Dans le train spécial entre Genève et Berne... Témoignages
Muriel
«Je ne suis pas une habituée des manifestations. Mais défendre les droits fondamentaux comme ceux des femmes, c’est important. Le travail des femmes doit être reconnu. Les tâches ménagères partagées. Infirmière à domicile, je vois les gens dans leurs milieux, je vois les inégalités. Heureusement, les choses bougent quand même, des hommes nous soutiennent. L’égalité, ce n’est pas contre eux, il s’agit d’un partenariat.»
Géraldine
«L’égalité des salaires, il serait temps! C’est la moindre des choses. Je viens manifester pour le principe, même si, sincèrement, je ne crois pas qu’on atteindra l’égalité ainsi. Nos politiciens sont soumis à l’économie mondiale. Pour nous faire peur, ils agitent l’épouvantail: attention, les grandes sociétés vont quitter le pays! Ce qui est loin d’être sûr. Et on continue d’exiger des sacrifices de la part des plus faibles. Les actionnaires, eux, n’en font jamais, pour personne. Comment faire fléchir nos politiciens? Par la violence peut-être. Et quand je dis violence, je pense à la grève. En Suisse, la grève est considérée comme violente. C’est indispensable de se mobiliser le 14 juin prochain. Je l’ai vécu en 1991.
La Suisse a cette habitude de traiter les femmes comme des êtres inférieurs. Le droit de vote en 1971, quelle blague! Quand l’homme devait chasser le mammouth au péril de sa vie, forcément la femme s’occupait du reste. Mais on n’en est plus là. Les femmes sont aussi devenues des guerrières. Après une lutte de dizaines d’années, le congé maternité a été accordé, mais il est minimaliste. Pourquoi les femmes ne sont payées qu’à 80%? Parce qu’elles ont un enfant, auraient-elles moins besoin d’argent? On part toujours du principe qu’il y a un homme qui paie derrière. J’éduque mes quatre garçons. Et mon mari aussi (rires). Lui a vécu dans sa famille l’inégalité. Sa mère sortait de l’usine une demie heure avant pour aller préparer le repas, et s’occupait de tout à la maison. Elle lavait le linge encore à la main. Pour le même job, elle gagnait deux tiers de moins que son époux.»
Loretta
«Cela fait longtemps que je n’ai pas manifesté. J’ai eu le sentiment que c’était important d’y aller aujourd’hui. Je me sens très privilégiée, mais je suis consciente que je fais partie du monde et que, sans les autres, je n’existe pas. C’est génial d’occuper la ville, l’espace public. Ce qui me frappe dans notre société, c’est la minimisation du travail ménager, la charge mentale qui incombe aux femmes, la manière dont on nous a élevées et comment le monde est organisé pour perpétuer les discriminations. Des générations ont lutté − pour le droit de vote, pour le droit de signer des papiers sans le consentement du mari − et on se doit de continuer. C’est tout. Aujourd’hui, c’est un pas de plus. Il reste beaucoup de travail. Il existe un tel déséquilibre ici et au niveau mondial.»
Juliette
«Je ne travaille pas encore, mais je viens pour soutenir les autres femmes. J’espère que cette manifestation permettra de faire bouger les choses. C’est une lutte parmi d’autres. Il faudrait que davantage de gens se mobilisent. J’ai essayé de motiver mes camarades à venir. Plusieurs ont trouvé que Berne était trop loin.»
Loris
«C’est tous les jours la révolution. On essaie de faire le maximum. Aujourd’hui, je pense que c’est la plus grande manifestation à laquelle je participe. Il y a tellement de monde. Cela prouve qu’il y a quelque chose à changer, que ce n’est pas okayde continuer comme ça. Pour ma part, cela me semble normal de faire le ménage. Et la cuisine, j’adore! J’ai été élevé par ma mère, c’est peut-être ça.»
Tania
«Nous sommes privilégiées de pouvoir participer à une action comme aujourd’hui. Ce n’est pas partout pareil. Il y a tant de choses à faire dans le monde. Les discriminations, je les connais au niveau familial, par rapport à mon frère au sujet des tâches ménagères. Mon père m’a toujours fait comprendre que je n’avais pas besoin de faire trop d’études, car j’allais dans le futur devoir m’occuper de mes enfants. Il faisait la cuisine, mais uniquement parce que ma mère était mauvaise cuisinière. Et il faisait remarquer que ce n’était pas son rôle. J’ai toujours trouvé ça injuste. Il ne s’agit pas seulement de changer les lois, mais aussi les mentalités. J’ai lu un livre sur les slogans féministes de ces cinquante dernières années. Ce qui est frappant, c’est que ce sont toujours les mêmes. J’espère que dans cinquante ans, ce ne sera plus le cas.»
Propos recueillis par Aline Andrey, photos Niel Labrador