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La libre circulation, ça roule toujours

Poste frontière à Genève.
© Olivier Vogelsang

La main-d’œuvre en provenance de l’UE s'est avérée être complémentaire à celle indigène et a répondu à un besoin croissant de personnel qualifié, selon la responsable du Seco.

La libre circulation des personnes a 20 ans. Le Secrétariat d’Etat à l’économie souligne le rôle décisif qu’elle joue aujourd’hui pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre

Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) a publié le 7 juillet le rapport annuel de l’Observatoire sur la libre circulation des personnes. Celle-ci «reste importante pour couvrir la demande en main-d’œuvre adaptée aux besoins» des entreprises. Dans différents secteurs économiques, les sociétés se retrouvent en effet de nouveau face à des difficultés croissantes à recruter du personnel qualifié. Pour la première fois, le taux de chômage a retrouvé au printemps dernier son niveau d’avant la crise. Le rapport s’attarde sur la branche informatique où le potentiel de main-d’œuvre nationale est «pratiquement entièrement exploité» avec un taux d’activité de 92,2% et un taux de chômage à 1,6% en 2021. Essentielle, la main-d’œuvre étrangère y représente aujourd’hui près d’un tiers des actifs, soit pas beaucoup plus que la part des étrangers dans l’ensemble de l’économie (26%).

La libre circulation joue donc un rôle majeur pour notre économie et 2022 marque le 20e anniversaire de son entrée en vigueur et de l’abandon du statut de saisonnier. Cela a constitué «une des plus grandes réformes du marché du travail en Suisse de ces cinquante dernières années», a souligné la secrétaire d’Etat Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch lors de la présentation du rapport. Pour la cheffe du Seco, notre pays a su remarquablement bien en profiter: «La main-d’œuvre en provenance de l’UE s'est avérée être complémentaire à la main-d'œuvre indigène et a largement répondu à un besoin croissant de main-d'œuvre qualifiée d’une économie en rapide transformation structurelle.»

Mesures d’accompagnement essentielles

Reste que cette success story ne serait pas possible sans les mesures d’accompagnement à la libre circulation, condition du soutien des syndicats à la votation de 2002. «Grâce aux contrôles des salaires, aux amendes et à d’autres mesures d’exécution, les salaires suisses ne se sont jamais largement trouvés sous pression», explique Daniel Lampart, même si, reconnaît le premier secrétaire de l’Union syndicale suisse (USS), la sous-enchère salariale «reste une réalité». «Les mesures d’accompagnement ont toujours des lacunes sensibles. Par exemple, il n’existe pas dans le commerce de détail ou l’horticulture de convention collective valable partout et prévoyant des salaires minimums, alors que des cas de sous-enchère sont régulièrement constatés dans ces branches.» Lors des contrôles, un employeur sur cinq se fait pincer avec des rémunérations trop basses.

«Malgré les contrôles, les formes de travail précaire des détachements de main-d’œuvre, du travail temporaire et des séjours de très courte durée ont fortement augmenté depuis l’introduction de la libre circulation», constate celui qui est aussi économiste. Ces travailleurs européens sont recrutés dans leur pays d’origine et touchent de ce fait des salaires moins élevés qu’en Suisse. «Les syndicats ne peuvent pas les organiser parce qu’ils ne travaillent que momentanément chez nous. Le potentiel de sous-enchère n’en est que plus important.» Si les études ont montré que la libre circulation des personnes a d’abord une fonction complémentaire sur le marché du travail, les incidences des détachements et des autres formes de travail potentiellement précaires n’ont toutefois pas encore été examinées. «Des études récentes à l’étranger indiquent que les détachements ont plutôt une fonction substitutive que complémentaire. Dans les professions artisanales de France ou de Belgique, les détachements font baisser les salaires ou réduire le niveau d’emploi des salariés indigènes.» Dans ces deux pays, les mesures d’accompagnement «ne sont de loin pas aussi bonnes que les nôtres», nuance cependant le syndicaliste.

Encourager la formation

La libre circulation ne suffit toutefois pas à répondre à la demande de certaines branches et nombreux sont les employeurs à réclamer l’extension des contingents réservés aux pays tiers (non membres de l’UE ou de l’AELE). Daniel Lampart, lui, propose plutôt d’encourager la formation: «Près de 750000 personnes d’Etats tiers vivent aujourd’hui déjà en Suisse. Parmi elles, une personne sur sept a un emploi non qualifié, alors qu’elle a acquis une formation dans son pays d’origine ou en Suisse. Dans mes activités syndicales quotidiennes, je rencontre régulièrement des migrants et des migrantes dont les aptitudes et les formations sont étonnantes, qui se maintiennent financièrement à flot en exerçant des emplois non qualifiés. Le potentiel que ces personnes représentent est continuellement sous-estimé. L’actuelle discussion sur la pénurie de personnel qualifié offrirait une bonne occasion pour leur permettre d’avoir de meilleures chances au plan professionnel.»

Social: craintes infondées

Le rapport de l’Observatoire sur la libre circulation compile aussi les données concernant les assurances sociales. Les travailleurs provenant de l’UE et de l’AELE contribuent, selon les derniers chiffres disponibles, à hauteur de 25,5% aux cotisations d’assurance chômage alors qu’ils perçoivent 32,8% des indemnités. S’ils sont bénéficiaires nets, c’est qu’ils présentent un «risque de chômage supérieur», indique le rapport. Leur durée d’indemnisation moyenne est de 101 jours contre 102 pour les Suisses. Pour l’AVS, c’est le contraire, les ressortissants européens financent le premier pilier à hauteur de 27,1% et ne perçoivent que 15,2% des prestations. En ce qui concerne l’AI, sur les près de 250000 rentes versées, seulement 19% sont attribuées à des Européens. «Les craintes selon lesquelles la libre circulation pourrait provoquer une augmentation massive du nombre de prestations AI ne se sont pas confirmées.» Enfin, pour ce qui est de l’aide sociale, le taux de bénéficiaires européens (2,7%) n’est pas très éloigné de celui des détenteurs d’un passeport à croix blanche (2,1%).


Une directive sur les salaires minimums en Europe

Le 7 juin dernier, le Conseil et le Parlement de l’UE sont parvenus à s’entendre sur la Directive relative à des salaires minimums adéquats. Celle-ci astreint les Etats membres à porter les salaires minimums à au moins 60% du salaire médian d’ici à deux ans. Environ 24 millions de salariés sont concernés, dont pas moins de 4 millions chez nos voisins italiens. La directive favorise encore les conventions collectives de travail (CCT), qui devront être négociées avec des syndicats. Des plans d’action pour les encourager devront être mis en place, par exemple lors de l’attribution de marchés publics. Et il faudra veiller à leur respect. Quant aux syndicalistes, ils ne devront subir aucune discrimination en raison de leurs activités. L’Union syndicale suisse salue cette décision. «La Suisse doit reprendre cette directive», écrit dans un communiqué la faîtière syndicale. Si, avec les mesures d’accompagnement, notre pays dispose des «instruments les plus efficaces de toute l’Europe pour faire respecter les salaires minimums inscrits dans les CCT», seule la moitié des travailleurs sont protégés par une CCT. «La Suisse a donc besoin de davantage de CCT afin que les salaires et les conditions de travail en place s’améliorent dans le commerce de détail, la logistique, le journalisme ou encore l’agriculture.»

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