Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Comment le congé paternité s’est-il intégré dans les CCT?

Père et son bébé.
© Helena Lopes/Pexels

Le congé paternité dès les premières semaines de vie permet aux pères de tisser des liens essentiels pour le développement de l’enfant. Il est aussi l’occasion de redéfinir le partage des tâches au sein du couple. Dès le 1er janvier de cette année, les papas bénéficient d’un minimum légal de deux semaines à prendre dans les six mois qui suivent la naissance.

L’association du nouveau congé légal aux dispositions paritaires concernant les naissances a fait l’objet de tractations dans les branches. Les résultats sont contrastés. Tour d’horizon

Le congé paternité est entré en vigueur au début de l’année. Il permet aux jeunes papas d’arrêter de trimer durant dix jours de travail, soit deux semaines, en percevant 80% de leur salaire. Jusqu'ici, les nouveaux pères n'avaient le droit qu'à un jour de congé prévu par le Code des obligations (CO), comme pour un déménagement. Raison pour laquelle, les syndicats ont depuis longtemps demandé et obtenu dans de nombreuses conventions collectives de travail (CCT) des jours supplémentaires pour les naissances. Des congés indemnisés la plupart du temps à 100%. Que deviennent la disposition du CO et les règles conventionnelles avec l’arrivée du congé paternité légal? Sont-elles annulées ou s’y ajoutent-elles? Un certain nombre d’employeurs et d’associations patronales sont partis du principe que la nouvelle loi annule les dispositions du CO et des CCT. D’autres ont engagé des discussions sur ce point avec les représentants syndicaux, qui, s’appuyant sur des avis de droit (lire ci-dessous), pensent le contraire. Aujourd’hui, où en est-on des négociations dans les branches où est actif Unia?

Huit semaines chez Philip Morris

Débutons ce petit tour d’horizon par le bon élève, le secteur industrie. «Entre la votation du 27 septembre 2020 et l’entrée en vigueur de la loi, nous avons réussi en peu de temps à négocier et à obtenir de bons résultats», explique Manuel Wyss, membre de la direction du secteur industrie du syndicat. La CCT de l’industrie des machines (MEM) et la CCT de la mécatronique genevoise offrent désormais, respectivement, onze et dix jours payés à 100%. Et toutes les CCT d’entreprises des branches MEM, de chimie, de la pharma et de l’industrie alimentaire prévoient plus que le minimum légal. La palme revient à Philip Morris à Neuchâtel dont le congé indemnisé à 100% passe de cinq jours à huit semaines! «C’est une reconnaissance de la nécessité d’un partage des tâches au sein du couple, nous aimerions que cela se généralise dans les entreprises», commente Derya Dursun, secrétaire syndicale d’Unia Neuchâtel et responsable de cette CCT. Seule petite ombre au tableau du secteur industrie, l’horlogerie et la microtechnique où les discussions n’ont pour l’heure pas abouti. «Nous n’avons pas trouvé de terrain d’entente avec la Convention patronale et nous sommes toujours en discussion», indique Raphaël Thiémard, le responsable de la branche. Il faut dire que, contrairement à la chimie ou à la pharma, l’horlogerie sort d’une mauvaise passe. La Convention patronale a invité ses membres à superposer les cinq jours d’arrêt de la CCT avec le congé légal. Soit cinq jours payés à 100% et les cinq autres à 80% pour le premier enfant; pour le second enfant et les suivants, les dix jours sont indemnisés en intégralité. C’est un peu plus que le minimum légal.

Indemnisation à 100%

Cette indemnisation à 100% est importante pour les représentants du personnel, surtout dans les branches où les salaires sont jugés trop faibles. Perdre 20% de sa rémunération durant deux semaines n’est pas sans conséquence pour une famille des classes populaires, alors que le congé maternité entraîne aussi une perte du même ordre durant quatorze semaines. Le congé existant dans une CCT peut donc être utilisé pour assurer le paiement de l’intégralité du salaire. «Une indemnisation à 100% des dix jours du congé légal est un compromis à l’avantage des deux parties», explique Yannick Egger de la direction des arts et métiers d’Unia. Dans ce secteur, la formule a été ainsi convenue pour les CCT de la construction en bois, de la construction métallique, de l’enveloppe des bâtiments et de l’industrie du marbre et du granit. «Nous avons réussi dans certaines branches à nous accorder avec les représentants des employeurs. Pour les autres, le différend devra se régler devant un tribunal lorsque nous serons confrontés à un cas. Pour nous, il est évident que les dispositions des CCT doivent s’additionner au congé légal comme nous le confirment d’ailleurs des avis de droit.» Des négociations sont encore en cours dans le second œuvre romand et l’électricité.

Pas de dialogue, en revanche, dans le secteur principal de la construction. «La Société suisse des entrepreneurs estime que le congé légal annule le jour de congé payé existant dans la CCT et exclut toute négociation. Des discussions sont, par contre, en cours pour les CCT de l’industrie des produits en béton et des tuileries-briqueteries, mais elles ne sont pas faciles. Notre position est claire: les dispositions dans les CCT doivent s’ajouter au congé légal», indique Chris Kelley, codirecteur du secteur construction.

CCT dénoncée?

Dans le tertiaire, enfin, des négociations ont lieu pour les shops de stations-services, «qui devraient déboucher sur un accord», informe Véronique Polito, la responsable du secteur. «L’entreprise Elvetino s’est engagée à payer au moins 100% durant deux semaines. Dans la sécurité, la coiffure, l’hôtellerie-restauration des discussions ont été menées au niveau paritaire sans qu’une entente ait été trouvée. Le cumul est contesté par les employeurs.» La vice-présidente d’Unia rappelle que, lors de l’introduction du congé maternité, des employeurs de la coiffure avaient à l’époque dénoncé la CCT pour cette raison. «Cela dit, je ne pense pas que nous en arrivions là avec le congé paternité. Nous aurons des négociations conventionnelles dans les prochains mois dans la coiffure et l’année prochaine pour l’hôtellerie-restauration, nous mettrons alors la question de la compilation sur la table. En attendant, il me paraît évident que, si une CCT prévoyait jusqu’à présent cinq jours de congé paternité payés à 100% par l’employeur, celui-ci doit s’engager à verser au moins le salaire à 100% pendant les dix jours de congé paternité, sachant que l’assurance lui remboursera 80% du salaire!»

Le congé paternité légal n’annule pas les règles du CO et des CCT

Les syndicats s’appuient sur l’analyse de leurs services juridiques et disposent aussi d’une expertise commandée par Travail.Suisse à Thomas Geiser. Pour ce professeur de l’Université de Saint-Gall, la réglementation existante sur les jours de congé usuels du Code des obligations (CO) reste en vigueur et le congé doit toujours être indemnisé à 100% par l'employeur. Ce n’est donc qu’après ce jour ou, selon un usage courant, ces deux jours de libre, que le congé paternité débute. «C’est une interprétation qui se défend et avec laquelle je suis d’accord», confie Jean Christophe Schwaab, l’un des coauteurs du Commentaire du contrat de travail, l’ouvrage de référence sur le droit du travail en Suisse. Le congé paternité légal n’a pas annulé les congés usuels du CO et, si les premiers jours de congé sont reliés à l’événement de la naissance, le congé paternité a une autre fonction, celui de créer une relation avec l’enfant et de mettre en place l’organisation et le partage des tâches au sein de la famille.

Sur la question des conventions collectives de travail (CCT), Thomas Geiser estime que, dans bien des cas, les solutions existantes doivent être additionnées au congé paternité. Le facteur décisif est de savoir si la disposition avait pour but d’améliorer la situation des salariés concernés. Si on peut répondre par l’affirmative, il y a cumul de la règle de la CCT et du congé paternité. L’évaluation doit aussi se demander si l’introduction d’un congé a entraîné le renoncement à d’autres revendications. Et il faut également considérer que les employeurs ne prennent plus en charge que la moitié des coûts du congé légal par le biais des cotisations aux allocations pour perte de gain. Jean Christophe Schwaab voit les choses plus simplement: «Tant que le congé paternité d’une CCT n’est pas enlevé pour être remplacé par le congé paternité légal, les deux coexistent.»