Dialogue et Europe sociale
Invité par la Fondation Jean Monnet, Per Hilmersson, secrétaire adjoint de la Confédération européenne des syndicats, a retracé les grandes lignes des défis actuels de l’Europe
Un représentant du patronat européen et un représentant des syndicats devaient se confronter ce soir-là à Dorigny à Lausanne pour débattre de l’Europe sociale dans le cadre d’un «Dialogue européen» mis sur pied par la Fondation Jean Monnet. Mais ce 4 février, seul le secrétaire adjoint de la Confédération européenne des syndicats (CES), le Suédois Per Hilmersson, avait fait le déplacement, la directrice générale adjointe de BusinessEurope, Thérèse de Liedekerke, s’étant désistée. Face à un public clairsemé, Per Hilmersson était interrogé sur sa vision de l’Europe sociale par Pat Cox, président de la Fondation Jean Monnet et ancien président du Parlement européen.
«L’Europe sociale est un sujet politiquement sensible et très vaste», a introduit Pat Cox, en questionnant l’invité sur différents aspects, tels que la montée du populisme, les défis climatiques, industriels, démographiques, du marché du travail, les effets du Bexit, ainsi que les défis de l’innovation et de la compétitivité. D’entrée, Per Hilmersson a donné sa vision de l’Union européenne (UE), fondée sur une «économie de marché sociale, dont le but est d’aller vers davantage de compétitivité tout en disposant d’une justice sociale».
Concernant le populisme, il a expliqué que ce dernier a le plus souvent émergé là où les Etats ont remis en question les droits des travailleurs et des syndicats. «On constate que, même parmi nos membres, il existe des sentiments négatifs face à l’Europe. Nous devons regarder les séquelles laissées par la crise économique. L’économie repart, mais il y a toujours de fortes inégalités, de 4% à 62% selon les pays. Il y a beaucoup d’instabilité, d’emplois temporaires, des retraites à assurer alors que les salaires sont moindres», dit-il, ajoutant qu’en Europe, un travailleur sur dix court le risque de tomber dans la pauvreté. «Le manque d’Europe sociale engendre de la défiance. Seuls un bon travail, un bon salaire et l’accès à des droits égaux en matière d’éducation, de santé et de formation peuvent être à la base d’une telle Europe.»
Révolution des compétences
Le responsable de la CES a appelé à «laisser derrière nous l’austérité, à créer plus de travail de qualité et une base de droits sociaux pour promouvoir une croissance économique durable permettant d’assurer une bonne transition vers l’économie numérique et neutre en carbone». Deux points constituant les grands défis à venir: celui du changement climatique s’inscrit dans la proposition de Pacte vert de la Commission européenne pour devenir le premier continent neutre en matière d’émission carbone d’ici à 2030; et celui de l’automatisation et de la digitalisation pourra être relevé grâce à la formation continue de tous les salariés. «Il faut une révolution des compétences, l’industrie verte va créer des millions d’emplois. Maintenant il y a une faille, un vide, nous devons investir dans le développement de ces qualifications.»
Interrogé par Pat Cox sur les divergences entre le patronat européen et la CES face aux enjeux actuels, Per Hilmersson a indiqué: «Nous avons les mêmes objectifs quand il s’agit d’une Europe sociale. La différence principale porte sur les outils que devrait avoir l’UE pour y parvenir. La CES pense qu’il faudrait les mêmes règles pour tous les Etats membres, mais en général, le patronat n’est pas favorable à des améliorations. Depuis dix à vingt ans, malheureusement, le dialogue social ne fonctionne pas bien.»
Protocole social
Attendu sur la problématique de la libre circulation, Per Hilmersson a plaidé «pour une mobilité équitable» et informé d’un projet de Protocole social qui changerait le cadre des traités afin que les droits sociaux priment sur la liberté économique. Il a aussi apporté son soutien aux syndicats suisses pour la défense des mesures d’accompagnement face aux pressions de l’UE sur l’accord-cadre. «Ces mesures ont été introduites pour protéger les travailleurs en poste et combattre le dumping social. Pour la CES, aucune circonstance ne devrait permettre de diminuer ces règles, notamment au niveau des salaires. On doit garantir le traitement égal de tous les travailleurs en Suisse. Nous devons défendre les droits et les salaires plutôt que nos frontières.»
Présent dans le public, Vasco Pedrina, ancien président d’Unia, a interpellé le syndicaliste européen au sujet de cet accord: «Aux trois points concrets à résoudre – mesures d’accompagnement, aides de l’Etat et directives sur la citoyenneté – s’ajoute la problématique de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Pour les syndicats, jusqu’en 2005, cette cour avait une conscience sociale de l’Europe. Ensuite, dès 2007-2008, il y a eu quatre jugements, dont Laval, Viking et Luxembourg, dans lesquels la CJUE a donné la priorité à la liberté économique par rapport aux droits sociaux. Ça a été l’ouverture au dumping social et aux pressions de l’UE sur la Suisse et sur nos mesures d’accompagnement.» Vasco Pedrina a ajouté que de nouveaux jugements diminuant les droits sociaux et favorisant le dumping venaient d’être rendus, notamment sur l’Autriche qui a dû diminuer ses jours d’annonce pour garder son système de caution et sur une société travaillant en Autriche, autorisée par la Cour à payer des salaires hongrois. «D’où nos inquiétudes. Faut-il attendre que les traités soient modifiés et que les droits sociaux soient placés avant la liberté économique, ou faut-il espérer que, grâce à la diplomatie, la Cour revoie elle-même sa hiérarchie?»
Votation sur la libre circulation
Pour Per Hilmersson, cette question «témoigne du besoin d’un Protocole social. Normalement, tous les employés doivent avoir un même salaire, mais il y a encore des différences au niveau des droits des travailleurs dans les traités existants. C’est pour cela qu’il faut une vraie base, garantissant l’égalité. L’UE devrait aussi créer une clause de non-réduction des normes standards, tant pour la Suisse que pour le Royaume-Uni.»
Autre sujet helvético-européen, la votation du 17 mai sur l’initiative de l’UDC demandant l’arrêt de la libre circulation. «Si cet objet passe, il abolira tous les accords avec l’UE et tous les acquis des travailleurs obtenus à leur suite. Ce qui me fait penser au Brexit qui vient de commencer, a noté Per Hilmersson. Je suis très inquiet sur ce vote, je ne veux pas que le partenariat avec la Suisse s’achève. C’est important pour nos travailleurs, pour l’emploi, et cela concerne aussi les citoyens suisses.»
«Nous allons nous engager pour le non à la résiliation de la libre circulation des personnes, a déclaré Pierre-Yves Maillard, lui aussi dans la salle. Les nationalistes se préparent déjà à abolir, juste après le vote, les mesures d’accompagnement. Ils leur reprochent d’avoir permis de réguler le marché de l’emploi. Ce qu’ils veulent, c’est libéraliser les conditions de travail, les services publics.» Le président de l’Union syndicale suisse a encore plaidé pour ne pas mélanger le débat sur l’accord-cadre et celui sur l’initiative de l’UDC, ce qui favoriserait cette dernière.