Plus d'infos sur la citadelle sur: francois-monthoux.ch
Après sa citadelle d’argile, l’artiste polyvalent François Monthoux envisage de créer une ville moins éphémère. Rencontre avec un solitaire
Une extraordinaire citadelle d’argile miniature a vu le jour cet été, au bord de la rivière du Toleure, à Bière dans le canton de Vaud. Une construction d’inspiration gothique éphémère, hérissée de tours, avec ses fortifications, ses ponts, ses venelles, ses arches, ses figurines et ses symboles. L’œuvre, largement médiatisée y compris hors de nos frontières – des articles ont même paru dans des journaux chinois et indien – a été réalisée par François Monthoux. L’artiste polyvalent y a consacré tout son été, façonnant cette ville poétique, procédant à des agrandissements et à des réparations à la suite des attaques des éléments ou encore échangeant avec les nombreux curieux. «J’ai commencé par réaliser un escalier, sans savoir où il me mènerait», explique le Vaudois qui, de fil en aiguille, se laisse emporter par son inspiration, sans but ni plan préalables. «J’ai ajouté des bâtiments, une cathédrale comme lieu de pouvoir, le quartier du port, etc. Je m’intéresse à la généalogie, à l’histoire des peuples, en particulier du Moyen Age. Et me suis projeté dans la vie des personnes qui habitaient cette cité, dans d’autres structures mentales», poursuit ce concepteur en multimédia de formation, qui s’est totalement investi dans son travail malgré sa disparition annoncée. Et qui en gardera des traces filmées. «Cette ville avait de valeur, car je lui en ai donné», poursuit l’artiste de 28 ans, tout en insistant sur l’importance, dans sa démarche, du personnage du Fou protégé de la raison, au risque qu’elle ne lui rogne les ailes... Un concept qui reviendra souvent dans sa bouche.
En quête de vitalité
Pour le Vaudois, la raison seule met en effet à mal le processus créatif. Et menace de tuer dans l’œuf les idées naissantes. Une approche qu’il s’agit de museler au profit d’un savoir beaucoup plus intuitif quand bien même elle s’avère impérative. «Pour construire cette citadelle, il m’a fallu la rigueur du professeur et devenir le fou qui danse sur les rochers», image François Monthoux, féru de philosophie – il évoquera souvent Nietzsche – et de psychologie. «Si la raison seule est privilégiée, on produit de la règle, de l’uniforme, des cubes inertes de béton, du néant... Dans le cas inverse, du chaos. Il faut recourir à ces deux forces antagonistes sans qu’elles ne se détruisent. Leur jonction, c’est la vitalité. C’est ce que je recherche dans mes créations», ajoute encore, à grand renfort de gestes, le jeune homme intarissable sur ces questions. Une réflexion que l’on pourrait grossièrement résumer à la nécessité de garder son âme d’enfant. Non sans garder en tête que les croyances dont nous héritons, présentées comme des vérités absolues, ont évolué au gré des époques et de l’impermanence des systèmes de pensée dans des contextes donnés... Et cela alors que François Monthoux confie une «fascination romantique» pour la féodalité lui qui se méfie des grandes entités politiques. Cet attrait pour cette période historique trouve un écho dans nombre de ses œuvres. «Je trouve particulièrement intéressant d’explorer d’autres modèles de sociétés. De quoi aussi relativiser notre démocratie libérale.»
Expression de son être intime
Outre la sculpture, François Monthoux recourt à plusieurs supports artistiques et médias différents comme le dessin, la peinture à l'acrylique, la vidéo et les jeux vidéo. Autant de moyens soutenant son questionnement sur le monde et un imaginaire débridé où d’étranges créatures ésotériques côtoient des machines infernales; où des armées de chevaliers croisent robots, monstres et insectes constituant une source inépuisable d’inspiration. «J’apprécie de les observer, en particulier les fourmis et leur manière de vivre en société. Des aspects de leur existence ressemblent à la nôtre.» Rien d’ailleurs ne ressource plus ce solitaire, aussi intéressé par la biologie, que de se balader dans la nature, lui qui voue une passion particulière aux prairies sauvages. Et aime retourner cent fois au même endroit, histoire d’affiner son regard, de suivre l’évolution de la végétation et de prendre toute la mesure de la temporalité. Ce tragique, comme il se qualifie lui-même, trouve dans ces échappées en solo une intensité accrue. «Je n’ai pas pour autant de blocages avec les humains. Mais seul, en l’absence de pression sociale – même si en vieillissant on la subit moins – on peut être entièrement soi-même.» A ses yeux, l’art a quant à lui vocation de permettre à l’«expression intime» de son être de s’extérioriser. Une personne complexe, sensible, traversée par des questions existentielles sur la vie, sa finalité, le beau, la valeur accordée aux choses... qui craint non pas la mort mais le néant de la vie, non pas le scepticisme et les doutes, mais l’uniformisation de nos comportements, de nos langues, etc. Pas de quoi paralyser pour autant ce penseur, bien au contraire.
Une ville en gestation
Aujourd’hui, François Monthoux finalise une sculpture en béton. Un personnage arborant un masque de soleil et de lune, vêtu d’une robe étoilée, qui «danse sur les problèmes du monde». «Il incarne, au-delà de la voûte céleste, des forces qui nous dépassent.» Et un temps qui nous est compté. «Mais comme on ne peut rien faire, on agit. Au même titre que le héros grec qui ne renonce pas au combat. L’action, même dénuée d’aboutissement, possède une valeur.» François Monthoux envisage aussi la construction d’une nouvelle cité médiévale, mais cette fois-ci qui s’inscrirait dans la durée. Reste à savoir dans quel matériau et dans quel lieu. Ces questions réglées, le sculpteur endossera le costume du Fou et du professeur. «Et quand ma ville sera suffisamment belle, je la rendrai accessible. Avec l’espoir que le spectateur voie un monde se créer dans sa tête et d’autres manières d’exister.»