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Des funambules de l’habitat pour un autre lien au monde

Le toit cultivé en potager.
© Olivier Vogelsang

Le toit est partagé par la centaine d’habitants de Soubeyran, qui y cultivent leur potager.

Depuis dix ans, la coopérative d’habitants genevoise Equilibre expérimente toilettes écologiques, chantiers participatifs et art du vivre ensemble. Visite

Mercredi 31 mars, c’est sous un soleil généreux que Benoît Molineaux reçoit une classe de 17 élèves du gymnase de Morges pour une visite des réalisations de la coopérative Equilibre. A Genève, devant le petit immeuble de Cressy, le cofondateur revient sur cette aventure de l’habitat participatif. Il y a plus de quinze ans, avec des amis inquiets pour l’avenir de la planète, il décide d’agir pour allier économie, social et écologie. «Nous voulions sortir de ce système où les choix sont guidés avant tout par l’argent. Quand nous avons dit à des professionnels de la construction que nous voulions de grands balcons en bois, du Minergie-P et des toilettes sèches, tout était trop cher ou bizarre. Or, malgré nos choix écologiques, mon loyer n’est que de 1500 francs charges comprises pour un 100 m2. Soit quasi la moitié d’un appartement dans le marché libre», explique celui qui est devenu un des sept salariés d’Equilibre. Car la coopérative ne s’est pas arrêtée là. Forte de sa première expérience, elle a ensuite récidivé avec l’immeuble de 38 logements de Soubeyran. Et dernièrement dans l’écoquartier des Vergers avec 65 logements répartis dans trois immeubles. Avec, à chaque fois, des voitures en autopartage, des toilettes sèches et du lombricompostage, des espaces communs, des potagers, un poulailler...

Visite de la coopérative.
Explications d’Olivier Krumm sur l’aventure des coopératives Equilibre et Luciole devant l’immeuble de Soubeyran. © Olivier Vogelsang

 

Econome en énergie

«A Cressy, les grands triples vitrages donnant sur le sud chauffent l’appartement en hiver. En été, les grands balcons permettent d’éviter la surchauffe. Ce qui fait qu’on consomme très peu d’énergie et, en général, seulement de mi-décembre à fin mars», explique Benoît Molineaux. L’ancien enseignant et physicien de formation invite la classe à entrer chez lui. A l’intérieur, la cuisine et son séjour sont chaleureux. «Nous avons participé au montage de la cuisine avec un artisan», raconte l’habitant. Un choix écologique et social, et surtout tellement plus joli que les cuisines industrielles. «Nous avons mis en place plusieurs chantiers participatifs, ce qui nous a permis de baisser les coûts.» Et de créer du lien social, comme lors du deuxième projet d’Equilibre en collaboration avec la petite coopérative Luciole.

Pour rejoindre l’immeuble de Soubeyran, la classe prend un tram, un bus dans le mauvais sens, puis un autre encore. «On aurait été plus rapide en voiture», souligne ironiquement un jeune. Mais c’est l’occasion d’échanger quelques mots avec Frédérique Zahnd, enseignante de littérature, sur ses motivations à embarquer ses élèves, privés de voyage d’études, dans ce périple alternatif. «Nous avons lu le roman dystopique, Après le monde, d’Antoinette Rychner et avons, pendant ces deux dernières années, beaucoup parlé d’environnement et de transition. Dans cette journée, j’avais envie de leur montrer qu’on peut vivre autrement, sans déni du drame en cours, mais plein d’enthousiasme.»

Balcons.
Les balcons sont reliés entre eux, une source d’échanges. © Olivier Vogelsang

 

Isolation en paille

C’est Olivier Krumm, architecte, collaborateur d’Equilibre et habitant de Soubeyran qui reçoit les jeunes captivés par ses explications enjouées. Il raconte le tracteur et ces deux mille bottes de paille qui ont débarqué il y a quelques années entre les hauts immeubles de ce quartier. Un chantier pour l’isolation du bâtiment réalisé par les futurs habitants et le Collectif d’architecture participative et écologique (CARPE) basé à Lausanne. Un enduit en terre à l’intérieur, mais une enveloppe en béton pour des questions de normes incendie.

Pour le plus d’équité possible, pas d’attique sur les toits, mais des panneaux solaires, un potager et une terrasse collective. «Tout le monde a le même droit au soleil», souligne Olivier Krumm. A ses côtés, un étudiant lance, enthousiaste: «C’est stylé!» Olivier Krumm montre du doigt d’autres grands immeubles un peu plus loin: «Là, c’est une coopérative ouvrière. Les loyers sont bas également, mais il n’y a pas une telle participation des habitants dans la conception de la maison. Chez nous, les réunions étaient ouvertes à tous. On nous disait qu’on allait se planter, qu’il y aurait trop de monde ou pas assez... Mais, en fait, cela a créé un relais d’énergie fou. Pendant quatre ans et demi, on a fait 140 réunions et chacun a donné deux semaines de son temps pour les chantiers.»

Ministation d'épuration.
En plein centre de Genève, la ministation d’épuration à lombricompostage où travaillent inlassablement, en digérant, quelque 400 kilos de vers de terre. © Olivier Vogelsang

 

Espaces communs

Pour diminuer les coûts, un seul ascenseur dans cet immeuble de cinq étages, avec un passage, comme une ruelle couverte, au troisième étage, ainsi que des coursives entre les balcons permettant la circulation des personnes à mobilité réduite. S’ajoutent des pièces communes, un hall accueillant avec bibliothèque, canapés et piano, des pièces indépendantes pour des bureaux et des chambres d’amis. Autant d’espaces mis à disposition des coopérateurs. «On a appris à lâcher prise sur nos choix personnels. Et chaque habitant en travaillant dans le chantier sait comment sa maison est construite. Ces démarches participatives relient les gens à leur habitat et entre eux. Chacun pouvait aussi décider de plâtrer, peindre ou laisser le béton brut», explique Olivier Krumm. Cet allègement de budget a permis aussi de faire appel à un artisan pour la cuisine, de poser du parquet partout, des toilettes à chasse d’eau économe, avec lombricompostage, et une hauteur de plafond à 2 m 70 (au-dessus du minimum) pour permettre la pose de mezzanines. «En tant qu’architecte, cela me paraissait impossible. Mais, ce qui est génial avec les non-professionnels, c’est qu’ils osent! A la fin, il nous restait 300000 francs. On peut faire tellement de choses sans promoteurs qui s’en mettent plein les poches», ajoute-t-il. Au rez-de-chaussée, une salle commune, un café indépendant (Le trois plis), qui partage les valeurs du lieu et sert les bières de la microbrasserie créée par un habitant de la coopérative.

Salon pour tous.
Dans le hall d’entrée de l’immeuble, un salon pour tous. © Olivier Vogelsang

 

Un écoquartier

Après un tour dans les cuves de compostage – un fumier au milieu de la ville en somme – des toilettes expérimentales et un pique-nique, il est déjà temps de rejoindre l’écoquartier de Meyrin, les Vergers. Equilibre y compte trois bâtiments sur 30 immeubles, 65 logements sur 1200. La réflexion se fait ici en collaboration avec les autres coopératives – La Codha, Voisinage, les Ailes, Polygones, la Ciguë – et les autres promoteurs. «Ici, nous créons une filière alimentaire unique, avec une coopérative agricole, des artisans transformateurs et un supermarché, la Fève, pour la distribution. Nous travaillons aussi à la mise en place d’un système de santé plus proche des gens, axé davantage sur la prévention», explique Benoît Molineaux. «On essaie d’être le plus cohérent possible, mais les compromis font aussi partie de la résilience. On relève le défi de vivre ensemble. On apprend, peu à peu. Avec aussi parfois des formations de communication non violente et de la médiation.» La mixité, elle, reste encore un grand défi. Et ce malgré des appartements dévolus à des personnes migrantes, dont les parts sociales sont prises en charge par la coopérative.

Le bénévolat, l’engagement des habitants est aussi conséquent. Et la professionnalisation a été rendue nécessaire par l’augmentation des projets et l’envie de faire évoluer non plus seulement les bâtiments d’Equilibre, mais également des quartiers et des villes. La coopérative soutient aussi de nouvelles coopératives partageant ses valeurs. Essaimer plutôt que grossir. Un autre paradigme.


Pour davantage d’informations, aller sur:
cooperative-equilibre.ch
La Revue Durable, no 62

Réactions de quelques gymnasiens à la fin de la journée de visite

Elodie: «J’ai trouvé très intéressants les espaces communs qui compensent le fait que les appartements sont plus petits. J’imaginais visiter des bâtiments écologiques, mais pas avec autant de liens sociaux.»

Gabriel: «C’est excessivement émergent, convivial, original, à l’opposé de notre manière d’habiter habituelle si standardisée. Dans la coopérative, tout relève de la sociabilisation, dès le hall d’entrée. Face aux défis écologiques, l’individualisation n’est pas la solution.»

Inès: «Le système des toilettes, ça m’a bluffé. Mais personnellement, j’avoue que j’aurais de la peine. Peut-être qu’à Soubeyran, le système, avec de l’eau quand même, me conviendrait. Je crois que les changements d’habitudes doivent se faire en douceur. Sinon, j’ai adoré l’ambiance. Ce n’est pas juste des voisins, à qui on dit seulement bonjour. C’est une famille! Ça donne espoir!»

Noémie: «C’est le projet d’une vie. Y mettre autant de temps, c’est courageux. Ça me donne envie de vivre dans une coopérative comme ça, avec une empreinte plus minime sur l’environnement. Ne pas être un obstacle au cycle naturel, ne plus détruire la planète!»

Pause des gymnasiens.
Petite pause dans ce voyage alternatif au cœur de Genève pour la classe de gymnasiens venue de Morges. © Olivier Vogelsang

 

Pipi, caca et vers de terre

Les toilettes sèches et le lombricompostage sont la marque de fabrique d’Equilibre qui n’a de cesse d’innover et de tester. Un laboratoire unique en Suisse pour des immeubles aussi grands dans un canton qui est l’un des seuls à accepter ce système à titre expérimental. En effet, juridiquement le raccordage aux égouts est obligatoire quand le réseau existe. «Face au stress hydrique que connaissent déjà deux tiers de la population mondiale, et alors que la moitié de l’humanité n’est pas desservie en eau potable, la question des toilettes est essentielle. De plus, dans nos excréments, on retrouve tous les éléments nécessaires à un bon engrais», explique Benoît Molineaux. En effet, alors que les ressources en phosphates (essentielles à l’agriculture) vont venir à manquer, ces précieux éléments partent dans les égouts et, de surcroît, polluent. «La nature ne produit pas de déchets. Tout fonctionne par cycle. Et nous sommes en train de casser ces équilibres, explique Benoît Molineaux. Autrement dit, il faut arrêter de faire nos besoins dans l’eau potable.» Dans l’immeuble de Cressy, les toilettes sont directement raccordées à des conteneurs où travaillent jour et nuit des milliers de vers de terre. «Sont-ils heureux?» demande un étudiant lors de la visite. «Je pense, parce que, quand ils n’avaient pas assez de paille et d’eau de pluie, ils sortaient des cuves», raconte le spécialiste en souriant. Le travail digestif des vers de terre permet au compost d’être enrichi, et aux odeurs d’être effacées comme par magie. Reste qu’il faut attendre quelques années avant d’utiliser ce compost dans les potagers dont les rendements, depuis, augmentent d’année en année. A Soubeyran, la séparation de l’urine et des selles, grâce à une cuvette spéciale, permet de limiter la quantité d'eau utilisée à chaque fois que l'on tire la chasse. Les selles, le papier, l'eau et l'urine sont ensuite remélangés, puis broyés, avant d'être dispersés en surface d'une ministation d’épuration à lombricompostage où travaillent inlassablement quelque 400 kilos de vers de terre (soit 4 kilos par personne) en digérant la matière. L'eau passe ensuite dans un double filtre minéral avant d'être repompée et réutilisée pour les WC. «Aujourd’hui, l’idée fait son chemin même auprès des Services industriels. Car les stations d’épuration posent problème. C’est du réseau à construire et à entretenir, et les précieux nutriments tels que le phosphore ne sont pas récupérés», souligne Benoît Molineaux. A Meyrin, dans le quartier des Vergers, c’est encore à un autre type d’expérimentation que s’essaie Equilibre, avec le «cacarrousel» qui permet le compostage juste sous la cuvette, et une utilisation de l’urine comme engrais.

Benoît Molineaux, secrétaire général de la coopérative Equilibre, manie la fourche pour montrer les vers de terre à l’œuvre dans la station d’épuration expérimentale de l’immeuble de Soubeyran.
Benoît Molineaux, secrétaire général de la coopérative Equilibre, manie la fourche pour montrer les vers de terre à l’œuvre dans la station d’épuration expérimentale de l’immeuble de Soubeyran. © Olivier Vogelsang

Une initiative pour davantage de coopératives

Une initiative populaire cantonale pour accélérer le développement de l’habitat coopératif à Genève a été lancée par le Groupement des coopératives d’habitation genevoises (GCHG). Elle demande de doubler le nombre de ce type de logements pour arriver à 10% du parc locatif d’ici à 2030. A noter que Zurich en compte déjà plus de 20%. Cela signifie que, dans le canton de Genève, quelque 10000 nouveaux logements pourraient voir le jour. La demande existe: les listes d’attente sont longues dans les coopératives et ces dernières sont nombreuses à chercher un terrain ou une maison à rénover. Si des différences s’observent entre les coopératives historiques du début du 20e siècle et celles du début du 21e, toutes partagent l’absence de lucrativité, la possibilité de prendre part aux décisions et le souci du développement durable. Alors que les loyers ont tendance à augmenter avec le temps, ils restent stables, voire diminuent, dans les coopératives. Dès lors, ils peuvent être jusqu’à 40% moins chers que dans les logements inscrits dans une logique spéculative.

Signer l'initiative sur: initiative.gchg.ch

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