chiffres sur cette journée.
Précisons que ces trois associations patronales ne représentent pas tous les commerçants. Elles se désolent d’ailleurs «que de nombreux magasins aient malheureusement décidé de rester fermés» durant ces trois jours de test. Les chiffres d’affaires avancés ne représentent pas l’ensemble du commerce genevois, ils ne tiennent notamment pas compte des magasins habituellement ouverts le dimanche, comme les boulangeries et les épiceries familiales, qui ont certainement vu leurs ventes diminuer. Ouvrir le dimanche est avant tout dans l’intérêt des grandes surfaces, les promoteurs de la nouvelle loi ne s’en cachent d’ailleurs pas: l’idée est de faire pièce à la concurrence de la France voisine où des centres commerciaux sont en partie ouverts le dimanche. Le petit commerçant, lui, n’est pas vraiment concerné. Reste que le tourisme d’achat est d’abord motivé par les prix et ça le rapport n’en parle pas.
L’impartialité de l’Etat mise en cause
Faute d’une véritable étude, il est impossible d’affirmer que les ouvertures dominicales sont positives pour l’économie et favorables à l’emploi. Il est difficile de faire confiance à des associations patronales qui donnent l’impression de rejouer la comédie de la nocturne du jeudi. Voulue par les milieux patronaux et introduite en 2002, cette prolongation à 21h n’a visiblement jamais été rentable. Elle est aujourd’hui supprimée en douce dans le nouveau projet de loi.
C’est le second aspect du projet du Conseil d’Etat: l'heure normale de fermeture des magasins serait fixée tous les jours à 19h, à l'exception du vendredi maintenue à 19h30. Ce qui prolonge les horaires du samedi de 18h à 19h. Le rapport du gouvernement n’aborde même pas la question, comme s’il ne s’agissait que d’un point de détail. «Selon notre comité vente et tous les retours que nous avons des vendeuses et des vendeurs, la perspective de travailler une heure de plus le samedi est pire que les ouvertures dominicales», assure Pablo Guscetti. Le secrétaire syndical explique que dans la vente, le samedi est la journée la plus rude et qu’il est difficile d’obtenir un congé ce jour-là.
Si Unia, le Sit et la Société des employés de commerce ont bien été interrogés, le Conseil d’Etat a totalement ignoré leur point de vue. Son rapport suscite des interrogations sur l’impartialité de l’Etat.
Un bilan de la nocturne et une étude indépendante analysant les avantages et les inconvénients d’une adaptation des horaires et des ouvertures dominicales n’auraient pas été superflus. Ce n’est pas comme si Genève ne disposait pas d’universitaires pour la réaliser… Et, pour bien faire, les conséquences pour le personnel d’un éventuel changement auraient dû être négociées avec les syndicats.