Au Nicaragua, de grands programmes sociaux ont été mis en route par Daniel Ortega et les sandinistes depuis leur retour au pouvoir en 2007. Spécialiste de l’Amérique latine, le journaliste français Maurice Lemoine relève sur le site Mémoire des luttes (medelu.org) qu’en matière de retraites, le Gouvernement a doublé le nombre de bénéficiaires et quadruplé le montant de la rente minimale, qui atteint 150 francs mensuels. Ce qui n’est pas rien dans un pays où le revenu brut est de l’ordre de 175 francs. Mais du coup, la sécurité sociale accuse un déficit qu’il s’agit de combler maintenant que le pays a perdu le soutien économique du Venezuela, qui fait face à ses propres difficultés. Consultés, les partenaires sociaux n’ont pas réussi à se mettre d’accord. La faîtière patronale était favorable à une baisse des prestations, suivant le FMI qui proposait notamment de relever l’âge de retraite légal de 60 à 65 ans. Le Gouvernement a choisi d’augmenter les cotisations, de 6,25% à 7% pour les employés et de 19% à 22,5% pour les employeurs, et de diminuer de 5% le montant des pensions. Approuvée par les syndicats, la réforme a été promulguée le 18 avril.
Le «paquete»a cristallisé l’opposition. A l’appel d’étudiants, les manifestations ont envahi les rues des principales villes du pays, prenant souvent un caractère d’émeute. La police a répondu par une répression meurtrière. Les divisions n’ont fait que se creuser et on dénombre aujourd’hui près de 300 morts et plus de 2000 blessés. Certes, l’opposition de droite développe une stratégie insurrectionnelle pour faire tomber le Gouvernement et porte une lourde responsabilité dans ces événements tragiques. Il n’empêche que notre condamnation de la violence d’Etat doit être sans équivoque.
La déception est immense. Le Nicaragua, c’était le Cuba de la gauche chrétienne et humaniste. Dans les années 1980, de nombreux jeunes Occidentaux étaient venus prêter main-forte à la révolution sandiniste. La solidarité, c'est la tendresse des peuples, aimait à dire Tomas Borge, poète et figure historique du sandinisme. Tombés sous les balles des mercenaires de la CIA, les Suisses Maurice Demierre et Yvan Leyvraz payeront de leur vie cet engagement. Une dizaine d’associations en Suisse ont continué à témoigner de leur solidarité avec le Nicaragua, tissant de forts liens, qui ne seront pas coupés. Ce qui est fini, c’est la confiance et les espoirs placés dans le Gouvernement du couple Ortega. «Une flamme, après mille autres, vient de s’éteindre», écrivait en 1929 Panaït Istrati. L’écrivain et militant roumain fut l’un des premiers à dénoncer la dictature stalinienne qui se mettait alors en place, sans renoncer pour autant au combat en faveur de l’émancipation de l’humanité: «Allons vers l’autre flamme», concluait-il. L’Amérique latine n’a pas fini de briller, de nous inspirer, de nous faire rêver et de susciter notre solidarité.