Témoignages - «Nous demandons juste le droit de travailler»
Cinq ferrailleurs ont accepté de témoigner de leur situation. Tous sont originaires du Kosovo ou de Macédoine du Nord, et aucun d’entre eux ne bénéficie de permis de séjour. Ils travaillaient tous pour les entreprises épinglées par les inspecteurs paritaires, que nous avons décidé d’appeler L et O pour ne pas les citer.
Ejup: «Je suis à Genève depuis 2014. J’ai toujours travaillé comme ferrailleur, sans jamais m’arrêter. J’ai toujours payé mes factures, jamais eu une amende. Mes enfants vont à l’école et à la garderie. J’étais employé depuis cinq ans par l’entreprise L: le salaire était parfois payé en retard mais le montant était correct. La semaine dernière, le chantier a été arrêté. J’ai accepté de signer la rupture de contrat, car on nous a dit qu’on allait être repris par une agence temporaire, mais cette dernière est remontée jusqu’à l’Office cantonal de la population et des migrations, car je n’ai pas de permis de séjour, et ils ont répondu que je n’avais pas le droit de travailler sur le territoire. Maintenant, je suis dans une situation compliquée. Je suis honnête, j’ai tout fait dans les règles et on me demande de partir. Certes, il n’y a pas la guerre en Macédoine du Nord, mais il y a la guerre du pain, et je ne veux pas de cela pour ma famille.»
Argend: «Je travaille chez L depuis neuf ans, et tout allait bien jusqu’à présent. Mais là, nous ne sommes plus du tout contents: cela fait trois mois que je n’ai pas reçu de salaire. Personne ne sait pourquoi, personne ne comprend. Le patron nous répond que les comptes sont bloqués… J’ai fait une demande de permis de séjour, mais elle a été refusée, j’ai fait recours avec l’aide d’un avocat. On espère que les syndicats et l’Etat trouveront une solution.»
Raif: «Depuis 2012 que je suis en Suisse, c’est toujours les mêmes histoires avec les entreprises de ferraillage. Elles profitent de notre situation et de notre vulnérabilité, on est des victimes. J’étais chef d’équipe, mais j’étais payé comme un manœuvre, sans parler des différences qu’il pouvait y avoir parfois entre le montant sur la fiche de salaire et le montant réellement versé sur mon compte. J’ai fait une demande de régularisation, mais elle m’a été refusée, car je résidais en Suisse seulement depuis sept ans. J’espère que la prochaine sera la bonne.»
Tom (prénom d'emprunt): «Je travaille pour O et le chantier a aussi été arrêté. Depuis, je n’ai plus de nouvelles. J’ai été payé pour le mois de février, mais j’attends de voir si ce sera le cas pour le mois de mars. Je suis inquiet pour la suite. Au Kosovo, j’étais dans l’agriculture, notamment la viticulture, et depuis mon arrivée en Suisse en 2006, je n’ai fait que du ferraillage. Les premières années, je ne gagnais jamais plus de 4000 francs.»
Avdi: «Mon patron ne m’a pas expliqué ce que disait la lettre, je n’ai pas compris ce que je signais, c’était vicieux. Je n’ai pas été payé depuis trois mois alors que je dois régler mes factures, et nourrir ma famille. J’ai dû emprunter de l’argent à mes proches. Je suis là depuis 2011 et ma femme et mon fils m’ont rejoint il y a trois ans: il a 15 ans, va à l’école et s’est fait des amis. Il est heureux ici. Mon permis de séjour m’a été refusé en 2019. Je ne veux pas le chômage ou l’aide sociale, je demande juste à pouvoir travailler en règle et ne plus être exploité.»