Quand étudier relève du parcours du combattant
Parallèlement au travail de l’ONG, la générosité de Maria Chevalley et d’autres membres du comité s’exprime ailleurs de manière personnelle. La présidente a soutenu notamment la construction d’une école primaire privée à deux pas de la Maison du bonheur. «Lorsque j’ai hérité de mon père, je me suis acheté en Suisse ce dont je rêvais depuis longtemps: une Mercedes! Puis j’ai vu l’école de Monsieur Dagadou en ce temps-là littéralement dans la boue. J’ai alors vendu ma bagnole pour construire l’établissement scolaire près d’ici.» La présidente de PAS raconte, l’air de rien, sa vie tumultueuse. Elle soupire en remarquant l’inscription peinte sur le mur de l’école primaire du quartier: Maria Chevalley. Une femme battante qui œuvre inlassablement pour la cause et le bonheur des enfants démunis.«Pas besoin de pub!» lance la jeune retraitée au franc-parler. Les plus petits de la Maison du bonheur fréquentent cette école privée, les plus grands l’école publique. Le directeur de l’établissement, Emmanuel Dagadou, affirme, en aparté: «Je ne vais jamais cesser de l’admirer. Elle a tant fait pour nous. Parfois, on propose à l’association des enfants, ceux qui sont mal nourris, pas propres, dont la famille ne s’occupe pas souvent, à la suite d’une séparation des parents ou d’un décès… Les jeunes au PAS ont de la chance.»
Une enseignante, son nourrisson âgé de 3 semaines dans les bras, interpelle l’un des membres du comité suisse. Un enfant de sa classe dont elle s’occupe (en plus de sa progéniture), orphelin de mère et dont le père se soucie peu, doit se faire opérer de la cataracte. Elle ne sait pas comment payer cette opération. Au Togo, tous les soins se règlent cash avant chaque acte médical. Une situation dramatique pour la majorité de la population qui a tout juste de quoi se nourrir.
Manque de formation
Chaque matin, après la levée du drapeau et l’hymne chanté par les enfants, ceux-ci rejoignent leurs classes au pas militaire. Ils sont une quarantaine par salle – moitié moins que dans le public. Les ventilateurs ne tournent pas. «Des petits voleurs ont coupé les câbles électriques», se désole le directeur. Les élèves répètent en chœur les mots du professeur. Emmanuel Dagadou confie devoir calmer parfois les enseignants «pour qu’ils n’utilisent pas le bâton». Et d’ajouter: «J’essaie de leur apprendre la patience.» «L’enseignement ici fait penser à celui des années 1950 en Suisse», résume en aparté un enseignant du canton de Vaud, présent pour l’inauguration.
Au Togo, où le taux d’alphabétisation est de moins de 70%, les professeurs ne sont pas toujours bien formés, généralement mal payés et les écoles privées, aux tarifs très variables, nombreuses.
Norbert Kpehounsi, codirecteur de PAS, diplômé en psychologie et en sciences de l’éducation, illustre: «Beaucoup de professeurs ne comprennent pas qu’un enfant inattentif a peut-être des problèmes à la maison, ou rien mangé le matin. Des universitaires se tournent vers l’enseignement faute de débouchés, mais ils n’ont souvent ni envie d’enseigner ni pédagogie.» Et comment s’occuper de tous, lorsque dans les écoles publiques, le nombre d’enfants peut dépasser la centaine d’élèves? «Dans ma classe, au lycée, nous sommes 122. Je me lève tôt pour avoir une place devant. Derrière on n’entend rien», relève Juliette, habitante de la Maison du bonheur, ses cheveux coupés court à la garçonne comme toutes les étudiantes des écoles publiques. «C’est pour éviter que les professeurs ne les draguent…» explique Yao Sezouhlon, chauffeur et logisticien de PAS. Norbert Kpehounsi confirme ce règlement ahurissant: «Mais c’est aussi pour empêcher les maux de tête liés au tressage.» Avec son discours souvent imagé, il ajoute: «Avec les tresses, le cerveau n’est pas aéré!»
Apprentis pas payés
A chacun ses étonnements. Les jeunes professionnels togolais sont, quant à eux, bouche bée en apprenant que les apprentis en Suisse sont payés durant leur formation. Au Togo, c’est au contraire à l’apprenti de verser une somme d’argent à son patron au moment de signer son contrat. Puis de travailler gratuitement en échange de sa formation pendant trois ans au moins. Il n’est pas rare qu’ils continuent même de rendre service à leur supérieur une fois le diplôme en poche, par fidélité, voire gratitude. Traditionnellement, les jeunes diplômés doivent aussi organiser une fête en l’honneur de leur formateur. «Mais, précise Norbert Kpehounsi, au vu du coût engendré, cela se fait de moins en moins.»
3000 dans une classe
Dans les universités, les élèves doivent payer un écolage et jouer des coudes. «Nous sommes 3000 en sociologie. L’amphithéâtre le plus grand peut accueillir 1500 élèves. Mais nous nous retrouvons aussi dans des salles de 500, et même de 150, explique Marceline, soutenue par PAS. Je me lève vers 4 ou 5 heures pour avoir une place.» Face à cette situation précaire, l’association loge ses étudiants dans des chambres près du campus, le transport n’étant de surcroît pas assuré depuis les villages et les quartiers excentrés. Par conséquent, le montant du parrainage est plus que doublé pour les universitaires, passant de 40 francs à 105 francs par mois. «En général, on essaie de trouver un deuxième parrain. Et dans tous les cas, l’association compense. Même un parrainage de 40 francs ne suffit souvent pas, car les frais médicaux sont importants», détaille Elizam Banla, trésorier de l’association, arrivé en Suisse il y a treize ans pour ses études. Aujourd’hui ingénieur civil, il a le délicat rôle de pont culturel entre sa patrie d’origine, le Togo, et sa terre d’accueil, la Suisse.
Norbert Kpehounsi admet ne pas pouvoir toujours répondre aux demandes venant de Suisse aussi rapidement qu’il le souhaiterait. «Ici, même si on veut aller vite, on se retrouve toujours à faire la queue.» Et d’ajouter, philosophe: «Vous avez la montre. Nous, nous avons le temps!» AA