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Ecolo de ville et des champs

Portrait de Julien Friderici.
© Thierry Porchet

Julien Friderici, dans la nouvelle échoppe: «La crise sanitaire a révélé les limites de notre système et la nécessité d’alternatives.»

Coorganisateur d’une épicerie spécialisée dans la vente de fruits et de légumes locaux et gestionnaire de projets culturels, Julien Friderici joue sur deux tableaux qui le nourrissent

Julien Friderici fait rimer culture et agriculture. Pour ce Vaudois de 45 ans, ses deux casquettes professionnelles se complètent, un peu dans l’idée «d’un esprit sain dans un corps sain». «Il y a, d’une part, la nourriture intellectuelle et émotionnelle que m’apporte mon travail dans la culture et, d’autre part, l’alimentation et l’importance de connaître sa provenance et de favoriser les circuits de distribution courts», souligne le responsable de La Nuit des musées à Lausanne. En marge de cette activité effectuée à temps partiel, le quadragénaire a ainsi ouvert en début d’année à Lausanne, avec trois autres complices, l’épicerie «Comme un arbre»*, en référence à la chanson de Maxime Le Forestier. Spécialisée dans la vente de fruits et de légumes frais sans traitement chimique et issus essentiellement du terroir, l’échoppe installée dans le quartier du Flon entend étoffer l’offre ponctuelle des marchés extérieurs. «La crise sanitaire a chamboulé les habitudes de consommation. Et dopé la vente directe à la ferme. Ce magasin répond à un besoin des citadins soucieux d’accéder, au centre-ville et durant toute la semaine, à des produits sains et de proximité», explique Julien Friderici se fondant sur une expérience de terrain. Trois ans durant, en parallèle de ses mandats de gestionnaire de projets culturels, le Vaudois s’est familiarisé avec le travail des champs dans la ferme agroécologique de Rovéréaz, aux portes de Lausanne. Une structure proposant déjà la vente de ses produits, sans intermédiaire. «Pendant le premier semi-confinement, alors que je travaillais encore au sein de cette exploitation, le flux de clients n’a cessé de croître. Je l’ai quittée en octobre dernier avec l’idée partagée de lancer le nouveau commerce.» Plus qu’un magasin supplémentaire, ce lieu a aussi pour vocation de devenir, dès que les mesures sanitaires le permettront, un endroit d’échanges et de réflexion sur la nature en ville, l’agriculture urbaine et la consommation durable. «La crise actuelle a révélé les limites de notre système et la nécessité d’alternatives», insiste le coorganisateur de «Comme un arbre».

Graine plantée dans son esprit

La passion que nourrit Julien Friderici pour le travail de la terre et une nourriture saine remonte au temps où il dirigeait le centre culturel Le Nouveau monde à Fribourg. En marge de cette fonction, l’homme s’investit encore dans le projet saisonnier du Port de Fribourg. Une oasis de verdure au cœur de la ville qui intègre un Bistro écoresponsable, des prestations socioculturelles à ciel ouvert et des jardins participatifs. «J’ai particulièrement apprécié les échanges intergénérationnels et inclusifs développés autour des potagers. Si, à l’époque, je m’impliquais dans la coordination des activités, une graine a été plantée dans mon esprit et a germé par la suite», raconte celui qui a aussi pris entre autres, au cours de son parcours professionnel, les rênes de lieux culturels comme l’Usine à gaz à Nyon, les Docks à Lausanne ou encore a œuvré comme responsable romand de l’association faîtière de musique et festivals Petzi. Avec, au cœur de ce dernier engagement, un souci d’améliorer des conditions sociales et salariales des acteurs culturels.

L’exemplaire mauvaise herbe

Quittant Fribourg pour Lausanne, Julien Friderici effectue alors des stages saisonniers à la ferme de Rovéréaz où il apprend à manier râblais, fourche et bêche... Du plaisir à la clef. «Ce contact avec la terre m’a fait un bien fou, me procurant beaucoup de sérénité. Tout en libérant mon esprit pour réfléchir aux projets culturels menés en parallèle. Je n’avais aucune connaissance en agriculture. J’ai dû me former de A à Z», sourit l’homme qui, depuis, peut poser un regard averti sur la nature et les modes de production. Ce qui l’amène à dire, s’il devait être un végétal, qu’il opterait pour une... mauvaise herbe, fasciné qu’il est par sa résistance et sa capacité à pousser sur les sols abîmés. «Un exemple pour ceux qui luttent. J’aime l’idée de la résilience. Même dans un environnement endommagé, on peut amener de la vie», affirme Julien Friderici qui, envers et contre tout, a décidé de rester optimiste. «J’ai fait le choix du positif, motivé par ma foi dans les humains et mon intérêt pour les démarches collectives. Il faut se battre, imaginer et construire des alternatives durables, propres à fédérer d’autres personnes.» Une attitude qui ne laisse pas pour autant de place à la naïveté. «Si la situation actuelle peut être porteuse d’espoir, la crise a aussi renforcé les méfaits du grand capital. Nous nous dirigeons vers des heures sombres», note le Lausannois qui, bientôt père d’un troisième enfant d’une seconde compagne, affirme se ressourcer dans sa famille et auprès de ses amis. Un cercle qui joue un rôle clef quand tout va mal.

A tire-d’aile...

«Je ne suis pas du genre à me soigner dans la solitude. En cas de malheurs ou de coups durs, j’ai besoin d’en parler. Le top? Partir alors avec mes proches dans une maison au confort rudimentaire dans le Piémont, en Italie, loin de notre monde en fuite.» Associant le bonheur à la sagesse de savoir apprécier ce que l’on a, ce pragmatique fasciné par l’intelligence de la vie et la capacité du vivant à s’adapter, précise être heureux. Sans l’ombre d’une hésitation. Peut-être aussi grâce à sa nature observatrice qui lui permet d’anticiper les événements susceptibles de l’affecter. «C’est mon atout dans l’existence.» Et Julien Friderici de conclure en lançant un appel à poursuivre le combat, chacun dans son domaine. «Si on abandonne, on est mort», appuie cet écolo de la ville et des champs qui, interrogé sur l’animal qu’il voudrait être, cite l’oiseau. Dans l’idéal, il volerait alors au-dessus des toits végétalisés de Lausanne, lui qui rêve de les transformer en potagers tout comme il aspire à voir la capitale vaudoise libérée des voitures.


*Epicerie «Comme un arbre», rue de Genève 19 à Lausanne.