Deux intéressants films suisses, un documentaire sur un cinéaste d’envergure un peu oublié, Ingmar Bergman, et tout prochainement un pamphlet de Michael Moore contre Trump attendu avec impatience... Des réalisations qui devraient permettre aux cinéphiles d’y trouver leur compte.
Le vent tourne de Bettina Oberli − Suisse
Les mamies ne font pas dans la dentelle de Bettina Oberli, cinéaste d’origine bernoise, ont attiré 600000 spectateurs en Suisse, beau succès, pour une œuvre assez plaisante dans son humour empreint d’une certaine tendresse. Avec Le vent tourne, changement de ton: la réalisatrice, séduite par les paysages du Jura, signe un cinquième film en français.
Alex (Pierre Deladonchamps) et Pauline (Mélanie Thierry), sans enfant, forment un couple d’agriculteurs ayant fait le choix de l’écologie pure et dure. C’est ainsi que, pour gagner leur autonomie énergétique, ils installent près de leur ferme une éolienne. Durant l’été, ils accueillent une jeune Ukrainienne de Tchernobyl. Le couple s’aime, le travail leur permet de vivre comme ils en ont ensemble rêvé.
Mais s’introduit un grain de sable dans leur vie : Pauline a une aventure amoureuse avec le séduisant ingénieur constructeur de l’éolienne. Alex a des doutes. Leur histoire dérape, accentuée par le comportement de Pauline cherchant à cacher une maladie frappant le troupeau.
Les parois du Creux-de-Van créent un déséquilibre vertigineux… le film se termine… sans que l’on sache comment il pourrait se poursuivre, entre l’attirance du vide et le retour à la normale.
Mélodrame paysan? Excellent scénario cosigné par la réalisatrice et le scénariste romand Antoine Duplan, traduit par une mise en scène tranquillement maîtrisée.
Une fois encore, une œuvre audiovisuelle suisse ambitieuse s’en va chercher ses interprètes principaux hors des frontières étroites de la Suisse romande. Problème? La distribution est dominée par la blondeur rayonnante de Mélanie Thierry à la présence étrange, à la fois attirante et inquiétante. On ne sait pas très bien ce qui se brise en elle alors que tout devait lui permettre de vivre une vie apaisée, même sans enfant, un espace compensé par l’accueil de l’Ukrainienne après la déjà lointaine tragédie atomique.
Une partie de la mise en scène remplit le rôle d’élément perturbateur dans un univers apparemment serein. La caméra est souvent très proche du visage de Pauline, comme pour y découvrir ce qui se cache derrière l’harmonie des corps, dans la vie quotidienne au travail. Le bruit de l’éolienne perturbera aussi la jeune femme qui aurait tout pour être heureuse. Le vent tourne... et emporte le film vers une dimension presque philosophique.
A la recherche de Bergman de Margarethe von Trotta − Allemagne
Premiers contacts avec le suédois Ingmar Bergman, figurant parmi mes vingt plus grands cinéastes au monde: un texte dithyrambique de François Truffaut dans Arts et spectacles et d’Antoine Doinel dans Les quatre cents coups arrachant devant un cinéma une image d’Harriet Anderson dans L’été avec Monica (1953). En 1964 à Locarno, déjà une rétrospective Bergman avec La nuit des forains (1953), Sourires d’une nuit d’été (1955), Le 7èmesceau (1957), Les fraises sauvages (1957), Toutes ses femmes (1964), etc. Bergman compta vite parmi les grands créateurs de ce siècle. Mais pas seulement: importante fut aussi sa place dans le théâtre de son pays, remarquable directeur d’acteurs, profondément inspiré par des actrices, père de nombreux enfants, musicien, etc.!
Les fils qu’il tient pour essentiels? Citons Une jeune Allemande de Margarethe von Trotta, née en 1942. Cette mention crée un premier lien entre elle et Bergman, né le 18 juillet 1918. A la question posée à une sexagénaire, «Qui est Bergman?», voici sa réponse: «J’ai souvent entendu son nom lors des repas de famille, vu quelques-uns de ses films, d’une grande beauté, avec de merveilleuses actrices, mais sur des sujets disons rébarbatifs.» Son fils, jeune trentenaire, relève pour sa part n’avoir pas eu une seule occasion de voir un film de Bergman. Trou culturel à combler…
Partir à la recherche de Bergman semble donc bien s’être imposé à une réalisatrice et admiratrice allemande, puisque le cinéaste fit un assez long séjour créatif à Munich, ayant quitté provisoirement la Suède à la suite d’accusations de fraude fiscale.
Dans les milieux du cinéma, on aime les anniversaires. Le Monde a consacré une double page à Bergman qui aurait eu cette année 100 ans. Margarethe von Trotta a ressenti l’impérieux désir d’expliquer le pourquoi de son admiration. Avec des extraits de films, des parties d’entretiens pour la télévision, des photos parfois récentes, la voici qui se sert du verbe pour dire cette admiration lucide. A qui s’adresse-t-elle? Peut-être bien un peu plus aux générations qui ont des informations sur le cinéaste suédois qu’à celles qui ont tout à découvrir. Encore faudrait-il que les collaborateurs culturels de chaînes de télévision pensent à un centenaire dont l’œuvre est injustement tombée dans l’oubli. Mais la culture, même cinématographique, préoccupe-t-elle les programmateurs obligés de faire couler le robinet financier...
Michael Moore, mensonges et manipulations de Debbie Melnyk et Rick Caine − USA
Michael Moore, cinéaste américain né en 1954 à Flint, père ouvrier de l’automobile, mère secrétaire, oncle syndicaliste, fut d’abord journaliste, parfois acteur. Sa réputation mondiale est faite par la virulence de ses documentaires, une trentaine, dont certains furent même des succès commerciaux contribuant ainsi au financement partiellement autonome de sa riche filmographie.
Roger et moi (1989) parle de la Général Motors supprimant à Flint trente mille emplois. Moore enquête et multiplie les astuces pour rencontrer Roger B. Smith, le grand patron, pour qu’il prenne conscience des suites de ces licenciements. La prise de conscience n’est pas particulièrement aiguë!
Dans The Big One (1997), Moore fait la promotion d’un de ses livres et rencontre dans plusieurs villes la réalité sociale et les conséquences du chômage provoqué par les multinationales qui continuent à engranger des bénéfices.
Des dizaines de lycéens sont assassinés par leurs camarades...: Moore dénonce dans Bowling for Colombine (2002) la violence exacerbée et facilitée par la possession d’armes à feu. Un événement qui ne changea pas pour autant la donne.
Fahrenheit 9/11 est la contribution du cinéaste à la campagne contre la réélection de Georges W. Bush. Echec, Bush a été réélu, mais certains observateurs admettent que le film a tout de même pesé sur la votation. On peut donc souhaiter à Fahrenheit 11/9 plus d’efficacité aujourd’hui, dans la perspective des élections des deux Chambres du Congrès des Etats-Unis, à mi-mandat de la présidence Trump.
Dans ses affrontements, Moore n’y va pas de main morte, ne craignant pas omissions et manipulations pour renforcer la cause qu’il défend sans craindre d’être de mauvaise foi.
Fahrenheit 11/9 sort un peu partout le 17 octobre. C’est une charge annoncée contre cet incroyable président que se sont offerts les Américains même si une bonne partie d’entre eux s’étonnent tout de même de ce qui leur arrive... Michael Moore ne s’en cache pas: il se sert des moyens du cinéma, de sa puissance pour défendre une cause et celle qui l’occupe aujourd’hui en est une bonne. Alors, il faut voir ce film, sur lequel nous reviendrons à sa sortie en Suisse romande.
Les dames de Véronique Reymond et Stéphanie Chuat −Suisse
Elles sont cinq dames du troisième âge. Mais elles ne forment pas un échantillon représentatif de la population dans la catégorie de leur âge en Suisse romande. Leurs cas particuliers abordent de multiples horizons.
Le documentaire s’ouvre sur une rencontre d’aînés qui, entre autres choses, dansent en couple, ou entre femmes. Pas entre hommes: voici déjà un premier signe peut-être exact: les femmes vieillissent mieux que les hommes!
A qui s’adresse cette réalisation qui, lors d’une récente première à Genève, a réuni un large public. Aux aînés eux-mêmes? Pour une meilleure compréhension entre générations? C’est à coup sûr un fort bon film, avec un choix des dames qui ouvre de multiples pistes sur le quotidien appuyé par le passé. Il propose de «beaux moments» de cinéma dans une approche faite de respect, d’attention, de complicité. Le ton est serein, contemplatif, délicat comme l’accompagnement musical. La démarche est respectueuse, même avec une pointe d’humour ou d’autodérision.
S’impose pour ces «dames» dans une partielle solitude un réel besoin de rencontres. Elles se mettent à deux sur Internet pour sourire de certaines images, que l’on ne voit pas, de messieurs dont on ne dit pas l’âge tout en donnant la date de leur naissance. Pas le temps de faire le calcul... le sujet suivant est déjà là!
De nombreux thèmes sont ainsi abordés, de la vie de tous les jours à l’avenir certes abrégé qui subsiste. Parmi ces derniers, une tranquille approche de ce qui dépasse un tabou, celui de l’amour, comme s’il n’était l’apanage que de la seule jeunesse, plus ou moins toléré à la maturité, beaucoup moins au troisième âge.
L’une des protagonistes parle avec une vraie joie des longues et belles années vécues à vivre et à faire l’amour avec un mari aujourd’hui décédé. Nostalgie? Il y a quelques années, elle vient de faire une nouvelle rencontre qui lui permet de vivre et d’aimer de nouveau, découvrant que cela se déroule, maintenant, différemment que par le passé...
Un regret: on passe nonante minutes avec cinq femmes qui ne se connaissent pas. Il aura fallu le générique de fin pour apprendre leurs prénoms sans pouvoir les associer à un corps ou à un visage. Une bizarre frustration…