Ils étaient 18000 dans les rues de Zurich samedi pour dire leur colère. Leur colère face au mépris de la Société suisse des entrepreneurs (SSE) de ne pas entrer en matière sur leurs revendications légitimes. 18000, c’est presque un maçon sur quatre. Et ces travailleurs sont prêts à durcir le ton sur les chantiers à l’automne si la SSE persiste dans son refus d’ouvrir un véritable dialogue et de trouver des solutions qui ne péjorent pas les conditions de travail dans la branche.
Car ceux qui remettent en cause aujourd’hui la retraite anticipée des maçons, ceux qui leur refusent des hausses de salaire, ceux qui veulent prolonger leurs journées épuisantes, sont ceux qui s’enrichissent de leur travail et de leur sueur. Ceux qui veulent porter à 62 ans l’âge de la retraite des travailleurs de la construction (des gars qui œuvrent par tous les temps, sous la canicule, dans le grand froid, des journées entières ou même des nuits pour construire nos routes, nos ponts, nos immeubles) sont les mêmes qui les jettent à la rue dès la cinquantaine franchie, pour engager une main d’œuvre flexible, temporaire et aux forces encore vives.
Ces entrepreneurs-là font fi de l’espérance de vie raccourcie et reconnue de ces ouvriers, due à la pénibilité et à la pression des délais. Une pression qui est loin de s’alléger, bien au contraire. Et ces entrepreneurs ont le toupet de publier dans la presse, le jour-même de la grande manifestation des maçons, des encarts publicitaires où ils appellent les syndicats à dialoguer; à dialoguer pour «sauver la retraite anticipée» et pour discuter de «modèles modernes et souples de temps de travail». Or en guise de sauvetage, ils proposent de repousser de deux ans l’âge de départ à la retraite, ou de baisser les rentes de 30%, condamnant ainsi les maçons âgés à renoncer à partir plus tôt ou à quémander l’aide sociale. En matière de temps de travail, c’est aussi le démantèlement que la SSE propose, avec des semaines de 50 heures et une annualisation des horaires. Des conditions modernes? Oui, pour mieux coller aux réalités d’une exploitation maximale, garante d’un profit maximal…
Cela a été dit à Zurich samedi: ceux qui s’attaquent à la retraite anticipée des maçons s’attaquent à leur dignité. Et s’attaquent à leur vie aussi. Ils refusent de comprendre que les bras qui construisent notre pays sont ceux d’hommes, de maris, de pères, de grands-pères. Ils refusent de comprendre que ces hommes ont droit au respect et à la vie et n’ont pas à être sacrifiés sur l’autel du profit, des larmes, de la sueur et de l’épuisement.
Les maçons se battent avec raison pour leur retraite et l’amélioration de leurs conditions de travail. Quelque 20000 d’entre eux ont été consultés par Unia. Et 93,1% ont voté en faveur d’une grève à l’automne pour défendre leurs acquis. Une grève qui aura besoin du soutien de tous. Car il en va de l’ensemble des conditions de travail en Suisse. La Convention nationale de la construction est la convention collective phare du pays. Une référence pour tous les corps de métier, que ce soit dans le bâtiment ou dans les autres branches. Un rempart contre la déréglementation et le dumping. Si les maçons remportent ce bras de fer contre les entrepreneurs, c’est l’ensemble des hommes et des femmes travaillant dans ce pays qui en sortiront victorieux.