Des paysans provenant de différents cantons ont attaqué la Confédération estimant qu’elle ne respecte pas ses engagements climatiques
Sécheresses et gel à répétition: la multiplication d’épisodes météorologiques extrêmes a poussé une quinzaine d’agriculteurs et d’associations de paysans suisses à entamer une démarche juridique contre la Confédération pour son inaction climatique. Représentés par le réseau Avocats pour le climat, ces agriculteurs, viticulteurs, maraîchers et arboriculteurs provenant des cantons de Zurich, Genève, Neuchâtel, Schwytz ou encore Vaud ont déposé une requête auprès du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). Ils demandent aux autorités de prendre toutes les dispositions nécessaires pour respecter leurs engagements nationaux et internationaux en matière de réduction des gaz à effet de serre. «Le gouvernement viole plusieurs lois fédérales sur le CO2, l’Accord de Paris pourtant ratifié par le Parlement et, au regard des dispositions prises, ne sera pas en mesure de respecter la Loi sur le climat et l’innovation pourtant validée par le peuple en juin dernier», déclare l’avocat Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, citant différents rapports, comme celui dressé le 11 septembre dernier par l’Agence internationale de l’énergie soutenant son propos. Se fondant sur ce dernier document, les requérants soulignent que notre pays figure parmi les plus mauvais élèves du monde en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Chaque Suisse émet environ 14 tonnes d’équivalents CO2 par an, contre 6 tonnes en moyenne mondiale.
Autocritique attendue
«Nous attendons que le DETEC fasse son autocritique et réagisse. Il doit se montrer transparent et rigoureux, notamment sur les projets autoroutiers. Mais manifestement, il s’assied sur les principes climatiques», critique le représentant d’Avocats pour le climat, évoquant au passage l’élargissement des tronçons envisagé pour le contournement de Morges. Le manque d’action politique en matière de réchauffement climatique, dénoncent les paysans, compromet leur liberté économique et la garantie de leur propriété privée. «En effet, en ne prenant pas de mesures sérieuses pour préserver la population suisse contre le réchauffement climatique, le DETEC endommage la rentabilité des sols dont les plaignants sont propriétaires.» Paysan-vigneron, Yves Batardon fait partie des requérants et vérifie dans son quotidien les conséquences d’une météo qui s’affole. Possédant à Genève un domaine de 45 hectares, il a vu ces cinq dernières années son activité agricole et viticole frappée de plein fouet par le dérèglement climatique. «Les épisodes de gel et de sècheresse se sont multipliés, occasionnant des dégâts pour plusieurs dizaines de milliers de francs. Ces phénomènes ont induit une perte de rendement et un affaiblissement des cultures pérennes. Les jeunes vignes de moins de dix ans sont trop stressées pour se développer, les grains de raisins restent petits», témoigne le sexagénaire, insistant sur le travail réalisé qui n’a pas débouché sur des récoltes, le vin qui n’a pu être vendu...
Un mois d’hiver au lieu de trois...
Yves Batardon précise encore que la situation géographique de son domaine, entre le Salève et le Jura, l’expose davantage aux épisodes extrêmes. «Cette zone est particulièrement impactée, mais préfigure de ce qui nous attend. Aujourd’hui, les bourgeons s’épanouissent plus vite, début mars déjà. Avant, la nature ne bougeait pas avant la mi-avril. Désormais, on ne compte plus qu’un mois d’hiver au lieu des trois ou quatre par le passé.» L’an dernier, les arbres du domaine ont particulièrement souffert de la chaleur d’août et de septembre et, malgré des arrosages fréquents, 10% à 15 % des plantations à hautes tiges n’ont pas survécu. Même sort pour plus de 50% des arbustes de 4 ans qu’Yves Batardon n’a pas réussi à arroser. «Par le passé, après trois ans d’arrosage, les arbres acquéraient leur autonomie, maintenant il faut en compter six en continu», ajoute encore ce travailleur de la terre attendant que la Confédération admette qu’elle ne fait pas son travail. «Nous lui demandons de rectifier le tir. Elle doit tenir les engagements pris. Elle ne pourra nier l’impact de son inaction», ajoute ce membre d’Uniterre, en espérant que la démarche alertera aussi la population. Et dénonçant un modèle d’affaires encouragé par les autorités, «incompatible avec l’écologie», qui épuise la terre sans l’entretenir. «En Suisse, les premiers impactés par le dérèglement climatique, c’est nous, les paysans. Nous subissons la double peine. Nos productions ne sont pas reconnues à leurs justes valeurs, tandis que nos environnements de production se détériorent», note encore Yves Batardon, en estimant qu’une partie des paysans ne se sent aujourd’hui plus représentée, ni au niveau syndical, ni gouvernemental.
Deuxième du genre
Avocats pour le climat mise sur une réponse du DETEC d’ici à la fin de l’été. C’est la deuxième fois que le gouvernement est saisi en raison de son apathie en matière environnementale. Les Aînées pour le climat ont ouvert la voie, accusant la Suisse de ne pas remplir son devoir de protection de la santé. Déboutées, elles se sont adressées à la Cour européenne des droits de l’homme. La décision des juges de Strasbourg devrait tomber ces prochains mois. «Notre démarche ressemble, sur la méthode, à celle menée par les Aînées. Si le DETEC n’entre pas en matière, nous nous tournerons vers les autorités judiciaires», informe encore Maître Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, et d’insister sur le fait que les paysans sont dans ce cas victimes du réchauffement climatique et non auteurs, comme ils sont souvent présentés...