«L’anticipation est la grande leçon du Covid-19»
Trois questions à Augustin Fragnière, docteur en sciences de l’environnement, philosophe et chercheur au centre interdisciplinaire de durabilité de l’Université de Lausanne.
La pandémie actuelle nous donne-t-elle une occasion de revoir notre système fondé sur les énergies fossiles?
Il y a un potentiel à mon avis, une chance à saisir, mais cela ne va pas se faire automatiquement. Le réflexe de repli sur des solutions connues pourrait provoquer un effet rebond en termes de consommation et d’augmentation des gaz à effet de serre. Mais il s’agit de mettre à profit ce temps pour réfléchir à la suite. Pour les mouvements, comme la Grève du climat, c’est peut-être un moment de recul bénéfique pour affûter leurs armes après la crise. Car il va falloir rappeler aux politiques que le climat est un enjeu prioritaire.
Le politique revient en force. Est-ce une bonne nouvelle?
Cette crise permet aux politiques de reprendre les rênes par rapport aux acteurs économiques. Le rôle du service public se réaffirme en tant qu’élément indispensable au citoyen. Mais les signaux sont contradictoires. Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie ou la présidente de la Commission européenne appellent à saisir la possibilité d’une transition. Mais il y a aussi des forces contraires. Dans le plan de relance chinois, la construction de centrales à charbon est prévue. Et le Canada a décidé de soutenir son secteur d’énergie fossile, notamment les sables bitumineux dans l’Alberta. Les enjeux d’un plan de relance durable ou d’un plan sans nouvelle taxe et sans conditions vont s’affronter dans les parlements… Et pourtant en regard des milliers de milliards investis dans cette crise, la transition énergétique n’est pas si coûteuse, surtout que le prix du dommage écologique sera bien plus élevé que celui de la transition énergétique.
Les mesures d’une ampleur unique face à l’épidémie de Covid-19 tranchent avec celles qui n’ont pas été mises en œuvre contre le réchauffement climatique…
Le changement climatique est décalé dans le temps. Les bénéfices des mesures prises ne sont pas immédiats, et pourtant elles doivent être appliquées maintenant. L’anticipation est la grande leçon du Covid-19. Le plus tôt est le mieux. Si pour ce virus, c’est une histoire de quelques jours ou de quelques semaines, pour le climat, la prévention est tout aussi essentielle, mais se compte en années, voire en décennies. C’est-à-dire qu’il nous faut agir maintenant pour que cela ne soit pas trop tard. Cette idée de décalage dans le temps est difficile à transmettre dans notre société obsédée par le court terme. Le changement climatique reste un phénomène abstrait, les événements extrêmes faisant des victimes surtout dans des pays lointains, même si ses conséquences commencent de plus en plus à se faire sentir ici. Cela reste moins prégnant que la peur de voir nos grands-parents mourir du coronavirus.